LA FRANCE PITTORESQUE
Quand le consommateur, éternel tondu,
décide de se rebiffer
(Éditorial du 12 mars 2009 paru dans le N° 30 de
La France pittoresque - avril/mai/juin 2009)
Publié le lundi 5 décembre 2011, par Redaction
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S’inspirant, lors du Congrès Coopératif tenu à l’Exposition Universelle pour le centenaire de la Révolution française, du mot de l’abbé Sieyès sur le Tiers-Etat, Charles Gide, théoricien de l’économie sociale et oncle de l’écrivain André, lance en 1889 : « Qu’a été le consommateur jusqu’à ce jour ? Rien. Que doit-il être ? Tout », avant d’annoncer dès 1895 un bouleversement majeur dans les vingt ans à venir.

N° 30 de La France pittoresque (avril/mai/juin 2009)

N° 30 de La France pittoresque
(avril/mai/juin 2009)

Ce « règne du consommateur » était encore un mythe lorsque, après plusieurs décennies d’une baisse des prix dont le public avait pris la douce habitude, une forte hausse fut en 1910 à l’origine d’une véritable grève de la consommation qu’on appela Révolution du Beurre ; « on aurait pu l’appeler plutôt – puisqu’il ne s’agissait pas seulement de beurre mais de tout ce que les ménagères mettent dans leurs paniers quand elles vont au marché – la Révolution des Paniers !

Ce n’était pas un spectacle ordinaire que de voir des femmes, ce qu’on appelle généralement de braves femmes, ou même de bonnes femmes, des mères de famille, se former en cortège au nombre de plusieurs milliers, haranguer sur les places publiques, chanter sur l’air de l’Internationale des couplets menaçants, renverser les paniers des marchandes et faire des omelettes de leurs œufs et de leur beurre, assiéger et saccager les boulangeries, les épiceries, les boucheries, piétiner les commissaires de police, lapider les gendarmes et les officiers, braver les charges de cavalerie, et cela non pas seulement dans une ville, mais dans vingt ou trente villes du département du Nord, de l’Aisne, du Pas-de-Calais et aussi de la Loire », écrira plus tard Gide dans sa Revue d’économie politique.

Dans un pays subissant de plein fouet les conséquences d’une inflation mondiale que ce visionnaire avait pressentie, se constitua cette même année la Ligue des Consommateurs français, qui se proposait pour la première fois d’agir par la voie de la presse, par des conférences et par la pression sur les pouvoirs publics, pour défendre en toutes circonstances les intérêts des consommateurs.

Affectant des produits tels que le lait, le gaz ou encore l’alcool, cette grève marqua le réveil d’une longue torpeur de ce consommateur de 1910 que nous décrit Gide. Mais « cet oublié, ce muet, ce mouton, cet éternel tondu, qui tout d’un coup semble devenir enragé », émettant la prétention de fixer, à défaut de l’Etat, le taux des denrées, de faire la loi du marché, est-il si différent de celui du début du XXIe siècle ?...

Valéry VIGAN
Directeur de la publication
La France pittoresque

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