LA FRANCE PITTORESQUE
Les journaux de la foule
qui régissent l’opinion
(Éditorial du 8 mars 2007 paru dans le N° 22 de
La France pittoresque - avril/mai/juin 2007)
Publié le dimanche 4 décembre 2011, par Redaction
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Les peuples ont les gouvernements et la presse qu’ils méritent, assène en 1908 Paul Adam dans La morale de la France, y dépeignant sans concession son époque. La bêtise distrayant autant que l’intelligence ennuie, l’élite a selon lui laissé disparaître, sans protestation, de ses journaux, l’importance autrefois conquise par les sciences, les lettres et les arts, lui préférant « ces amusettes de marmots, ces nouvelles tendancieuses, ces exagérations pareilles à celles des miroirs concaves et convexes de la fête foraine ». Si l’on jugeait de l’esprit français par les articles qu’il exige de ses gazettes à gros tirage, il faudrait conclure que « c’est un peuple de concierges cannibales, d’électeurs fanatiques, de calomniateurs acharnés, de nigauds aptes à gober toutes les bourdes transmises par fil spécial ».

N° 22 de La France pittoresque (avril/mai/juin 2007)

N° 22 de La France pittoresque
(avril/mai/juin 2007)

Dénonçant « l’inertie des cerveaux » entretenue par le souci « de multiplier l’acheteur sans que sa qualité importe », fustigeant une autocensure des échotiers qui, dictée par la seule idée de froisser le lecteur, est responsable du déclin de l’intelligence d’un journal à mesure que son tirage croît, Adam s’insurge : « l’afflux de la foule vers ces gazettes qui content ses convoitises enrichit trop ces entreprises pour que le reste de la presse n’essaye d’imiter ». Le mal gagne de proche en proche, et « sous prétexte d’informations, les administrateurs bannissent les idées de leurs feuilles ».

C’est une régression terrifiante : « cinq ou six administrateurs, entièrement dominés par le sens des affaires, dirigent les journaux de la foule. Ils régissent en somme l’opinion », laissant parvenir au lecteur « uniquement ce qu’ils veulent », les ministres devant composer avec eux, « car une attaque vigoureuse des rédactions peut renverser un gouvernement, détruire une popularité, provoquer des émeutes ». A ses yeux, ces personnages omnipotents que conseillent vingt ou trente autres à peine, financiers, parlementaires, diplomates, tiennent dans leurs mains la vie nationale et sont « vraiment les dictateurs de la France ».

Aux démagogues infatués trop longtemps épaulés par une coterie médiatique cupide, aux chantres d’un clivage politique suranné, aux boutefeux engluant un pays dans des luttes claniques et stériles, aux histrions et farceurs passés maîtres dans l’art d’embéguiner un peuple, les Français sauront-ils enfin appliquer une sanction méritée et s’essayer à une gouvernance plus pragmatique et alcyonienne ?...

Valéry VIGAN
Directeur de la publication
La France pittoresque

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