LA FRANCE PITTORESQUE
Il n’est si bon cheval
qui ne bronche
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Publié le vendredi 10 avril 2020, par Redaction
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Les gens les plus habiles sont sujets à se tromper
 

Il peut arriver au meilleur cheval de faire un faux pas en heurtant une pierre, une branche ou tout autre obstacle. Cet accident ne préjuge rien contre la valeur de l’animal, de même un homme de mérite peut commettre une erreur qui ne doit pas nuire à sa réputation. Il n’y a pas d’homme, si prudent qu’il soit, qui ne soit exposé à faire quelque faute.

Broncher, c’est mettre le pied à faux et, d’après l’ancienne étymologie du mot branche, dont bronche était la forme primitive, on entendait par là se heurter contre un arbre ou une branche. Les Italiens disent : Erra il prete a l’altare, ce qui signifie : Le prêtre se trompe à l’autel.

Il n'est si bon chartier qui ne verse ni si bon cheval qui ne bronche. Gravure extraite du Recueil des plus illustres proverbes de Jacques Lagniet (1657)
Il n’est si bon chartier qui ne verse ni si bon cheval qui ne bronche. Gravure extraite
du Recueil des plus illustres proverbes de Jacques Lagniet (1657)

Personne n’étant infaillible, ne saurait être si avisé qu’il ne se trompe souvent, aussi devons-nous montrer envers les autres une indulgence dont nous avons toujours besoin nous-mêmes. On dit encore dans le même sens cet aphorisme parfaitement juste : Il n’est si bon charretier qui ne verse, que l’on a reproduit de l’ancien proverbe.

Contre fortune la diverse,
N’est si bon chartier qui ne verse.

Et les plus grands écrivains sont-ils parfaits ? La réponse est dans ces quatre vers :

Mal à propos on est fâché
Contre un bon auteur qui s’oublie.
Les meilleurs coursiers ont bronché.
Le meilleur vin fait de la lie.

On lit dans Horace cette phrase : Quandoque bonus dormitat Homerus, ce qui se traduit ainsi : Il arrive quelquefois au bon Homère de sommeiller.

L’adage fut notamment popularisé au XVIIe siècle grâce à une saillie verbale du célèbre comédien Raymond Poisson, dit Belleroche (vers 1630 - 1690), l’un des plus grands acteurs pour le comique qui aient paru sur le théâtre français.

Ayant eu le malheur de perdre son père dans son bas âge, il fut recueilli par le chevalier Charles III de Créquy — qui deviendra premier gentilhomme de la Chambre du roi Louis XIV en 1643, lieutenant-général des armées du roi en 1646 et pair de France en 1652 —, qui l’honora de ses bontés et lui tint lieu de père ; mais Poisson, entraîné par son goût prédominant pour la comédie, abandonna vers 1650 son protecteur et s’associa à une troupe ambulante.

Quelques années après, Louis XIV, faisant la tournée de son royaume, se trouva à une pièce où Poisson jouait. Le monarque fut si enchanté de son jeu, qu’il l’admit parmi ses comédiens et le remit même dans les bonnes grâces de Charles de Créquy.

« Dis-moi, Poisson ! lui dit un jour Monsieur de Créquy, pourquoi m’as-tu quitté, moi qui comptais autant sur toi, que sur ma monture qui comme tu sais, n’a pas sa pareille ? — Ah ! Monseigneur, reprit Poisson, très attendri d’un reproche aussi flatteur, il n’est si bon cheval qui ne bronche ! » Cette repartie plut tant à Charles de Créquy que depuis, il fut non seulement son protecteur, mais encore celui de toute sa famille.

À l’occasion des différends des Parlements avec la Cour, une femme de beaucoup d’esprit disputait en janvier 1764 contre le président Portail, et lui soutenait que l’affaire du duc de Fitz-James avait été fort mal décidée par le parlement de Paris — pair et maréchal de France, Charles de Fitz-James (1712-1787) était en 1763 entré en conflit avec le parlement de Toulouse quand il avait requis l’enregistrement d’édits royaux relatifs à la création d’impôts : après la mise aux arrêts des magistrats par Fitz-James, puis leur remise en liberté par ordre du roi, le duc fut décrété de prise de corps, et le parlement de Toulouse afficha son arrêt, déclenchant l’ire du parlement de Paris et des pairs du royaume s’estimant avoir seuls le droit de juger les pairs.

Soit qu’elle en donnât de si bonnes raisons, qu’il n’y avait point de réponses, soit politesse de la part de Portail, ce dernier crut terminer la dispute avec son interlocutrice en lui disant qu’il n’y a si bon cheval qu’il ne bronche. Mais la dame lui répliqua vivement : pour un cheval, passe ; mais toute une écurie, ma foi, cela est trop fort !

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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