LA FRANCE PITTORESQUE
Grande fortune,
grande servitude
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Publié le vendredi 25 novembre 2011, par Redaction
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Quiconque a une grande fortune ou une position élevée est l’esclave de son argent et de son rang
 

Plus on est riche, plus grande est la surveillance qu’on a à exercer sur tous ceux qui touchent à notre fortune dans la crainte de malversations. Un rang élevé assujettit à une foule de devoirs, de soucis, de dangers même que ne connaissent pas ceux dont la position est plus modeste et en outre souvent plus sûre et plus indépendante.

Chez les auteurs anciens les exemples abondent pour prouver que ces mots ont toujours été une vérité. Voici les vers de Phèdre à ce sujet :

Quemcumque populum tristis eventus premit,
Periclitatur magnitudo principum,
Minuta plebes facili praesidio latet.

dont voici la traduction : Quand un peuple est éprouvé par un grand désastre, la grandeur des chefs met ceux-ci en danger, les petits trouvent aisément à se cacher.

Sénèque à son tour, présente ainsi ces idées de ces deux façons ; d’abord ainsi :

Non capit unquam
Magnos motus humilis tecti plebeia domus ;
Circa regna tonat.

ce qui signifie : L’humble toit du plébéien n’éprouve jamais les secousses violentes qui ébranlent les palais des grands. Puis dans ces autres vers :

O si pateant pectora ditum,
Quantum intus sublimis agit
Fortunae metus !

ce qui veut dire : Si l’on pouvait descendre dans le cœur des riches, on verrait par combien de craintes la fortune les tourmente.

Parmi les auteurs modernes nous pouvons citer La Fontaine qui a traité ce sujet dans son livre Ier, fables 4 et 5 ; livre IV, fable 6 et livre VII, fable 6.

Voici comme conclusion à tout ce qui a été dit sur ce sujet une anecdote parfaitement authentique tirée de l’histoire romaine : Damoclès était un des courtisans du tyran de Syracuse, appelé Denys l’Ancien. Il vantait les richesses de ce prince, la magnificence de ses palais, s’extasiait sur sa puissance ; à ses yeux jamais l’homme n’avait été si heureux. Denys, pour complaire à son courtisan, lui parla ainsi : « Puisque ma vie a tant de charmes pour vous, je vous offre d’en goûter quelques moments et d’essayer de cette fortune qui vous semble si enviable. »

Damoclès accepte cette proposition avec une joie non dissimulée. On le place sur un lit couvert des plus riches étoffes (chez les anciens on mangeait à demi-couché) et on lui met sur la tête une couronne de fleurs. Dans la salle à manger, on dressa sur les tables un service merveilleux d’argenterie ; on y brûle des parfums. Autour de sa table chargée des mets les plus rares et les plus exquis sont des esclaves attentifs à prévenir ses moindres désirs. Ajoutez à tout cela une douce symphonie qui charme ses oreilles et l’on comprendra facilement dans quel ravissement devait être Damoclès.

Mais, par hasard, il lève les yeux et que voit-il ? Une épée, attachée au plafond par un crin de cheval, était suspendue au-dessus de sa tête. A l’instant même il fut désillusionné : ses yeux cessèrent de voir la richesse qui l’environnait ; ses oreilles n’entendirent plus les sons de la musique, sa main ne savait plus trouver le verre qui était sur la table : il ne songeait qu’au glaive menaçant sur sa tête. « Voilà mon bonheur et ma fortune, lui dit Denys ; voulez-vous continuer à en faire l’épreuve ? » Pour toute réponse, Damoclès demanda la permission de se soustraire au plus vite à une félicité dont les douceurs étaient entremêlées de craintes et de réalités aussi terribles.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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