LA FRANCE PITTORESQUE
Faire accroire à quelqu’un
que des vessies sont des lanternes
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Publié le vendredi 25 novembre 2011, par Redaction
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C’est faire croire qu’une personne serait assez sotte pour accepter tous les mensonges et les absurdités qu’on se plairait à lui débiter
 

Ce proverbe est fort ancien, car on le retrouve dans les fabliaux des XIe, XIIe et XIIIe siècles. Seulement, à cette époque, on le rencontrait sous une autre forme que voici : « Je ne suis pas si sot que l’on puisse cette fois me vendre vessie pour lanterne. » On a comparé quelquefois l’esprit de certaines personnes à une lanterne sourde, qui ne sert qu’à celui qui la porte et qui n’éclaire que son chemin. Le poète Martial (103 ap. J.-C.), fait parler ainsi une lanterne de vessie :

Cornea, si non sum, numquid sum fuscior ? Aut me
Vesicam contra qui venit esse putat ?

ce qui signifie : Si je ne suis pas de corne, en suis-je plus obscure ? Et celui qui vient vers moi pense-t-il que je sois une vessie ?

Les lanternes se fabriquaient autrefois avec plusieurs substances transparentes ; leur invention remonte à la plus haute antiquité. Chez les Romains, il y avait deux espèces de lanternes ; celles faites en corne et celles formées d’une vessie, témoin la citation précédente. Il est évident que nos ancêtres n’ont eu aussi et fort longtemps pour s’éclairer que des vessies ou des lanternes.

Voici un quatrain d’un nommé Guyot parlant des médecins de Montpellier et qui doit être du XIVe siècle :

S’ils reviennent de Montpellier
Sor lettuaire sont moult chier ;
Et cil qui vient de Salerne,
Lor vend vessie pour lanterne.

ce qui signifie : S’ils reviennent de Montpellier leur savoir est bien cher ; et celui qui revient de Salerne y leur vend vessie pour lanterne. On trouve dans Barbezan, au XIIIe siècle, les lignes suivantes :

Ne suis mie si enivrés
Qui me puissés à cette fie
Por lanterne vendre vessie.

Je ne suis pas si enivré que je puisse à cette fois vendre vessie pour lanterne.

Dans la suite on a substitué au mot vendre les expressions faire entendre ou faire accroire qu’on a fait suivre du mot vessie. Voici un exemple tiré des Adages français du XVIe siècle : « Me veux-tu faire accroire de vessies que ce sont des lanternes ? » On rencontre encore un autre exemple de l’emploi de cette expression dans l’ouvrage de Des Périers (1537), intitulé Cymbalum mundi (tome III) : « Par ces belles raisons et persuasions, il vous feroit bien entendre des vessies que sont lanternes. » Voilà comment par le rapprochement de ces deux mots vessie et lanterne, on a été amené à exprimer l’idée de faire accroire à quelqu’un des choses absurdes ou plus ou moins bizarres. Que de gens qui, par leur bavardage et leur aplomb, s’efforcent de persuader des choses entièrement absurdes et dont les gens, même ignorants, peuvent apercevoir la fausseté.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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