LA FRANCE PITTORESQUE
Mariage en Vimeu : cérémonie
et coutumes observées jadis
(D’après « La Jeune Picardie », paru en 1901)
Publié le lundi 21 novembre 2011, par Redaction
Imprimer cet article
Tout mariage dans le Vimeu – région naturelle arrosée par la Vimeuse et délimitée par les vallées de la Bresle et de la Somme –, s’il était synonyme de réjouissances gastronomiques midi et soir, observait en outre un cérémonial singulier, de la confection de la cholle couverte à la bénédiction du lit nuptial, en passant par le querroi des meubles du fiancé à la remise de treize pièces au prêtre chargé de l’office
 

Quand le fiancé n’est pas du pays, le dimanche qui précède la célébration du mariage, les jeunes gens du quartier se rassemblent et vont offrir aux fiancés qui les attendent au domicile de la jeune fille, un cadeau pour lequel le goût des fiancés a été consulté au préalable, et l’aîné des jeunes gens dit un compliment. Les fiancés donnent une gratification en argent, assez large pour rembourser la valeur du cadeau et permettre aux jeunes gens de « fêter ».

Femmes en costume picard traditionnel

Femmes en costume picard traditionnel

Dans la semaine qui précède la cérémonie, les deux fiancés vont « aux alliances », c’est-à-dire qu’ils se rendent à la ville voisine pour faire les emplettes du futur ménage, ils achètent bijoux, lingerie, meubles et ustensiles. La confection de la couverture du lit nuptial donne lieu à une joyeuse réunion de jeunes filles. La fiancée invite à cet effet les sœurs ou les proches cousines de son futur, ainsi que ses propres cousines et ses amies intimes. Toutes ensembles travaillent à la confection de cholle couverte tout en s’amusant ferme. Le soir, un gai dîner réunit toutes ces jeunes filles et le fiancé vient y prendre place.

Quand le fiancé n’est pas du pays de sa future et que celle-ci doit aller habiter chez lui, la veille du mariage, le futur vient au domicile de la jeune fille pour faire le querroi (transport) des meubles qui ont été apportés chez elle. Il arrive avec un chariot attelé de quatre chevaux (quelquefois deux, mais cela est moins bien) ; l’attelage est conduit par deux de ses amis. On charge les meubles, des personnes de service montent sur le chariot pour aller procéder à l’installation du futur ménage. Le chariot repart, bruyamment et en grande pompe, toujours conduit par les mêmes jeunes amis du fiancé. Derrière, les deux fiancés suivent en voilure, ils emportent avec eux le linge de leur ménage et les effets personnels de la mariée ; quelques parents les accompagnent.

Quand le cortège traverse un village, il appelle l’attention de la population par des cris joyeux et des claquements de fouet ; aux habitants qui accourent, les gens du chariot jettent des morceaux de gâteau. Arrivé au domicile du fiancé, le personnel, venu pour cela, procède au déchargement des meubles et des divers colis, en fait l’emménagement, aménage l’intérieur, range, pose les rideaux, etc. Quand tout est fini, les parents du fiancé offrent un petit repas et la jeune fille revient chez elle dans la voilure qui avait suivi le chariot, avec les parents et les personnes qui l’accompagnaient.

Ainsi s’est accompli gaiement, agrémentée de réjouissances, une opération plutôt ennuyeuse. Les fiançailles n’ont donné lieu à aucune autre remarque spéciale dans le domaine du folklore, mais le mariage lui-même est accompagné de coutumes et d’usages traditionnels assez variés.

Le jour du mariage venu, les fiancés se rendent à l’église, suivis d’un nombreux et joyeux cortège et le prêtre célèbre le sacrement. L’épousée gardera comme un talisman précieux, pour ne jamais manquer d’argent dans l’avenir, les trois pièces de monnaie que le prêtre lui rend, bénies, sur les treize à lui remises par l’époux au commencement de l’office. Vers la fin de la messe se place une coutume autrefois générale dans tout le Vimeu et qui subsiste encore dans quelques endroits. Les pères ou les plus proches parents masculins des deux époux tiennent une draperie au-dessus de leurs têtes, au bas de l’autel, pendant que le prêtre dit des oraisons.

La cérémonie est finie. Sous le porche même de l’église, on apporte aux époux et aux invités des fleurs pour orner les boutonnières et les corsages ; le plus souvent, ce sont des fleurs artificielles, des boutons de rose ou de fleur d’oranger. Les invités paient ces petits présents en menue monnaie. Des gens du pays, mais surtout les jeunes gens qui, le dimanche précédent, ont offert le bouquet aux fiancés, font honneur en tirant des coups de fusil.

Ces fleurs et ces marques d’allégresse semblent annoncer aux nouveaux époux une existence toute de bonheur. Un emblème naïf et simple vient leur montrer que la vie est une succession de joies et de peines : devant l’église et dans les rues du village, sur le parcours du cortège, des jeunes gens tendent des cordes en travers du chemin ; les largesses de l’époux peuvent seules faire tomber l’obstacle et rendre la voie libre.

Cependant, la noce est revenue au logis ; la nouvelle mariée embrasse les parents de son époux, le mari embrasse les parents de l’épousée. Cet usage s’accomplissait autrefois à la sortie de l’église même ; de nos jours, on attend la rentrée à la maison. Il n’en est pas moins touchant et semble le sceau confirmant à jamais l’union des deux familles. Le prêtre a béni l’union, mais ce n’est point toujours suffisant au gré des époux qui lui demandent encore de venir bénir le lit nuptial. Il vient donc au domicile des mariés et fait solennellement cette bénédiction, comme pour sanctifier la consommation du mariage.

Ensuite, le prêtre bénit un gâteau préparé sur la table de nuit, il le découpe lui-même et offre le premier morceau à la jeune fille présente qui, selon lui, devra se marier la première. Celle-ci se défend généralement et finit par accepter ; alors, elle prend le gâteau et le présente à chaque invité, qui en prend un morceau, la demoiselle d’honneur fait de même avec un autre gâteau. Le prêtre débouche lui-même les bouteilles de vin, et l’on trinque.

Le repas de noce est, comme partout, joyeux et bruyant, il ne se signale par aucune particularité se rattachant à la tradition. Citons cependant cet usage disparu aujourd’hui : les nouveaux mariés servaient eux-mêmes leurs invités et ne mangeaient qu’après... et on ne manquait pas de leur faire cette plaisanterie de leur offrir les os et les reliefs du festin, soigneusement recueillis.

A l’occasion du mariage d’un fermier aisé, s’accomplissait naguère à Fressenneville une coutume extrêmement intéressante et curieuse :

A l’issue du repas de noce, avant de prendre le café, on reçoit à la maison l’instituteur, le charron, le maréchal, le marchand de grain et tous les cultivateurs du- pays, convoqués à l’avance. L’instituteur lit un contrat simulé d’achat de terre. Celle lecture faite, le charron s’avance avec une herse en mauvais état, il présente a la mariée une dent de herse qu’elle doit poser en frappant avec un marteau. Puis le maréchal, à son four, s’avance, tenant un cheval à la bride : la mariée doit prendre le pied du cheval et le tenir pendant que le maréchal frappe les clous de la ferrure. Pendant ce temps, des assistants fouettent ou piquent le cheval pour qu’il soit turbulent et que son pied échappe à la mariée.

L'église de Fressenneville

L’église de Fressenneville

L’un des cultivateurs prend, dans un tablier, du grain mélangé de menues pailles, le sème dans la cour, et, de temps en temps, pour rire, en jette au visage des assistants qui se sauvent. La mariée doit atteler le cheval à la herse puis prendre la bride et aller herser là où le grain a été semé. Pendant ce temps, le marié cherche à briser la herse avec un maillet, un marteau ou un autre objet quelconque. Les jeunes gens présents, munis de fouets, frappent le cheval pour le faire se cabrer ou s’échapper et retarder le plus possible le moment où la herse sera brisée entièrement parle mari. L’action cesse quand le marié est parvenu à casser la herse. Alors, les assistants rentrent dans la maison, on sert à boire et à manger aux nouveaux venus et le café est ensuite servi à fout le monde.

Celle curieuse cérémonie est tombée en désuétude depuis assez longtemps, et c’est dommage. N’était-elle pas la représentation symbolique de cet utile et pénible labeur de la terre auquel allaient se livrer les nouveaux époux ? Cette coutume se serait accomplie pour la dernière fois, dans le Vimeu du moins, à Fressenneville le 5 février 1878, au mariage d’Alphonse Mabille et de Mlle Argentine Cassin.

Après le repas qui suit la cérémonie du mariage, si le marié n’est pas du pays, mais des environs, toute la noce part, en voitures au pays du marié, celui-ci offrant le repas du soir. On attelle les chevaux ; tous les invités sont venus avec leurs plus beaux équipages, ils rivalisent à l’envi de chic et s’examinent les uns les autres avec force commentaires ; aux manches des fouets, à la tête des chevaux, sont attachés des rubans et des fleurs ; on part joyeusement. Quand la noce arrive dans le pays du mari, des habitants tendent dans les rues du village des cordes qui barrent la route ; la noce étant arrêtée, ils disent un compliment aux mariés et offrent des petits verres de liqueur aux gens du cortège ; en même temps, ils font une quête. Chaque invité donne son obole, et le produit de cette collecte est affecté a une petite fête.

Quand la noce traverse plusieurs villages, le même usage se répète à chacun, – si les habitants sont prévenus, naturellement. Le repas du soir, pas plus que celui qui a suivi la messe, n’offre rien de bien particulier en ce qui nous intéresse. C’est toujours le même entrain, le même plaisir à la bombance. Souvent, les gamins du village viennent devant la maison ; rassemblés en foule compacte, ils crient à tue-tête : A croûtes ! A croûtes ! jusqu’à ce qu’on leur donne, pour avoir la paix, non des croûtes mais des pâtisseries ; le partage ne se fait pas sans querelles et sans échange de horions.

Dans les campagnes du Vimeu, il n’est guère d’usage, comme chez nos voisins les Normands, de déranger les mariés la nuit et de leur faire des farces ; il n’est pas rare, cependant, qu’ils trouvent dans leur lit, en se couchant, du sel, des orties ou des poils coupés à l’hôte placide de la porcherie, ou bien encore les draps roulés ou cousus, le sommier agrémenté d’un grelot, etc. Ces plaisanteries ont été faites par les jeunes gens à la faveur des allées et venues du mouvement de la maison.

Le lendemain du mariage, on fait dire une messe pour les trépassés des deux familles ; les mariés y assistent avec les invités qui sont restés ; après la messe, on va au cimetière prier sur les tombes. L’après-midi, les mariés vont offrir du gâteau à leurs voisins et à leurs amis.

Copyright © LA FRANCE PITTORESQUE
Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

Imprimer cet article

LA FRANCE PITTORESQUE