LA FRANCE PITTORESQUE
Bicyclettes pour tous les facteurs !
s’écrie-t-on en 1897
(D’après « La concurrence étrangère, les transports par terre
et par mer : documents pour servir à l’histoire économique
de la Troisième République » (Tome 2) paru en 1897)
Publié le mardi 16 septembre 2014, par Redaction
Imprimer cet article
En 1897, et à l’occasion de la récente décision ministérielle de doter les télégraphistes parisiens de bicyclettes afin d’assurer une meilleure distribution des dépêches, Paul Vibert plaide en faveur d’une extension de cet usage à l’ensemble des facteurs ruraux de France, qui n’ont pour la plupart encore que leurs pieds pour seul moyen de locomotion en dépit de la loi de finances du 28 avril 1893 exonérant de taxe les agents qui utilisent le vélocipède pour le service
 

M. Lebon, ministre du Commerce, de l’Industrie et des Télégraphes, est un jeune de beaucoup d’initiative qui ne manque pas de coup d’œil, quoi que l’on puisse dire, écrit Vibert ; aussi vient-il de prendre, sur la proposition de M. de Selves, directeur général des Postes et Télégraphes, une excellente mesure qui sera appréciée de tout le monde les petits télégraphistes, à Paris, vont être munis de bicyclettes.

V'là le courrier !

V’là le courrier !

Aussi les malheureuses dépêches, les petits bleus, comme l’on dit, ne vont plus mettre trois heures, espérons-le, pour arriver à destination, tandis que généralement on pourrait porter une dépêche soi-même à pied en une demi-heure.

C’est donc un progrès et un progrès sérieux dont nous ne saurions trop remercier l’intelligent Ministre du Commerce. C’est bien, sans doute, mais ce n’est point suffisant, et il convient de ne pas s’arrêter en si bon chemin. Il faut accomplir la réforme tout entière, autrement dit il faut s’empresser de donner des bicyclettes à tous les facteurs ruraux de toute la France et... de toutes tes colonies, par tout ou les routes le permettent, se félicite Vibert.

Que l’on ne vienne pas nous objecter la dépense ; il ne serait pas difficile d’en faire supporter tout le poids aux facteurs ruraux eux-mêmes, en les remboursant par mensualité, comme on le fait pour les petits bicyclistes du télégraphe à Paris.

Ou plutôt il ne serait pas difficile de s’entendre avec une des premières maisons de fabrication française, pour obtenir un trentaine de mille de bicyclettes à crédit, dont les paiements seraient échelonnés et de la sorte la charge pour les facteurs ruraux aussi bien que pour le Trésor deviendrait insignifiante, par cela même qu’elle pourrait être facilement répartie sur une assez longue période de temps. Il n’est pas de maison qui ne consentirait à un arrangement de cette sorte, étant absolument certaine d’être payée.

Mettons qu’il y ait 38 000 communes en France, en retranchant les villes et les communes très petites, très agglomérées, je suis persuadé que l’on pourrait à peu près pourvoir intégralement tous les facteurs ruraux de France avec 30 000 bicyclettes, peut-être moins. Et voyez du coup les avantages les lettres, la correspondance arrivent beaucoup plus vite à destination, et, chose qui n’est pas à dédaigner, les facteurs ruraux, ces modestes mais dévoués fonctionnaires sont, du même coup, moitié moins retenus dans la journée, et – point capital – moitié moins fatigués. Ils ne pourront pas aller de porte en porte avec leur machine, me dira-t-on. Parfaitement.

C’est entendu, et je le sais, mais on n’ignore pas qu’ils doivent aller à la ville voisine, au chef-lieu de canton en général, au bureau de poste en un mot chercher leur correspondance et que, pour retourner dans leur village, ils ont souvent un trajet considérable à effectuer. C’est ce trajet aller et-retour qu’ils pourront faire en bicyclette et il leur sera toujours facile de la remiser la matin dans une maison à rentrée du village et de la reprendre le soir ou le lendemain matin, suivant les besoins du service.

Mais ce n’est pas tout, il y a des masses de facteurs ruraux qui ont une course énorme à faire pour porter une lettre dans une ferme isolée et qui même doivent faire plusieurs lieues tous les jours pour porter un journal dans un château perdu au milieu des bois c’est là où la bicyclette doit intervenir et rendre d’immenses services aux pauvres facteurs champêtres, et cela d’autant plus facile- ment que, fort heureusement, nous avons partout en France d’excellentes routes, incapables de faire le moindre accroc aux pneumatiques les plus délicats en général.

Et si j’insiste si particulièrement et si énergiquement sur l’impérieuse nécessité de donner des bicyclettes à tous les facteurs ruraux, c’est que je crois que l’heure est venue de réaliser cet immense progrès.

Moi, le petit neveu de l’un des premiers inventeurs des vélocipèdes au commencement de ce siècle, poursuit Vibert, il y a déjà longues années que je songeais à demander cela, mais devant les perfectionnements de chaque jour et les progrès incessants de la bicyclette, je pensais qu’il était peut-être plus sage d’attendre.

Aujourd’hui tous les perfectionnements, ou à peu près, ont été apportés aux machines et l’on se trouve en face d’instruments très solides, très légers et relativement très bon marché. Je me garde bien de citer le nom d’une maison, mais j’ai la conviction que le gouvernement pourrait réaliser très facilement cette grosse commande de 30 000 bicyclettes au mieux de ses intérêts et pour la plus grande satisfaction de tous, puisque le public aurait sa correspondance beaucoup plus vite, non seulement a cause de la distribution, mais à cause du prompt retour aux bureaux de poste et aux gares de départ, et puisque les facteurs ruraux seraient enchantés de trouver dans l’emploi de la bicyclette une grande économie de temps et de fatigue.

Naturellement, le Gouvernement français ne devrait accepter comme soumissionnaires que des industriels-constructeurs français ne se servant que de pièces intégralement fabriquées en France !

Voilà le vœu de tous les facteurs, de toutes les populations de la France entière, et je suis heureux d’attirer sur lui la bienveillante attention du jeune ministre du commerce, persuadé qu’il voudra bien écouter la voix d’un vieil économiste qui a la prétention de rester toujours pratique et qui, dans l’espèce, n’est que le porte-parole de tous ses concitoyens.

Copyright © LA FRANCE PITTORESQUE
Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

Imprimer cet article

LA FRANCE PITTORESQUE