LA FRANCE PITTORESQUE
Danses languedociennes
(d’après un article paru en 1836)
mars 2002, par Redaction
Imprimer cet article

La plus originale des danses languedociennes est le chibalet, en français chevalet, dansée exclusivement à Montpellier. Un jeune homme monté sur un cheval de carton (qui n’est qu’un cheval postiche attaché à sa ceinture, mais dont la housse richement ornée cache les jambes du prétendu cavalier) exécute des passes de manège au son des hautbois et des tambourins.

Un autre danseur tourne autour de lui, tenant un tambour de basque dans lequel il feint de présenter de l’avoine au chibalet. L’adresse de celui-ci consiste à paraître éviter l’avoine, pour ne pas interrompre ses exercices, tandis que, toujours en cadence et sans se brouiller avec lui, l’officieux pourvoyeur cherche constamment à se placer devant la bouche. Ces deux acteurs principaux déploient beaucoup d’agilité et de grâce dans ce jeu. Vingt-quatre danseurs, vêtus à la légère, les jambes entourées de grelots, et dirigés par deux chefs, se groupent autour du couple principal, et s’entrelacent de mille façons pittoresques, en dansant toujours les mêmes rigaudons que le chibalet.

Cette danse fut exécutée à Paris, au Louvre, lors des réjouissances publiques célébrées pour la convalescence de Louis XV. Elle a été aussi ordonnée en 1835 (pour la première fois depuis la révolution de 1830), par l’autorité municipale de Montpellier, à l’occasion des fêtes de juillet. On fait remonter son origine au treizième siècle. Elle retracerait une circonstance de la vie de Pierre, roi d’Aragon, devenu souverain de Montpellier par son mariage avec Marie, fille du dernier seigneur de cette ville. Pierre traitait son épouse avec froideur. Elle fut même obligée de se retirer à Mireval, à 2 lieues de Montpellier. Un fidèle ami du roi ménagera un rapprochement entre les époux, un jour que la chasse avait amené Pierre auprès de la résidence de la pieuse Marie ; et selon l’usage de ce temps-là, ils revinrent à Montpellier, montés sur un même palefroi. Les habitants, instruits à l’avance de cette heureuse réconciliation, accoururent au-devant de leurs maîtres, en manifestant leur contentement par des rondes, et ce fut pour perpétuer le souvenir de cet heureux jour que la danse du chibalet fut instituée.

Las treilhas, les treilles, sont aussi presque particulières à Montpellier. C’est une danse des plus gracieuses, exécutée par huit à douze couples de femmes, vêtues de blanc, avec des rubans et des ceintures, qui sont bleues pour la moitié des danseuses, roses pour les autres. Elles ont des fragments de cerceaux, garnis de mousseline blanche et de nœuds de rubans, aussi bleus ou roses, et dont elles tiennent les extrémités à la main. Ce sont alors des évolutions variées et très compliquées, pendant lesquelles les deux troupes se mêlent sans se confondre, s’entrelacent en gracieux méandres, formant de temps à autre des berceaux avec leurs cerceaux enrubannés, et mille dessins pittoresques.

Le cotillon ou grand-père, qu’on danse quelquefois dans nos salons, et avec fureur dans ceux de Saint-Pétersbourg, offre des figures analogues.

La danse des bergers est d’un tout autre genre. Elle s’exécute lors de l’Assomption dans quelques bourgs de l’Hérault. Ce sont en effet des pâtres qui parcourent les rues sur deux files, sautillant en cadence, au son du tambour et des hautbois ou clarinettes. Ils sont en manches de chemises, pantalons blancs et souliers ornés de rubans, armés de gros bâtons. En tête marche un jeune enfant de 8 à 9 ans, le plus souvent c’est un garçon, mais il est toujours habillé en fille, avec des oripeaux éclatants, du fard, et une couronne de fleurs. Il est escorté par un adolescent armé d’une baguette blanche.

De distance en distance, le cortège s’arrête sans cesser la musique ni la cadence. Les deux files de pâtres font volte face, et chaque homme se trouve vis-à-vis d’un adversaire. Alors s’engagent autant de combats simulés qu’il y a de couples. Bien que ce ne soit qu’un jeu, l’amour propre et le vin échauffent les têtes exposées à un soleil ardent, et souvent les bâtons portent de rudes atteintes. Dès que l’adolescent voit que la plaisanterie devient trop forte, il s’élance en dansant, et de sa légère baguette il sépare les terribles gourdins qui doivent céder à l’instant.

Le piquant du jeu, pour ses rustiques spectateurs, consiste à ne séparer les combattants qu’au dernier moment, et il arrive trop souvent que, pour remplir cette condition, le pacificateur ne survient qu’après quelque coup sérieux donné ou reçu. Ensuite les files se reforment, et la marche est reprise.

Si de tels divertissements ne sont plus dans nos moeurs, on ne peut cependant s’empêcher d’admirer quelquefois l’adresse de ces athlètes rustiques, et la fierté de leurs regards, d’autant plus remarquables, que cette classe d’hommes, vouée par état à une solitude habituelle, conserve quelque chose de primitif et une empreinte moins effacée que ceux qui sont exposés au frottement continuel de la civilisation.

Copyright © LA FRANCE PITTORESQUE
Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

Imprimer cet article

LA FRANCE PITTORESQUE