LA FRANCE PITTORESQUE
Habitants des Landes de Gascogne (Les)
(Récit paru en 1835)
février 2001, par Redaction
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Il n’est pas besoin de sortir de France pour trouver des moeurs nouvelles et des habitudes étranges. Notre gravure reproduit l’aspect d’un costume certainement des plus singuliers, et que l’on chercherait vainement en toute autre contrée : ce sont des bergers et bergères, élevés sur de hauts bâtons et couvert de peaux de mouton.

Si l’on ajoute à ce bizarre accoutrement un langage incompréhensible pour la majeure partie des Français, un sol inculte, de tristes forêts de pins ou bien un tapis de bruyères étendu à perte de vue, une nature humaine maigre, have, décolorée, d’une taille au-dessous de la moyenne, des moutons petits, des chevaux petits, de petites charrettes traînées par des petits bœufs, on aura un premier aperçu des curiosités que présentent à l’observateur les Landes de Gascogne.

Les échasses (changuées ou xcanques) sur lesquelles sont juchés les pasteurs ont leur raison d’utilité dans la nature du pays. Le peu d’écoulement offert par un terrain généralement plat produit des flaques d’eau croupissante ou des mares d’un à deux pieds de profondeur, qu’il serait impossible de franchir sans le secours des échasses. Une vieille chanson, intitulée la Grande chanson des pèlerins de monsieur saint Jacques, exprime, dans le couplet suivant, combien il est pénible de voyager à pied dans ces terres noyées et bourbeuses :

Quand nous fûmes dedans les Landes
Bien étonnés,
Nous avions l’eau jusqu’à mi-jambes
De tous côtés.
Compagnons, nous faut cheminer
En grand journée
Pour nous tirer de ce pays
De grand’ rosée.

D’ailleurs le berger, élevé de toute sa hauteur au-dessus des taillis qui le masqueraient, veille plus facilement sur son troupeau dispersé au milieu des bruyères. Les échasses sont munies d’une planchette ou étrier où repose le pied ; elles sont attachées aux côtés extérieurs des cuisses, qu’elles emboîtent en partie,

Habitants des Landes

Habitants des Landes

mais de façon toutefois à ce que le genou conserve la liberté de faire une légère flexion. De crainte que l’extrémité qui appuie sur le sol ne s’abîme trop vite ou ne se brise au choc d’une pierre, on l’enfonce dans un os. Avec cet appendice au bout de leurs jambes, les Couziots, Lanusquets, Cocozales ou Parens (car ils ont ces différents noms), franchissent prestement des distances considérables ; en marchant au pas, ils dépassent un cheval au trot.

Lorsque Marie-Louise fit un voyage à Bayonne, les autorités, par manière de galanterie, firent courir, auprès de sa voiture, pendant quelques lieues une escorte de Landais montés sur leurs échasses, et quelque diligence que fît la princesse, les piétons, si l’on peut leur donner ce nom, se conservèrent toujours à côté des chevaux. Le fait m’a du moins été conté dans le pays, et ce que je vis moi-même de la vitesse ordinaire des Couziots m’empêcha de faire la moindre objection.

Le long bâton que l’on voit entre les mains des bergers ne leur est pas nécessaire à la marche, mais il leur sert à se reposer et à s’asseoir lorsqu’ils veulent s’arrêter. On est étonné de l’adresse que montrent les Couziots lorsqu’ils ont besoin de ramasser quelque chose à terre. Souvent, pour chausser leurs échasses, ils s’asseoient sur le manteau de la cheminée ou sur un toit d’étables ; mais ils savent aussi, étant à terre, et notre gravure le montre, ajuster leurs bâtons à leurs jambes, et se redresser lestement. La seule distraction des bergers dans les Landes est de tricoter, ou de filer au fuseau avec la quenouille à la ceinture. C’est ainsi qu’ils passent leur vie. Mal nourris, buvant de mauvaise eau, faisant un continuel usage d’assaisonnements énergiques, réveillant par l’eau-de-vie l’atonie de leur palais blasé, ils vieillissent prématurément, et arrivent rarement à l’âge de soixante ans.

Leur nourriture consiste en pain de seigle, en bouillie de farine de maïs ou de millet, épaisse et froide, qu’ils coupent en tranches et trempent dans la graisse fondue ; enfin quelquefois en sardines salées de Galice et en lard frit. Le fusil contre les loups, et la poêle à frire pour le lard ou pour l’escaudon de maïs, complètent l’étrangeté de leur habillement en peaux de mouton.

D’après ce qui précède le lecteur ne supposera pas beaucoup d’art dans la façon du costume ; et en effet, pour complément des culottes, ce sont tout simplement deux peaux attachées autour des jambes avec une corde, et, pour habit, deux peaux cousues ensemble et percées pour le passage des bras. Toutes ces peaux ont la laine en dehors. Par-dessus cet accoutrement, ils revêtent pendant l’hiver une pelisse blanche de tissu grossier, appelée par quelques-uns manteau de Charlemagne ; cette pelisse porte un capuchon pointu, à la Robinson, orné de quelques bandes bariolées de rouge et garnies de crins de cheval.

Le Landais ne se sert du chapeau que par extraordinaire : sur sa tête on ne voit généralement que le berret brun, rond et plat, coiffure d’origine grecque selon Caylus, et apportée, dit-on, en Biscaye par les Phéniciens ; coiffure que certains antiquaires estiment être le chapeau de Thessalie dont Caligula permit au peuple romain de se couvrir à l’amphithéâtre. Les Landais, dit M. Thore dans son intéressante promenade sur les côtes du golfe de Gascogne, forment pour ainsi dire un peuple voyageur, dont la moitié demeure à tour de rôle dans ses foyers pour vaquer à la culture du pin ou de la terre, pendant que l’autre se rend avec ses bœufs aux marchés les plus voisins pour y vendre ses denrées. Malgré les dehors de la complexion la plus faible et la plus délicate, ils bravent impunément toutes les intempéries de l’atmosphère, couchant les quatre cinquièmes de l’année sur la paille quand ils sont en voyage.

Le cultivateur est borné dans ses idées, entêté à l’excès, ennemi de toute nouveauté, jaloux jusqu’à la cruauté, sombre, taciturne, et cependant bon, toujours disposé à obliger, incapable de vol et de fraude. Sa maison et ses haillons qui couvrent sa famille, tout annonce la misère, et néanmoins ses dehors dégoûtants ne sont qu’apparents ; ils ne sont pas non plus les compagnons du crime ; l’étranger égaré dans ces espèces de déserts n’a rien à redouter de la part de l’homme ; nulle part, au contraire, dans les parties civilisées du département, l’hospitalité n’est exercée avec autant de loyauté. On est sûr de trouver sous le chaume des prévenances et des soins qui contrastent avec la rudesse des manières de celui qui les prodigue.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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