LA FRANCE PITTORESQUE
Henri IV restaure la monarchie
et relève l’État
(Chapitre 10)
(par Jacques Bainville)
Publié le dimanche 10 juillet 2011, par Redaction
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La ligue fut une révolution catholique mais une révolution. Et Michelet a écrit ce mot qui va loin : « La Ligue donne pour deux cents ans l’horreur de la République. » Au siècle suivant, cette horreur sera renouvelée par la Fronde
 

À la mort d’Henri III , la France, au fond d’elle-même, aspirait au retour de l’ordre. On se représente ce que trente ans de guerres civiles avaient déjà coûté. Quatre millions d’hommes peut-être. Et que de ruines ! « Pitié, confusion, misère partout », disait Henri IV. Le plus grand des maux, cause de tout, c’était encore l’anarchie. Qui gouvernerait ? La Ligue à Paris, et dans la plupart des grandes villes. Et l’esprit républicain des ligueurs ne le cédait guère à celui des protestants. Dans les provinces, des gouverneurs se taillaient des principautés. Le gouvernement légitime, régulier, n’était plus qu’un parti, celui des royalistes, et il s’en fallait de beaucoup qu’il fût le plus fort. Il avait pourtant l’avenir pour lui, comme le distingua tout de suite le Sénat de la République de Venise, qui fut la première puissance en Europe à reconnaître Henri IV.

Sans l’affaire de la religion, Henri de Bourbon n’aurait pas eu de peine à reconquérir son royaume. Il dut à la fin se convaincre que, si la France désirait un roi, elle ne voulait qu’un roi catholique. Choisir l’heure de la conversion, c’était la difficulté. Henri IV eût préféré ne se convertir que vainqueur, librement. S’il avait abjuré dès le lendemain de la mort d’Henri III, comme on l’en pressait, tant de hâte eût été suspecte. Il n’eût pas été sûr de désarmer les ligueurs et de rallier tous les catholiques, tandis que les protestants, qui déjà n’avaient en lui qu’une confiance médiocre, l’eussent abandonné. Pour ne pas tout perdre, il devait courir sa chance, attendre d’être imposé par les événements. La joie de Paris à la nouvelle du crime de Saint-Cloud, l’exaltation du régicide par la Ligue, l’avertissaient assez que l’heure n’était pas venue. Dans sa déclaration du 4 août, il se contenta de jurer que la religion catholique serait respectée et que, dans les six mois, un concile déciderait de la conduite à tenir. Cette demi-mesure, peut-être la seule à prendre, ne contenta pas tous les royalistes dont certains refusèrent de le servir tandis qu’un grand tiers de l’armée protestante s’en alla, reniant ce parjure. Sans la noblesse, qui lui fut généralement fidèle et mérita bien de la France, il n’eût gardé que bien peu de monde autour de lui.

Roi de France, Henri IV était plus faible que roi de Navarre, presque aussi faible que l’avait été Henri III. Il n’était en réalité qu’un prétendant et sa seule force était le principe héréditaire. Obligé de lever le siège de Paris, le voilà courant l’ouest de la France, poursuivi par l’armée de la Ligue, recevant des secours et des troupes de la reine d’Angleterre, tandis que les ligueurs étaient aidés par le roi d’Espagne : à travers nos guerres civiles, Élisabeth et Philippe II cherchaient à s’atteindre, l’étranger profitait de nos querelles, mais Henri IV s’honora en refusant à quelque prix que ce fût de promettre Calais. Mayenne, le frère d’Henri de Guise, qui commandait, d’ailleurs mal, l’armée de la Ligue, se fit battre à Arques, près de Dieppe. À Ivry (1590), le jour du « panache blanc », Henri IV remporta un autre succès. Victoires infiniment utiles à sa cause mais qui ne terminaient rien. Revenu sous les murs de Paris, la ville lui résista passionnément.

Que de sièges a subis Paris dans sa longue histoire ! Celui-là ne ressemble à aucun autre par l’obstination des assiégés. Tantôt bloqué, tantôt débloqué, Paris, de plus ou moins près, fut investi pendant près de quatre ans. Deux fois Henri IV crut y entrer de force. Il échoua deux fois. Il semblait que le roi calviniste fût rejeté par les murs eux-mêmes. Peut-être eût-il réussi enfin par le blocus et la famine, qui fut terrible, si le duc de Parme, envoyé par Philippe II à la tête d’une armée espagnole, ne l’eût obligé à s’éloigner. Toutefois Henri IV ne cédait pas et Paris non plus. Les six mois qu’il avait fixés étaient écoulés depuis longtemps et, la situation n’ayant pas changé, Henri IV jugeait toujours sa conversion humiliante et plus propre à l’affaiblir qu’à le fortifier. Pour sortir de là, il fallait que la Ligue se reconnût impuissante à donner à la France un gouvernement régulier.

Le sien était chaotique, révolutionnaire. Sans doute la Ligue avait un roi, mais ce roi, le prétendu Charles X, cardinal de Bourbon, n’était qu’une figure décorative et, par surcroît, il avait été prisonnier d’Henri III qui s’était bien gardé de le relâcher, le hasard l’ayant mis entre ses mains. Le roi de la Ligue ne devait pas tarder à mourir, et sa mort excita de nombreuses ambitions. On était tellement convaincu que jamais Henri IV ne parviendrait à se faire reconnaître, que des candidats au trône se présentèrent. Le roi d’Espagne le réclama, nonobstant la loi salique, pour sa fille Isabelle, petite-fille d’Henri II. Le duc de Savoie, petit-fils de François Ier, se mit sur les rangs : celui-là pensait que la France serait démembrée et se fût contenté du Dauphiné et de la Provence. Le duc de Lorraine était encore candidat, ainsi que Mayenne qui comptait bien que le pain cuisait pour lui. Ces ambitions s’opposaient et se paralysaient. Henri IV en profita.

Cependant, les maîtres de Paris, appuyés sur l’organisation de la Ligue, c’étaient les Seize, et ce comité de salut catholique régnait par la terreur, appliquait à ses adversaires et même aux modérés les mesures classiques des révolutions, loi des suspects, saisie des biens d’émigrés, proscription, épuration des fonctionnaires. Après un jugement sommaire, le premier président du Parlement et deux conseillers furent pendus pour « trahison ». Cet acte de terrorisme inquiéta Paris, plus encore le duc de Mayenne. Jusqu’où les obscurs tyrans iraient-ils ? Déjà ils avaient appelé une garnison espagnole, ils envoyaient des adresses de fidélité à Philippe II. Le duc de Mayenne, encouragé par les ligueurs « politiques » qui, au fond, étaient les plus nombreux dans la population parisienne, brisa la faction des Seize dont quelques-uns furent pendus à leur tour. Ceux qui ne s’enfuirent pas furent jetés en prison.

La Ligue subsistait, mais son pouvoir politique était diminué, son organisation affaiblie. En frappant la démagogie, Mayenne rendait service à Henri IV, s’il croyait ne travailler que pour lui-même. D’ailleurs, le temps passait et, ni d’un côté ni de l’autre, on n’arrivait à rien. On couchait sur ses positions. Henri IV, repoussé de Paris, avait, dans les mêmes conditions, échoué devant Rouen qui ne voulait pas non plus de « roi hérétique » Cette impuissance des deux camps engendrait la lassitude qui elle-même conduisait à des tentatives de rapprochement. Le parti des politiques, le tiers parti, commençait à dire tout haut que la mieux serait de s’entendre avec la roi de Navarre. Mais la difficulté était toujours la même, car Henri IV voulait être reconnu sans conditions. Déjà résolu à « sauter le pas », à se convertir, il voulait que son abjuration fut volontaire. Il entendait ne devoir la couronne qu’à la légitimité et ne laisser la monarchie dépendre de rien ni de personne, ni de la religion, ni du pape, ni de l’autorité usurpés par une ligue. Toute sa manœuvre tendit à préserver l’indépendance du pouvoir royal et à éviter jusqu’aux apparences d’une constitution imposée par les ligueurs.

Pour que sa légitimité l’emportât, il fallait une dernière expérience : c’était que la Sainte-Union fût reconnue incapable de fonder un gouvernement régulier. Les états généraux de 1593, convoqués pour l’élection d’un roi, aboutirent à un échec complet. Là encore, ce fut le duc de Mayenne qui, sans le vouloir, aida Henri IV. Désireux de prendre pour lui-même la royauté vacante et d’écarter l’infante dont la candidature était posée par Philippe II, protecteur de la Ligue, Mayenne adressa un appel aux royalistes et leur demanda de participer aux états. Henri IV saisit cette occasion pour affirmer ses droits et annoncer qu’il était prêt à se convertir. Cette nouvelle, lancée à point, produisit une sensation immense. Parmi les ligueurs, le groupe des politiques fut encouragé. L’élan, la faveur publique passaient de leur côté et le pamphlet que rédigeaient quelques-uns d’entre eux, polémistes et journalistes de talent, la célèbre Satire Ménippée, ridiculisait les intransigeants et rendait odieux leurs alliés espagnols. Même dans les états ligueurs, la résistance à l’intervention étrangère grandit. Des voix s’élevèrent pour protester contre l’abrogation de la loi salique, et la candidature de l’infante Isabelle, présentée par Philippe II, soutenue par le légat du pape, combattue en arrière par Mayenne, souleva de nombreuses objections. L’affaire traînait dans des débats sans fin, lorsque le Parlement, conservateur des lois fondamentales, prit une initiative. Par un arrêt retentissant qui fut porté et signifié à Mayenne, la cour suprême déclara que le royaume ne pouvait être occupé par des étrangers. L’intrigue espagnole, qui languissait, fut écrasée du coup.

Les événements conspiraient pour Henri IV et les intransigeants de la Ligue perdaient du terrain. Le sentiment national s’était réveillé et ce réveil profitait au droit royal. Depuis la fin d’avril, des conférences duraient à Suresnes entre ligueurs modérés et royalistes catholiques à la recherche d’une solution. Ce rapprochement était à lui seul un résultat considérable, d’autant plus que les négociateurs, se sentant soutenus par l’opinion publique, persistaient à garder le contact malgré les difficultés qui surgissaient. Henri IV avait espéré que sa promesse de conversion suffirait pour qu’il fût reconnu. Mais il devint évident qu’il fallait céder sur ce point pour réussir et qu’il devait se convertir d’abord. D’ailleurs, la conversion précédant la reconnaissance n’avait plus les inconvénients qu’elle présentait avant les états généraux. Le désir de paix, le besoin d’un gouvernement régulier étaient devenus tels que le roi ne risquait plus, comme il l’eût risqué quelques mois plus tôt, de se convertir pour rien. Dès qu’il serait catholique, le mouvement en sa faveur serait irrésistible. Mais il fallait qu’il fût catholique pour entraîner le mouvement.

C’est en effet ce qui se passa. Le 25 juillet 1593, Henri IV abjura en l’église Saint-Denis, à deux pas de Paris où la Ligue résista encore huit mois, sans espoir. Du moins son obstination prouvait-elle la puissance de l’idée d’où elle était sortie : quinze ans plus tard c’est encore sa passion qui armera Ravaillac. Dans sa défaite, la Ligue restait victorieuse : elle avait arraché l’État au protestantisme. Elle avait détruit la chance qu’avait eue un moment la cause calviniste, la chance qui avait voulu que le légitime héritier de la couronne fût un protestant. Mais ce que la Ligue avait méconnu, c’est-à-dire le caractère héréditaire et national de la monarchie, prenait aussi sa revanche. La France n’avait pas voulu d’un roi hérétique, mais elle n’avait pas voulu d’un roi étranger ou d’un roi élu. Ses institutions étaient sorties intactes de la tempête. La restauration d’Henri IV, car ce fut, comme pour Charles VII, une restauration, consolidait la monarchie dont l’avenir, depuis cinquante ans, était devenu douteux.

Les talents politiques du roi, sa bonne humeur firent le reste. Il a plu à la France, mais sa plus grande qualité a été de lui rendre l’ordre et le repos. On lui passa, on trouva héroïque et charmant ce qu’on eût condamné chez d’autres, ses caprices, ses amours, et même des indélicatesses choquante. Ni les contemporains, ni l’histoire n’ont eu de blâme très sévère pour Gabrielle d’Estrées et Henriette d’Entraigues, et l’on admire qu’il ait mérité ce nom de Vert-Galant. Ainsi, La Vallière, Montespan, Maintenon rayonnent de la gloire de Louis XIV tandis que Louis XV est flétri, et que les vertus de Louis XVI ne lui ont pas été un titre. C’est la politique qui fait les réputations.

À partir de l’abjuration, tout réussit à Henri IV parce que les Français étaient las de l’anarchie et de l’intervention étrangère et, selon son mot, « affamés de voir un roi ». Ne pouvant aller à Reims, encore aux mains des Guise, il fut sacré à Chartres. Il négociait avec le pape pour que son excommunication fût levée. Cependant, ses forces grandissant chaque jour, il menaçait de reprendre les hostilités contre ce qui restait de rebelles tout en leur laissant espérer de l’indulgence, et la Ligue, qui avait perdu sa raison d’être, commençait à se dissoudre. Le parti des politiques l’emportait presque partout. Le duc de Mayenne, jugeant la partie perdue, quitta Paris dont les ligueurs ralliés ouvrirent bientôt les portes à Henri IV. Le 22 mars 1594, le roi fit son entrée dans la ville, presque sans résistance. Le gouvernement de la Ligue s’évanouit, la garnison espagnole sortit librement et une large amnistie fut accordée à ceux qui s’étaient compromis jusqu’au bout.

Il ne faudrait pourtant pas croire que l’ordre et la tranquillité fussent revenus et les divisions effacées du jour au lendemain. Les esprits avaient été trop émus, la France trop secouée et l’on devine ce qu’un demi-siècle de guerre civile avait laissé d’anarchie. En l’absence d’autorité publique, une sorte de féodalité s’était reconstituée. C’est elle que Richelieu devra achever d’abattre. Henri IV, jusqu’au jour de son assassinat, fin d’une longue série d’intrigues, sera entouré de haines et de complots. Avant de tomber rue de la Ferronnerie, il échappera à d’obscurs régicides comme Jean Châtel, il devra condamner à mort un haut conspirateur comme Biron. Entre les catholiques et les protestants, la balance sera difficile à tenir, les catholiques toujours en méfiance contre l’hérésie, les protestants, avec leur « esprit inquiet », toujours avides de ces « sûretés » par lesquelles ils tendaient à former un État dans l’État.

Henri IV passa encore quatre ans en opérations de police, en négociations et en marchandages de toute sorte avant de redevenir le maître dans son royaume. Il achetait ceux qu’il ne pouvait réduire et beaucoup d’anciens ligueurs, parmi lesquels les princes de la maison de Lorraine, vendirent très cher leur ralliement. Mayenne fut pardonné parce qu’il n’avait jamais accepté le démembrement de la France : l’idée du roi, celle de la réconciliation nationale, paraissait dans ce noble motif.

La Ligue n’abdiqua vraiment comme organisation politique que le jour où Henri IV eut reçu l’absolution du pape. Restait à vaincre l’obstination de Philippe II qui ne se résignait pas au relèvement de la France et qui gardait encore chez nous quelques complices. Henri IV appela le pays à s’affranchir tout à fait de 1’étranger. Cette guerre de délivrance devait effacer le souvenir des guerres civiles, et le calcul était bon. Malheureusement, la France était si épuisée que, malgré un succès à Fontaine-Française, nous éprouvâmes de sérieux revers. En 1595, Amiens fut pris, Paris menacé et il fallut solliciter le secours de l’Angleterre qui se fit beaucoup prier, demanda même, ce qui lui fut de nouveau refusé, de mettre des soldats à Calais, et nous aida faiblement sur terre mais se chargea volontiers de poursuivre les Espagnols sur mer. L’Espagne ne s’était jamais remise du désastre naval de l’Armada. Il fallut qu’elle fût épuisée elle-même pour que Philippe II consentît à signer la paix de Vervins. Il avait perdu la partie en France et il l’avait à moitié perdue aux Pays-Bas. La Hollande s’était affranchie et le nouvel État, les « Provinces-Unies », formé par de durs combats pour sa liberté, ajoutait un élément actif à la politique de l’Europe.

Presque en même temps que la paix de Vervins fut signé l’Édit de Nantes (13 avril 1598). Les protestants avaient été aussi longs que la Ligue et l’Espagne à reconnaître le fait accompli. Depuis la conversion du roi, ils ne cessaient de s’agiter, de tenir des assemblées, d’adresser au gouvernement des plaintes et des sommations, de chercher des appuis au-dehors, et même de profiter, pour accroître leurs exigences, des embarras et des revers du gouvernement, comme ce fut le cas au désastre d’Amiens. C’est quand ils virent que la paix avec l’Espagne allait être conclue qu’ils réduisirent leurs prétentions et acceptèrent un accord. En effet, l’Édit de Nantes ne fut pas un acte gracieux, dû à la volonté du roi, dans la plénitude de sa souveraineté, mais un traité dont les articles furent débattus comme avec des belligérants. Si Henri IV l’avait pu, il n’aurait pas payé l’apaisement d’un tel prix, ni accepté des conditions aussi dangereuses. Si les calvinistes n’avaient été remplis de méfiance, s’ils avaient désiré rentrer dans la communauté au lieu de rester organisés en parti, ils se fussent contentés de la liberté de conscience. À cette liberté, il fallut, pour obtenir leur signature, ajouter les garanties non seulement politiques, mais territoriales : plus de cent villes, dont quelques-unes très importantes et capables de soutenir un siège, La Rochelle, Saumur, Montauban, Montpellier. Et ces places de sûreté devaient être entretenues aux frais du Trésor, c’est-à-dire par tous les contribuables, même catholiques. En outre, avec leur synode et leurs assemblées, les calvinistes gardaient les organes d’un gouvernement, une autonomie, ce qu’on a pu définir une « république autorisée ». Un pareil démembrement de la souveraineté publique serait inconcevable de nos jours. Même alors, quand le régime des privilèges et des franchises était couramment admis, les concessions accordées au parti protestant parurent fortes. Il ne devait pas tarder à paraître qu’elles étaient dangereuses. Ces conditions s’accordaient mal, de part et d’autre, avec l’idée de tolérance. Henri IV signa sans doute avec l’espoir que c’était un premier pas, que l’apaisement définitif viendrait... Il dut surtout considérer que le parti protestant était toujours capable de mettre sur pied vingt-cinq mille soldats et de reprendre la guerre. Les huguenots lui avaient arraché l’Édit de Nantes par la force comme la Ligue lui avait arraché sa conversion. L’opinion publique ne s’y trompa pas et l’Édit ne passa qu’avec peine : c’était l’annonce de la future révocation. Il fallut, pour obtenir l’enregistrement, que le roi négociât, que le traité subît des retouches, enfin qu’il agît sur les Parlements soit par son éloquence, soit par autorité. Celui de Rouen ne s’inclina tout à fait qu’en 1609.

Henri IV qui connaissait et craignait ses anciens coreligionnaires, ne fut tranquille que quand il eut donné une sévère leçon à leur protecteur, le duc de Bouillon, qui, par sa principauté de Sedan, alors hors de France, pouvait être redoutable. Cependant une autre leçon avait été administrée au duc de Savoie qui continuait à convoiter nos provinces du sud-est. Une brillante campagne nous valut la Bresse, le Bugey et Gex, tandis que la France, en renonçant au marquisat des Saluces, marquait qu’elle renonçait aux aventures d’Italie. La politique des agrandissements reprenait, la politique traditionnelle, patiente, mesurée, observant la loi de l’utile et du possible, celle que Richelieu définira : « Achever le pré carré. » Le roi améliora encore sa position européenne en épousant Marie de Médicis, apparentée à la maison d’Autriche et au pape Clément VIII, et la reine, en donnant un héritier au trône, abolissait la crainte d’une autre succession protestante, ainsi que d’une ligue nouvelle. Après tant de traverses, la monarchie se consolidait.

En même temps, peu à peu, revenaient le calme et l’ordre. Aux premières années du dix-septième siècle, le passif du seizième commençait à se liquider. Le relèvement économique et financier alla du même pas que le relèvement politique. Avec Sully, type nouveau de l’homme d’affaires protestant, Henri IV travailla à rétablir la fortune de la France. Le délabrement du pays, le désordre de l’administration, l’appauvrissement des familles, étaient immenses. Lorsque le roi souhaitait que chacun pût, le dimanche, mettre la poule au pot, il évoquait des années de privations. Lorsque Sully disait l’autre mot célèbre : « Labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France », il partait de cette idée juste que l’agriculture est la source de notre richesse. On reconstruisit, comme on reconstruit toujours, avec du bon sens, par le travail et l’épargne, avec des principes paysans et bourgeois. Sur sa base agricole, sa terre qui récompense toujours le labeur, la France refit de la richesse. Comme on dit, les affaires reprirent. Des industries, encouragées par le gouvernement, se fondèrent. L’esprit d’entreprise se ranima et nos Dieppois commencèrent nos colonies.

La France se reconstituait, elle reprenait des forces au moment où l’Europe avait besoin d’elle. Ce qui nous avait sauvés, pendant nos déchirements, c’était la rivalité de l’Angleterre et de l’Espagne, c’était la lutte des Pays-Bas contre leurs maîtres espagnols, c’était l’effacement de l’Empire germanique. Depuis que Charles Quint avait disparu, les Habsbourg de Vienne, tout en gardant la couronne impériale, n’avaient plus de pouvoir réel en Allemagne. L’indépendance des princes allemands, les progrès du protestantisme, le conflit des religions avaient divisé l’Allemagne et rendu inoffensifs les Habsbourg relégués au fond du Danube. Ils pouvaient toujours redevenir dangereux par leur alliance avec les Habsbourg de Madrid et le devoir de la politique française était de surveiller la maison d’Autriche. Aux premières années du dix-septième siècle, il était visible à bien des signes qu’elle se réveillait et se préparait à reconquérir son autorité en Allemagne en prenant la tête d’un mouvement catholique avec l’appui de Philippe III. Le danger était le même que sous Charles Quint. Henri IV le vit et il encouragea les princes protestants d’Allemagne à la résistance. Cette politique, si naturelle, était encore plus difficile qu’au temps d’Henri II, car Henri IV devait, plus qu’un autre, éviter de se rendre suspect de sympathies pour la cause de la Réforme. Ses intentions pouvaient trop aisément être travesties. Une politique extérieure purement française, mais dirigée par la force des choses contre une puissance catholique, ranimait les accusations et les soupçons des vieux ligueurs.

Il fallut pourtant prendre parti lorsque se présenta l’affaire de la succession de Juliers. En revendiquant cet héritage, la maison d’Autriche cherchait à s’installer sur la rive gauche du Rhin. De là, elle eût menacé et les Provinces-Unies des Pays-Bas, et la France qui ne pouvait se dispenser d’intervenir. La politique d’Henri IV fut celle de François Ier et d’Henri II : s’opposer à la domination d’une grande puissance, protéger l’indépendance des États moyens et petits. Dans son « grand dessein », Sully n’a laissé qu’une caricature de cette vue réaliste, si conforme à la position de la France et à ses intérêts. Henri IV cherchait l’équilibre et non l’utopie.

Il était prêt à chasser les Habsbourg de Juliers, au risque d’une guerre, pour en éviter une plus grave dans l’avenir. Ces préparatifs n’allèrent pas sans murmures. On racontait que le roi s’alliait à tous les protestants d’Europe pour combattre la religion catholique et même le pape. Propagées par l’ennemi, ces fables couraient la France. Il y avait aussi, jusqu’à la cour, un parti qui était hostile à un conflit avec l’Autriche et l’Espagne. Dans cet émoi du sentiment public, où remontaient les souvenirs des guerres de religion, il se trouva un esprit faible et exalté pour penser au régicide. En assassinant Henri IV, le 14 mai 1610, Ravaillac crut faire œuvre sainte. Son crime reproduit celui de Jacques Clément. Henri IV est tombé sous le couteau d’un revenant de la Ligue, comme Henri III sous le couteau du moine quand la Ligue était dans son ardeur.

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