LA FRANCE PITTORESQUE
Pons : ville des ponts ou du
neveu du grand Pompée ?
(D’après « Chroniques saintongeaises et aunisiennes », paru en 1857)
Publié le mardi 10 mars 2015, par Redaction
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La ville de Pons, en Saintonge, nous offre l’exemple de la légende se mêlant intimement à l’histoire, et montre toute la difficulté qu’il y a parfois à n’extraire que les faits avérés de récits parfois héroïques et anachroniques
 

Au Moyen Age, les événements extraordinaires avaient seuls le pouvoir de faire impression sur les diverses classes de la population, et on admettait sans examen les faits les moins vraisemblables, s’ils flattaient l’orgueil des chevaliers et l’amour-propre national. On croyait donc fermement et généralement que les Francs descendaient tous en ligne directe de Francus, fils d’Hector, qui avait échappé au désastre de Troie et était venu se réfugier sur les bords du Rhin, d’où ses descendants avaient ensuite envahi les Gaules.

Pons. Le donjon

Pons. Le donjon

Le roi Arthur passait pour avoir institué l’ordre des chevaliers de la Table Ronde, dans lequel avaient été admis l’empereur Charlemagne et les douze pairs de France. Les troubadours répétaient leurs chants, joyeux ou guerriers, de châteaux en châteaux, et ils inspiraient toute confiance aux seigneurs, à leurs hommes d’armes, pages, varlets, et aux habitants des villes et des campagnes. Arthure, prince de Caerléon, repoussa avec un grand courage les invasions des Saxons, et remporta sur eux, en 520, la victoire de Badon Hill. Ce fut lui que les troubadours proclamèrent le chef des chevaliers de la Table Ronde ; mais il n’existait, au commencement du sixième siècle, aucun ordre de chevalerie en Angleterre. Arthur a existé, mais on lui a attribué des faits qui en feraient, aux yeux de l’histoire, un personnage fabuleux, seulement en ce sens, et non pour sa vie politique. C’est ainsi que L’Arioste a fait de beaux vers sur un prétendu siège de Paris, par les Sarrasins, au temps de Charlemagne.

Il ne faut donc pas s’étonner si on a cherché à faire remonter l’origine de Pons jusqu’au temps des Romains. L’historien Maichin, auquel on peut reprocher une trop grande crédulité, en beaucoup de circonstances, n’ose pas néanmoins rejeter l’opinion la plus raisonnable et même la seule admissible, et voici comment il soumet la question à son lecteur :

« L’opinion commune est, que la ville de Pons a esté ainsi nommée à cause du nombre de ponts qui sont en ce lieu ; mais d’autres estiment qu’un certain AElius Pontus, neveu du grand Pompée, en a jeté les premiers fondements, et lui a imposé son nom. Le sentiment de ceux-ci est fondé sur quelques médailles anciennes, trouvées parmi les ruines du pilier tombé, qui servoit de soustien du chasteau du côté de la place et rue des Juifs, où l’on remarque diverses inscriptions, et nommément celle-ci : AElius Pontius Nepos pom. magn. tumul.

« A quoi, dit Du Chesne, ils ajoutent encore quelques autres témoignages tirés du trésor de cette ville, et prétendent prouver, par ces monuments anciens, que les seigneurs de Pons sont sortis de cet illustre Romain, comme cettuy-ci : Armandus Vlnerius Pontius, et Anobalda uxor. Dii volent. Albinus Cosseius Pontius filius Anab. Vlneri D. A. Pont, et Helbeida uxor hic jacent. Or, bien que la maison de Pons soit très noble et très ancienne, néanmoins il n’y a point de preuve certaine qu’elle soit descendue de masle en masle d’un parent de Pompée, et comme toutes les antiquitez sont obscures et ténébreuses, je ne voy point de fondement bien solide pour appuyer cette généalogie. Aussi n’est-il pas besoin de recourir à une famille étrangère, pour donner du lustre à cette ancienne maison, qui a de soi-mesme tant de marques éclatantes de noblesse et de grandeur. »

Ces médailles, trouvées parmi les ruines d’un pilier, seraient d’un grand poids pour faire pencher la balance en faveur du neveu de Pompée ; mais le trésor de Pons ne peut en faire l’exhibition. Il est permis de croire qu’elles ne se retrouveront qu’avec l’acte constatant l’arrivée de Francus en Germanie et avec les titres des chevaliers de la Table Ronde.

Le grand nombre de ponts établis autour du château féodal a dû lui faire donner ce nom. Cette origine est sans doute moins illustre que celle qui remonterait à AElius Pontius, mais elle a le mérite d’être conforme à la vérité, ce qui est le premier de tous en histoire. La construction du château de Pons, qui a été l’un des plus forts et des plus célèbres de la province de Saintonge, remonte probablement au milieu du neuvième siècle, à l’époque où les pirates normands opéraient de fréquents débarquements et pénétraient même dans l’intérieur du royaume où ils commettaient d’horribles dévastations ; mais l’art de fortifier les châteaux et les villes fit des progrès, et, au douzième siècle, cette forteresse, bâtie sur une colline et dans la position la plus avantageuse pour soutenir un siège, était un objet d’effroi pour les ennemis de son châtelain, et d’admiration pour ses vassaux et ses alliés.

Par une bizarrerie dont l’histoire ne donne pas l’explication, le seigneur de ce redoutable château ne prenait le titre ni de comte, ni de vicomte, ni de baron ; il avait une sirerie comme les sires de Nesle, de Montlhéry, de Beaujeu, de Coucy et quelques autres possesseurs de grands fiefs qui paraissaient avoir dédaigné d’y joindre des titres nobiliaires, car on sait que la devise de la maison de Coucy était : Je ne suis roy, ne prince aussy, Je suis le sire de Coucy.

Ce n’était point par humilité que ces personnages historiques du Moyen Age ne suivaient pas l’exemple de leurs pairs. Ils croyaient, au contraire, avoir trouvé par là le meilleur moyen de prouver l’illustration de leur race en n’ayant pas recours à des titres pour en rehausser l’éclat. Le fameux Enguerrand de Coucy entra dans la ligue des grands feudataires, formée pour ôter à la reine Blanche la régence du royaume, et on croit même qu’il se flattait de détrôner le jeune Louis IX, et de régner à sa place. Le courage et la prudence de la reine parvinrent à déjouer ces hardis projets. Mais on voit que les sires de ce temps étaient de puissants seigneurs et que quelques-uns peuvent être comparés aux anciens électeurs de l’Empire d’Allemagne.

La sirerie de Pons ne relevait que de la couronne ; « elle étendait sa juridiction sur cinquante-deux paroisses et sur plus de deux cent cinquante fiefs nobles, et jouissait de tous les droits de suzeraineté, comme de battre monnaie, d’avoir haute, moyenne et basse justice, etc. »

Pons. Les remparts et le jardin

Pons. Les remparts et le jardin

Voici comment le sire de Pons recevait l’investiture de ce qu’on pouvait appeler sa principauté : « Ce seigneur paraissait devant le roi, armé de toutes pièces, la visière baissée et tenant un faucon sur le poing. Il disait au roi : Sire, je viens à vous, pour vous faire hommage de mes terres de Pons, et vous supplier de me maintenir en la jouissance de mes privilèges ; le roi lui répondait : Sire de Pons, je reçois votre hommage et vous baille cette mienne espée pour vous en servir à la défense de notre royaume. Et alors le roi, se déceignant de son épée, la donnait au sire de Pons, qui fléchissait le genou pour la recevoir, et le roi reprenait : Je vous semons que vous remettiez vos lettres d’hommage à notre chancelier, et que sous quarante jours au plus tard vous nous fassiez votre aveu et dénombrement. Le sire répondait : Mon double sire et souverain seigneur, à tout cela je ne faudrai. Et il remettait au chancelier, qui tenait le scel du roi, sa lettre d’hommage. »

On faisait hommage, en général, à genoux, la tête nue, sans épée et sans éperons, les mains jointes et enfermées dans celles du suzerain, qui était assis et couvert. Le privilège du sire de Pons est fort remarquable, de même que l’honneur de recevoir l’épée que le roi portait au moment où il recevait l’hommage de ce seigneur.

Après les terribles invasions des Sarrasins et des Normands, les guerres féodales commencèrent à désoler la France ; les seigneurs, dévorés d’ambition, ne songeaient qu’à s’attaquer pour s’enlever des fiefs et des châteaux, et ils formaient souvent des ligues contre leur suzerain. Ce fut ainsi que presque tous les seigneurs d’Aquitaine, de Saintonge et de Poitou, se réunirent contre Henri II, auquel Aliénor avait apporté en dot le tiers des plus belles provinces de France. Richard, comte de Poitiers, troisième fils du roi d’Angleterre, embrassa d’abord avec ardeur le parti des confédérés, mais il les abandonna promptement par suite de la légèreté et de l’irascibilité de son caractère, et ne tarda pas à se montrer leur plus cruel ennemi.

Il marcha vers le château de Pons, dont les seigneurs connus au douzième siècle ont été Guillaume, Geoffroy, Roald, Pontus, Geoffroy II et Renaud. Le fougueux Richard, qui préludait à ces grands combats d’Orient, qui, plus tard, lui firent donner le surnom de Cœur de Lion, investit le château, et, repoussé dans une première attaque, il laissa ses connétables sous les murs de la place avec une partie de ses troupes pour continuer le siège, et attaqua le château de Taillebourg, qu’il emporta d’assaut après la plus vive résistance. Il en fit un monceau de ruines et reparut devant Pons, qui capitula et ne fut pas plus épargné que Taillebourg. Les hautes tours furent mises au niveau du sol ; mais, au bout de huit ans, le géant féodal s’était relevé, et rien n’annonçait le désastre de 1179. L’observation de Massiou est donc parfaitement juste, quand il dit qu’ « on peut fixer à cette époque la reconstruction du château de Pons, et cette conjecture est d’autant plus vraisemblable, que tout, dans ce qui reste de cette antique forteresse, porte le cachet de la fin du douzième siècle. »

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