LA FRANCE PITTORESQUE
Avocat : par les honneurs alléché,
le prétendant à la profession
pourrait bien déchanter
(D’après « La Provence artistique et pittoresque », paru en février 1883)
Publié le mardi 3 février 2015, par Redaction
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Parfois considérée comme l’antichambre des honneurs et d’une carrière politique, la profession d’avocat n’est-elle pas au fond un miroir aux alouettes, s’interroge en 1883 un chroniqueur de La Provence artistique et pittoresque, sachant que peu possèdent les qualités requises et doivent longtemps se contenter de petits procillons, sans portée, tels ceux portant sur une contestation de facture ou un différend à propos d’un mur mitoyen...
 

Molière, qui a mis un véritable acharnement à poursuivre des traits barbelés de sa verve comique messieurs les membres du corps médical, s’est toujours soigneusement abstenu de toucher aux avocats. Craignait-il le parlement ? À mettre en scène les avocats, il fallait aussi mettre en scène les juges. A-t-il eu peur de se créer par trop d’ennemis ? Ou a-t-il pensé qu’après Pathelin et les Plaideurs, qu’après Rabelais et tant d’autres il n’y avait plus rien à faire et plus rien à dire ?

Ils ne manquaient certes pas de cachet les avocats de son temps avec leurs immenses discours dans lesquels il y avait plus du latin que de français et où l’on citait Saint-Paul et Saint-Augustin au moins autant que les Pandectes. Bien plus plaisants à montrer étaient les avocats de troisième ordre, n’ayant pu percer, besogneux, courant tout le jour la ville, en toque et en robe, à là poursuite des plaideurs, et allant, sous le harnachement officiel, acheter au marché, ou une poularde la veille des fêtes, ou du poisson plus ou moins gros, selon que le hasard leur envoyait un gros client ou de toutes petites affaires.

Puis le saint jour du dimanche arrivant, ou les vacances, monsieur l’avocat, toujours en robe, montait sur sa mule, et s’en allait ès-champs, emmenant la plus chère moitié de lui-même, madame l’avocate en croupe derrière lui.

Ces usages ne sont pas si anciens qu’on le pourrait croire. Nous avons entendu raconter par un Marseillais, pas des plus jeunes, il est vrai, l’histoire d’un avocat, qui vivait à la fin du siècle dernier et qui allait en toge et en toque acheter la bouillabaisse. Aujourd’hui, plus qu’en ce temps là, la noble profession d’avocat mène à tout : à la Cour de Cassation et à l’Académie, à la réputation, à la députation, au ministère, et aussi... à la misère. Aussi les jeunes licencies barbouillés de rhétorique se pressent en foule à la porte de cet Ordre qui semble être l’antichambre des honneurs et de la présidence de la République.

Jamais il n’y avait eu telle foison d’avocats. A Rome, tout tonsuré a le droit de supposer que Dieu aidant il deviendra Pape ; en France on prétend que tout pioupiou a le droit de dire à sa payse : Subséquemment Nicole, que je porte là, dans ma giberne, le bâton de maréchal. Ainsi, tout jeune avocat peut dire à sa future belle-mère : Parole d’honneur, madame, dans dix ans d’ici, je serai premier ministre.

Cela est exact dans une certaine mesure, car tout jeune avocat possède de droit un billet de la grande loterie politique ; mais pour gagner à cette loterie, il faut, et c’est là le difficile, faire soi-même sortir le billet. Malheureusement pour-être un avocat d’un certain mérite il faut posséder tout un ensemble de qualités qui se trouvent rarement réunies dans un même homme.

Il faut une grande facilité d’élocution et un peu de cette effronterie oratoire dont parle quelque part Cicéron ; sans cela quelque talent qu’on puisse avoir on ne saurait parler en public. La Rochefoucauld, l’auteur des Maximes, avait joué un des premiers rôles pendant la Fronde, c’était un homme d’esprit, un homme savant, un homme du monde, un des principaux personnages de la Cour... et pourtant quand on lui proposa d’être de l’Académie française il refusa ; il ne se sentait pas de force à débiter, à lire même une courte harangue devant un auditoire. « Je me trouverais mal », dit-il. Il n’était pas né pour être avocat.

Une voix puissante n’est pas non plus à dédaigner, même dans une petite salle et dans un petit auditoire. Molière discutait un jour avec l’avocat Fourcroi, son ami, doué par la nature d’une remarquable voix de stentor et qui en abusait. « Qu’est-ce que la raison avec un filet de voix contre une gueule comme celle-là ! », finit par s’écrier Molière exténué. C’est qu’en effet une voix tonitruante est par elle-même une puissance. Une clarinette ne saurait lutter contre un saxophone, ni la voix glapissante du maître un tel contre les rugissements de son adversaire.

Mais bien d’autres qualités sont nécessaires à l’avocat ; la science du droit sans laquelle il n’est et ne peut être qu’un déclamateur perdant avec emphase tous ses procès sans que ses clients, éblouis de sa faconde, puissent. deviner pourquoi. Puis il lui faut encore l’aptitude à se passionner facilement pour les affaires d’autrui, parfois peu intéressantes et triviales, et à ne pas les voir d’un oeil calme et froid ; et d’un regard de juge, critique et impartial. L’avocat est un homme passionné qui lutte contre-un adversaire passionné ; son rôle à lui c’est de combattre loyalement, mais en se servant de toutes les armes ; il fait métier de soldat et non métier de juge.

Mais par dessus tout il faut aux jeunes avocats une merveilleuse patience et une persévérance obstinée ; car les plaideurs paraissent connaître d’instinct le proverbe qui dit : qu’il faut se défier du jeune avocat. Pendant de longues années, quelquefois, le jeune avocat plein de talent mais mal habile dans l’art de se procurer des clients en est réduit à se contenter de petits procillons, sans portée.

Une contestation sur une facture de chapelier ou de marchand d’avoine, une joute à propos d’un bout de mur mitoyen, la défense de quelques-unes des victimes de la correctionnelle, voilà quel est le menu dont doit se contenter au début-la fringale oratoire d’un débutant. Le pauvre stagiaire cramponné à son procès, se débat contre son adversaire, contre le tribunal, contre l’évidence. Il faut qu’il plaide et longuement et qu’il réplique.

– Mais maître un tel, lui dit le président, voilà deux heures que vous parlez et il s’agit de la mitoyenneté d’un puits ; ce n’est pas une grosse affaire !
– Mais pardon, M. le président, riposte l’avocat naïf et trop jeune, mon client est marchand de vin !

Une autre fois c’est le même président qui l’interrompt encore :
– Mais maître un tel, vous ne pouvez pas contester que votre client ne soit atteint de delirium tremens.
– Oh ! monsieur le président, très mince, très mince !

Puis c’est le procès Virginie contre Ursule, deux blanchisseuses qui se sont administré une tripotée aussi vigoureuse que réciproque. Le jeune maître X... est à la barre, il dépose une plainte reconventionnelle et a fait citer six témoins à décharge que sa cliente Mlle Virginie lui a indiqué. Les témoins adverses sont accablants, mais le jeune avocat sourit et ricane à la barre, il sait que tantôt tout cet échafaudage de calomnies va être renversé par les témoins qu’il a fait citer. Hélas ! les témoins à décharge comparaissent ; un déclare qu’il n’a rien vu et les cinq autres déclarent comme un seul homme que c’est Mlle Virginie qui a tort et qui a commencé. Allez plaider là-dessus.

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