LA FRANCE PITTORESQUE
Microbe (Le) de la vieillesse : mieux
que la mythique Eau de Jouvence ?
(D’après « Toutche-à-Tout. Revue hebdomadaire
universelle illustrée », paru en 1904)
Publié le dimanche 7 mai 2017, par Redaction
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En 1904, Jean d’Albignac, extrapolant la découverte récente du bactériologiste ukrainien Ilya Metchnikoff qui affirme avoir isolé le microbe de la vieillesse et avance qu’il loge au coeur du gros intestin, redoute de voir les chirurgiens procéder à des ablations inconsidérées pour gagner l’immortalité et évoque la mythique Eau de Jouvence, non sans s’inquiéter de la surpopulation qui résulterait de son avènement
 

Vous connaissez la grande nouvelle, écrit d’Albignac : le microbe de la vieillesse est trouvé. Et je vous avoue que ce n’est pas sans quelque appréhension que je l’ai appris ; car le docteur Metchnikoff, qui en est l’inventeur, nous a révélé en même temps que ce terrible microbe avait, sauf votre respect, fait sa résidence habituelle de notre gros intestin. Et je commence à voir poindre le moment où, pour nous empêcher de vieillir, les chirurgiens nous proposeront, tout bonnement, de nous enlever notre intestin, comme on pratique déjà l’appendicite.

Ilya Metchnikoff

Ilya Metchnikoff

Et, si cela continue, un nouveau chercheur découvrira le microbe des rhumatismes dans l’estomac ; un autre dénichera le microbe de la goutte dans le cerveau, etc. Et, au prochain siècle, le lieu de la résidence préférée de tous les microbes qui nous assaillent étant dévoilé, on les supprimera comme on supprime déjà l’appendice, de telle sorte que nous aurons des spécialistes pour nous vider le cerveau, pour nous supprimer le coeur, nous débarrasser de notre estomac, nous délivrer de nos poumons, après quoi, n’ayant plus en nous rien qui puisse nous faire vieillir, nous deviendrons aisément cinq ou six fois centenaires et même millénaires.

Seulement, étant privés de tous les organes qui sont la vie, continuerons-nous de vivre ?... Hum !... Peu importera à ces messieurs, puisqu’ils pratiqueront de si brillantes opérations ! Entre nous, je préférerais ne pas laisser pratiquer tant de courants d’air à travers mon individu ; et pour lutter contre tant de microbes, il me semble préférable de recourir au moyen que Molière n’a pas craint d’illustrer sur la scène française et que, par ce temps de progrès les villes un peu civilisées emploient toutes pour se débarrasser do leurs immondices.

Nos pères, auxquels on peut reprocher de n’avoir pas connu l’hygiène extérieure, connaissaient tout de même l’hygiène de la santé, quand ils recommandaient, pour vivre vieux, de se tenir tout simplement les pieds chauds, la tête libre... et - toujours sauf votre respect - le ventre aussi.

Je n’entends rien à la science ; mais je doute que notre prudent collaborateur, le docteur Paul, me désapprouve quand, à propos de la grande découverte du docteur Metchnikoff, je vous conseillerai tout uniment la bonne vieille Eau de Jouvence, qu’il nous est permis, du reste, d’envelopper de beaucoup de poésie, en nous imaginant, comme dans l’Antiquité, « qu’elle vient du paradis terrestre ». « Elle avait une telle vertu, nous content aussi les vieux auteurs, que si un homme malade en buvait et en lavait ses mains, il était aussitôt sain et guéri ; et, s’il était vieux et décrépit, il revenaît à l’âge de trente ans, et cl une femme était aussi fraîche qu’en sa jeunesse. »

Dans la mythologie, Jouvence, en latin Juventa, n’était autre qu’une nymphe, que Jupiter métamorphosa en fontaine, aux eaux de laquelle il donna la propriété de rajeunir ceux qui viendraient s’y baigner. Lors de la découverte de l’Amérique, le bruit se répandit que la fontaine merveilleuse avait été découverte dans le pays nouveau, coulant sur un sol étincelant d’or et de pierreries.

La Fontaine se désolait que tout cela ne fût que le fruit de l’imagination humaine ; et il disait avec sa charmante bonhomie :

Grand dommage est que ceci soit sornettes ;
Filles connais qui ne sont pas jeunettes
A qui cette eau de Jouvence viendrait
Bien à propos
Fontaine de Jouvence vue par le peintre Cranach en 1546

Fontaine de Jouvence vue par le peintre Cranach en 1546

Et au XVIIIe siècle, ces vers badins couraient par la bonne ville de Paris :

Si tu pouvais, merveilleuse fontaine
Répandre un jour ta source dans Paris
Que de minois ridés et défleuris
Renonceraient aux ondes de la Seine !

Et voilà qu’on vient de la découvrir sur les bords de la Seine, puisque le docteur Metchnikoff nous apprend comment résister à la vieillesse. Il part de cette observation que les oiseaux ne donnent jamais de signes de décrépitudes, même le corbeau, qui fait ses délices de viandes gâtées. Or, la gent volatile n’a presque pas de gros intestin. Donc, la cause de notre décrépitude, est le gros intestin : c’est notre ennemi, que nous avons en nous-mêmes ; mais rien n’est plus aisé que de vivre avec son ennemi ; il ne s’agit que de le réduire à l’impuissance, en l’accablant de la nouvelle eau de Jouvence, que l’on peut puiser de tous côtés, puisqu’il suffit de la faire bouillir, avant de noyer ce gros viscère sous ses flots tumultueux.

Si nos aïeux avaient connu cela, peut-être ne seraient-ils jamais morts... Et il n’y aurait sans doute plus de place pour nous sur cette terre. Et voilà qui m’inquiète... Si nous nous mettons à ne plus vieillir... où placerons-nous tous nos neveux, petits-neveux et arrières-petits-neveux ? Avez-vous pensé à cela, docteur Metchnikoff ? Et un de vos successeurs devra-t-il inventer un remède pour lutter contre la surpopulation des hommes, comme Pasteur en a découvert un pour débarrasser l’Australie de ses myriades de lapins ?

Note : en 1908, Metchnikoff fut colauréat du Prix Nobel de physiologie ou médecine, pour ses travaux sur les mécanismes de défense immunitaire contre les bactéries au moyen des globules blancs

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