LA FRANCE PITTORESQUE
23-24 mai 1911 : grève des chauffeurs
de taxi exaspérés qui protestent
contre la hausse du prix de l’essence
(Extrait de « Le Petit Parisien », n° du 24 mai 1911)
Publié le lundi 1er mars 2021, par Redaction
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Le 24 mai 1911, le journal Le Petit Parisien relate la grève des chauffeurs de taxi parisiens organisée durant les dernières 24 heures, qui protestent contre l’augmentation du prix des carburants, préjudiciable à leur activité, leur exaspération étant telle qu’ils n’hésitèrent pas à crever les pneus des automobiles des quelques-uns des réfractaires – au nombre d’une trentaine – au mouvement de protestation
 

Avec un ensemble parfait, les chauffeurs de taxis-autos ont, hier matin, respecté la décision prise la veille à la Bourse du travail. D’après le recensement opéré par la préfecture de police, dans les différents garages de Paris et de la banlieue, il ne serait sorti qu’une trentaine de véhicules. D’ailleurs, les grévistes s’étaient donné rendez-vous devant les dépôts des principales compagnies de voitures automobiles de place, afin de mettre au courant de la situation ceux de leurs camarades qui n’avaient pu assister au meeting de protestation contre l’augmentation des droits d’octroi sur le benzol.

Nous, le prix de l'essence, on s'en f... !

Nous, le prix de l’essence, on s’en f... !

Entre sept et neuf heures du matin, l’animation fut grande à Levallois-Perret, aux Batignolles et avenue de Wagram, où se trouvent situés d’importants garages. Vers onze heures, un certain nombre de véhicules appartenant à des coopératives ou à des petits loueurs venaient se ranger aux abords de la Bourse du travail, rue du Château d’Eau. Tous étaient pavoisés de drapeaux tricolores ; des écriteaux annonçaient que ces voitures ne prenaient pas de voyageurs ; des bidons vidés et des pancartes rappelaient les causes de la protestation des chauffeurs.

Un peu avant midi, ces taxis-autos, suivis de loin par des agents cyclistes, se dirigeaient vers l’Hôtel de Ville, dans le but de donner, à grands renforts de trompes, une aubade au préfet de la Seine ; mais la police veillait et put tenir à distance les manifestants. Dans l’après-midi, les véhicules pavoisés sillonnèrent en tous sens les boulevards et les grandes artères de la capitale et, dans la soirée, la pénurie des taxis-autos causa quelque gêne aux Parisiens.

Ce matin, tout rentrera dans l’ordre.

L’Automobile-Club proteste. Les loueurs de voitures aussi
L’Automobile-Club de France, que l’impôt nouvveau sur les benzols frappe en la personne de ses membres, a communiqué la protestation suivante :

« Le bureau du comité de défense contre l’augmentation des droits d ! octroi sur le benzol a décidé à l’unanimité :

« 1° De protester énergiquement contre l’augmentation de la taxe sur le benzol et sa brusque application, malgré la demande d’audience adressée à M. le président de la. première commission du conseil municipal, afin de lui soumettre les raisons impérieuses qui motivent le maintien du droit de 10 fr. 20, demande à laquelle M. Félix Roussel avait répondu favorablement à la date du 8 mai dernier ;
2° De tâcher, par tous les moyens en son pouvoir, d’obtenir le retour à l’ancien droit de 10 fr. 20. »

Le comité de défense du benzol, qui s’est constitué à l’Automobile-Club, a également rédigé contre l’augmentation du droit d’octroi une protestation qu’il a adressée au président du Conseil, au ministre des Finances, au président du conseil municipal et au préfet de ta Seine. De son côté, la chambre syndicale des loueurs de voitures automobiles nous a fait parvenir une note conçue en des termes identiques. Les syndicalistes ne sont pas, on le voit, seuls à protester.

Les explications de l’administration
Mais a-t-on raison de faire retomber sur le préfet de la Seine la responsabilité de l’agitation actuelle ? M. de Selves se défend d’avoir, de sa propre autorité, fixé la taxe sur tes benzols. La préfecture de la Seine doit se borner, en la circonstance, à assurer l’exécution d’une mesure légalement établie ainsi qu’il ressort du décret en date du 11 mai 1911 :

« Le Président de la République française, sur le rapport du ministre des Finances,
Vu la délibération du conseil municipal de Paris, en date du 9 décembre 1910, relative à l’octroi de cette ville ;
Vu les observations du ministre de l’Intérieur ;
Vu les lois des 27 vendémiaire an VII [18 octobre 1798] et les ordonnances des 9 et 22 décembre 1814 ;
Vu les lois des 11 juin 1842 et du 24 juillet 1867,
Le conseil d’Etat entendu,
Décrète :

« Article 1er. A partir de la promulgation du présent décret et jusqu’au 31 décembre 1911 inclusivement, la perception sur les liquides ci-après désignés sera opérée à l’octroi de Paris, conformément aux dispositions suivantes :
Art. 20. Essence de térébenthine et toutes essences végétales. Unité sur laquelle portent les droits, hectolitre. Droits d’octroi. 10 fr. 20.
Art. 20 bis. Benzols et tous produits liquides assimilables à l’essence autres que ceux prévus aux articles 17 et 20. Unité sur laquelle portent les droits, hectolitre. Droits d’octroi, 15 fr. 20.

« Art. 2. Les taxes autorisées par l’article 1er du présent décret ne supportent aucun décime additionnel.

« Art. 3. Le ministre des Finances est chargé de l’exécution du présent décret. qui sera publié au Journal officiel et inséré au Bulletin des lois.

« Fait à Paris, le 11 mai 1911. »

Une délégation de chauffeurs reçue chez M. Emile Constant
Après avoir conféré de la situation avec le préfet de la Seine et le préfet de police, M. Emile Constant, sous-secrétaire d’Etat à l’Intérieur, a reçu, hier après-midi, une délégation du syndicat des chauffeurs. M. Fiancette, secrétaire général du syndicat, demanda que la perception du droit fût suspendue jusqu’à ce que le conseil d’Etat se soit prononcé sur le pourvoi qu’il va introduire au nom de la corporation des chauffeurs. Le sous-secrétaire d’Etat a fait remarquer qu’il n’y avait aucun moyen pour le gouvernement et pour le préfet de la Seine de suspendre la perception de droits régulièrement établis par le conseil municipal de Paris. Il les a engagés à faire porter leurs doléances devant cette assemblée, qui doit se réunir lundi prochain et qui a seule qualité pour se prononcer sur la question.

Il a ajouté qu’il s’entretiendrait de nouveau de leur requête avec le préfet de la Seine et leur a exprimé en terminant la confiance que leurs camarades ne se livreraient à aucune manifestation de nature à troubler l’ordre public et à compromettre leurs intérêts.

Les incidents de la journée
Les rares chauffeurs réfractaires au mouvement de grève ont été l’objet de quelques démonstrations hostile. A dix heures et demie du matin, les grévistes ont arrêté, rue Saint-Antoine, un taxi, dont ils ont crevé les pneumatiques, puis ils ont pris la fuite avant l’arrivée des gardiens de la paix. Deux ou trois cents grévistes ont, à la même heure, parcouru l’avenue de la Grande Armée, molestant les réfractaires, obligeant les voyageurs à descendre et-tentant même de renverser les voitures. Les agents les ont dispersés, non sans peine.

A dix heures, place de l’Opéra, le chauffeur Angelhardt, demeurant à Levallois-Perret, 23 rue Collange, coduisait des voyageurs dans une voiture lui appartenant, l’auto-taxi 927 U. 9. Il fut appréhendé par quatre chauffeurs grévistes, qui occupaient l’auto 58 E. 7. L’un de ces derniers s’avança un couteau à la main, dans le but de crever les pneus de la voiture d’Angelhardt. Le gardien de la paix Sirnpol, témoin de cet incident, voulut intervenir. Le gréviste le renversa sur le sol. d’un violent coup de pied, puis regagna l’auto 58 E. 7, qui s’éloigna à toute allure. L’état de l’agent Simpol n’est, heureusement, pas très grave. Quelques arrestations, non maintenues, ont été opérées, pour entraves à la liberté du travail, dans les huitième et seizième arrondissements.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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