LA FRANCE PITTORESQUE
Pierre du Bénitier (Dordogne)
(D’après « Bulletin de la Société historique
et archéologique du Périgord » paru en 1882)
Publié le mercredi 20 septembre 2023, par Redaction
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En 1881, un géologue est chargé par le curé de Villac, en Dordogne, d’expliquer la présence d’une curieuse pierre appelée Bénitier et de l’étrange résonance du sol environnant, certains habitants de la contrée voyant en cet endroit le théâtre d’anciens sacrifices humains
 

L’abbé Teyssandier, curé de Villac, avait signalé à la Société historique et archéologique du Périgord une pierre, désignée dans sa paroisse sous le nom de Bénitier, creusée en forme de cuvette et munie d’une rigole, située, disait-il, à 1500 mètres du bourg, au lieu dit le Chalard, petit plateau désert que l’imagination des habitants de la contrée se plaisait à entourer de légendes. Des vieillards rapportaient qu’on avait autrefois immolé de jeunes enfants sur cette pierre et que la rigole qu’on y voyait servait à l’écoulement du sang ; légende cependant indécise et s’effaçant devant des traditions absolument chrétiennes.

Selon d’autres, en effet, la pierre du Bénitier avait également servi de baptistère ; un rocher voisin, creusé en forme de niche, porte le nom de confessionnal ; enfin, on prétendait qu’une église s’était anciennement dressée sur le Chalard. Comment pourrait-on mettre en doute que ce lieu ait été habité ? Si, prenant une pierre, on la laisse retomber sur le sol, on entend un bruit sourd : c’est la résonance des caveaux ou de ces souterrains étranges que l’on sait avoir existé sous toutes les constructions du vieux temps.

Pierre du Bénitier

Pierre du Bénitier

Chargé par ses confrères de la Société archéologique d’aller étudier par lu-même la pierre du Bénitier, Michel Hardy profita d’une belle journée de septembre 1881 pour se rendre à Villac et, consignant le récit de son voyage, confiera plus tard avoir été déçu quand il parvint sur le plateau du Chalard : « Comme il arrive souvent lorsque des récits de légende ont surexcité notre imagination, je ne pus me défendre d’un sentiment de surprise en avançant sur cette pointe de coteau aride, sans horizon et de quelques ares seulement de superficie. Evidemment, j’avais rêvé toute autre chose, et, placé en face de la réalité, j’éprouvais un peu de désappointement. Ce ne fut toutefois qu’une impression d’un instant, et, rappelé bien vite à moi-même, je repris de sang-froid mon rôle de géologue et d’antiquaire. Le plateau du Chalard, relié à la plaine du côté du nord, est partout ailleurs entouré de vallons profonds, par delà desquels l’œil ne découvre que des coteaux boisés, et, à l’est, le village du Mas. Des lichens abondants, des bruyères et quelques jeunes chênes de bois taillis en composent toute la végétation. Le grès rouge affleure en maints endroits et forme sur les bords du plateau de petites falaises.

« Mon attention se porta tout d’abord sur la pierre du Bénitier, monument, il est vrai, bien singulier. Il est situé à l’angle sud-est du Chalard et se présente sous la forme d’une cuvette à peu près circulaire, ayant 60 centimètres de diamètre et 30 centimètres de profondeur. Une rigole de 20 centimètres de longueur, dirigée de l’ouest à l’est, en entraîne les eaux pendant les grandes pluies dans le vallon. Si, descendant de quelques pas dans ce vallon, on se retourne vers le Bénitier, on remarque que le sillon profond tracé par les eaux pluviales, après avoir suivi le pied du rocher supérieur, prend de nouveau sa direction vers le vallon. Ces premières observations me donnèrent à croire que le Bénitier lui-même n’avait été creusé que par l’action combinée des vents et de la pluie, et ce qui n’était encore qu’une conjecture devint bientôt une certitude. Je remarquai que la cuvette, loin d’avoir ses parois taillées régulièrement, présentait à sa partie médiane un renflement circulaire, sorte de bourrelet correspondant à une couche plus dense de la roche.

Le « Confessionnal »

Le « Confessionnal »

« La cause de l’évidement du Bénitier m’était dès lors connue. Etant donnée, en effet, sur un rocher horizontal, une première dépression, si minime qu’elle soit, les eaux pluviales qui s’y arrêtent, délitant quelques particules de la pierre, en formeront des grains de sable qu’enlèvera le premier vent de bise. Avec la succession des siècles, la dépression, à peine reconnaissable à l’origine, aura pris les proportions d’une large cuvette comme celle du Bénitier. Ces faits trouvent leur confirmation dans la pierre dite le Confessionnal, située sur le même plateau, à quelques mètres plus loin vers le sud. Mais ici l’érosion s’est produite dans une paroi verticale et a déterminé une excavation en forme de niche qui s’arrête brusquement à une couche horizontale plus dense. L’excavation est assez grande pour qu’un homme puisse s’y tenir assis. Les rochers du Chalard offrent du reste de nombreux exemples semblables, quoique dans des proportions beaucoup moindres, de l’action érosive des pluies.

Convaincu par les observations de l’archéologue et déjà voyant disparaître à demi le mystère qui planait sur ce plateau, le curé lui demanda s’il était en mesure de lui expliquer la résonance si extraordinaire du sol. La réponse de Michel Hary était toute prête ; un simple coup d’œil avait suffi pour lui démontrer que la masse rocheuse du Chalard était fendue et disloquée de toutes parts. D’où provenaient ces dislocations ? De la même cause qui avait fait se briser les rochers de la Sudrie, ou peut-être d’un soulèvement brusque de la roche. Quoi qu’il en soit, ces déchirures se voient partout dans la coupe du terrain, et la vibration de l’air entre leurs parois suffit à expliquer comment se renforce le son produit par le moindre ébranlement du sol.

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