LA FRANCE PITTORESQUE
Pape (Le) en pleine tourmente
judiciaire pour une affaire
d’héritage en 1892
(D’après « Revue encyclopédique » paru en 1894)
Publié le lundi 18 avril 2011, par Redaction
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Lorsque la marquise du Plessis-Bellière laisse à sa mort un testament en date du 9 octobre 1889 par lequel elle institue comme légataire universel le pape, les États et souverains étrangers jouissant en France de la personnalité civile, peuvent accepter un legs sous réserve de l’autorisation du gouvernement, ce qui n’est pas pour plaire aux héritiers naturels qui attaquent en justice
 

Ce testament, qui faisait du pape – à l’époque Léon XIII – le légataire universel, ou à défaut le cardinal Rampolla, ou à défaut encore le comte de Colbert-Turgis, fut attaqué par les héritiers devant le tribunal civil de Montdidier (4 février 1892) qui valida le legs, mais annulé en appel par la Cour d’Amiens le 21 février 1893. Tandis que les juges de première instance avaient considéré le saint-Siège comme un État, comme un gouvernement politique, au contraire les conseillers de la Cour d’Amiens avaient vu dans le légataire universel institué par la marquise de Plessis-Bellière le représentant de l’Église universelle, le chef spirituel de la chrétienté.


Léon XIII

Deux pourvois furent formés : l’un par le pape, l’autre par le comte de Colbert-Turgis. Le conseiller rapporteur, Cotelle, conclut au rejet du pourvoi, estimant que la testatrice avait bien institué non le chef d’un État politique, mais le chef spirituel du monde chrétien. Or, à ce titre, le pape ne constituait pas, aux yeux de la loi, une personne morale capable d’hériter ; l’Église universelle ne pouvait recevoir en France dans la personne du pape, son chef spirituel. Les biens de mainmorte – biens possédés par des congrégations ou des hôpitaux, qui échappaient aux règles des mutations par décès – avaient été abolis en 1791, et les lois postérieurs à la réaction thermidorienne, tout en rétablissant la liberté des cultes, avaient interdit les donations à l’Église. Le concorda avait abandonné au gouvernement français le soin de pourvoir aux besoins du culte, et la loi du 2 janvier 1817, autorisant les legs en faveur des séminaires, hospices, etc., ne visait que les sujets du roi. Le legs de la marquise de Plessis-Bellière tombait donc sous le droit commun, qui n’admettait pas les dons de mainmorte à la personnalité civile.

A cela, Me Sabatier, qui soutenait le pourvoi du pape, objectait que l’arrêt de la Cour d’Amiens faisait entre les attributions spirituelles du souverain pontife et sa puissance temporelle une distinction que contredisait tant l’histoire que le droit des gens ; que si, les fonctions d’un État étaient multiples et diverses, son entité juridique était indivisible ; que la testatrice avait réellement eu en vue le pouvoir diplomatique du Saint-Siège, puisqu’elle affectait dans on testament son hôtel à Paris et son château de Moreuil à la résidence du nonce ; enfin que le pape était au-dessus du droit appliqué aux établissements ecclésiastiques français, et que l’abolition du droit d’aubaine lui permettait, comme à tout étranger, d’hériter chez nous.

Tel ne fut pas l’avis du procureur général. « Il y a plus de cent ans, dit M. Manau, la nation, dans un effort suprême, a fait disparaître le domaine de l’Église. Elle a pris des mesures énergiques pour l’empêcher de se reconstituer. Tous les gouvernements, depuis lors, tout en modifiant l’œuvre de la Révolution, ont opposé, avec un soin jaloux, une barrière infranchissable à cette reconstitution. Messieurs, cette barrière, on vous demande de l’abattre ! Ce domaine de l’Église, on vous demande de le rétablir. » On ne pouvait considérer le pape comme un chef d’État depuis que la révolution de 1870 l’avait dépossédé des États pontificaux et, par suite, des prérogatives découlant de la souveraineté territoriale. Enfin, le chef de l’Église catholique ne pouvait trouver en aucune manière dans notre législation ecclésiastique, soit ancien, soit moderne, le fondement du droit qu’il revendiquait.

La Chambre des requêtes pensa qu’une question aussi grave devait être débattue avec toute l’ampleur possible. Elle rendit donc un arrêt d’admission, et la Chambre civile fut chargée de se prononcer pour ou contre la thèse « gallicane » du procureur général. Mais, en novembre 1894, une transaction intervint entre le pape et les héritiers, transaction qui entraîna la suppression de l’affaire.

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