LA FRANCE PITTORESQUE
Recevoir l’accolade
(ou la colade ?)
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Publié le samedi 16 avril 2011, par Redaction
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Recevoir l’accolade : mettre les bras autour du cou pour embrasser, l’accolade devant normalement s’écrire la colade
 

On disait auparavant recevoir l’accolade, pour être fait chevalier. Dans le Dictionnaire des Institutions de la France, publié par Chéruel, on trouve ce passage : « Le seigneur qui devait armer le nouveau chevalier, le frappait de l’épée en lui disant : Je te fais chevalier au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Il lui faisait jurer de consacrer ses armes à la défense des faibles et des opprimés. Puis il lui donnait l’accolade et lui ceignait l’épée. »

Au mot accolade, on lit ceci dans le Dictionnaire étymologique de Noël et Carpentier : « On a dit aussi accolée. Ces mots, dérivés de col, ont exprimé d’abord une cérémonie qui consistait, dans l’ancienne chevalerie, à baiser à la joue gauche celui qu’on recevait chevalier, et à lui donner sur le cou ou sur l’épaule un coup du plat d’une épée nue. »

Armement d'un chevalier

Armement d’un chevalier

Jusqu’ici les témoignages autorisent à croire qu’à la réception des chevaliers, il y avait ce que nous appelons embrassade, puisque, avant ou après le coup d’épée, il y avait baiser ou accolade. Mais le dictionnaire déjà cité de Chéruel, reproduisant, d’après Lacurne Sainte-Palaye, les détails d’une semblable cérémonie tirés d’un ancien roman, contient les lignes suivantes : « L’épée qui lui fut ceinte, après avoir été tirée du fourreau, puis baisée par le nouveau chevalier et ensuite remise dans le fourreau. Après son serment fait et la promesse de suivre les enseignements des chevaliers, le roi haussant la paume lui donna l’accolade et le fit chevalier. »

Qu’est-ce donc que cette accolade qui se donnait en haussant la paume (la main) ? Cela a l’air d’un coup frappé avec l’épée ; car, pourquoi lever la main qui tient une épée, si l’on veut embrasser et non frapper celui qu’on a devant soi ? Ainsi, voilà déjà une forte présomption en faveur de l’accolade qui ne serait ni un baiser ni un embrassement.

Dans le premier volume des Fabliaux de Barbazan, édition Méon, il se trouve une pièce intitulée L’ordene de Chevalerie, par Hue de Tabarie, qui était prince de Galilée pendant que Saladin régnait. Dans un combat contre les Turcs, Hue est vaincu et fait prisonnier. Il est amené !e soir devant Saladin, qui le fait entrer dans sa tente et le prie de lui montrer comment on fait un chevalier. Après avoir baigné Saladin, Hue le fait coucher ; ensuite il le fait lever pour le revêtir d’habits blancs ainsi que d’une robe vermeille ; puis il lui met « unes cauces brunes » et une ceinture blanche, lui chausse des éperons, lui ceint l’épée, et lui couvre la tête d’une coiffe toute blanche.

Alors le roi demande s’il n’y a pas encore quelque chose à faire. « Oui, Sire, dit Hue ; mais je ne l’ose. Que chou est donc ? Chest li colée. » Et les vers suivants disent que cette fin de la cérémonie a pour but de rappeler au chevalier celui qui l’a adoubé et « ordené ». Mais Hue n’ira pas plus loin, parce qu’il est le prisonnier de Saladin :

Si ne vous voel pour chou ferir ;
Bien vous devez à tant tenir.
(Telle est la raison pour laquelle je ne veux pas vous frapper ;
Il faut vous en tenir là).

On le voit, il n’est aucunement question d’embrassade dans tout cela. La colée était donc tout simplement un coup de plat d’épée donné au nouveau chevalier, comme dans certains actes (à une époque où l’on ne savait pas écrire), on donnait un soufflet aux témoins pour mieux graver le fait dans leur mémoire.

Maintenant, que signifie proprement colée ? Barbazan dit que ce mot vient du latin colaphus, un soufflet, un coup, que l’on écrivait colps, et, en effet, il se trouve avec ce sens dans les vers suivants de Guiot de Provins :

Il [Dieu] est misericors et pis,
Mès sa venjance est molt soltis :
Molt done Dex fieres colées !

Le même mot a une signification identique dans cette autre citation :

Li moine siet geule baée
Qui ot eu mortel colée,
Et li autre sont en dortoir.

Dans un manuscrit du XVe siècle de l’ancienne bibliothèque des ducs de Bourgogne, Méon, l’éditeur des Fabliaux de Barbazan, a trouvé une miniature (mise en tête du 1er volume), qui ne laisse aucun doute sur la manière dont se donnait la colée ; car on voit au milieu un nouveau chevalier qui reçoit un coup d’épée sur le côté gauche du cou, et l’estampe porte ces mots au-dessous des personnages : « Au Roy saint lespée puis donne La colée de une espée nue. » Colée signifierait donc aussi un coup donné sur le col, à moins qu’on ne le fasse venir de l’espagnol colada, nom de l’épée du Cid, bonne épée, étymologie bien peu probable.

Quoi qu’il en soit, que colée vienne de colaphus, de col ou de colada, il n’en demeure pas moins certain que ce qu’il désigne n’a rien de commun avec l’embrassade, et que, parlant, il faudrait écrire en deux mots la colade et non l’accolade, venant de accoler, mettre les bras autour du cou pour embrasser.

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