LA FRANCE PITTORESQUE
Hamon (Frantz), haut fonctionnaire
impliqué dans le détournement
de fonds secrets
(Extraits du « Petit Parisien » n° du 13 avril 1911,
et « L’Ouest-Eclair » du 30 avril 1912)
Publié le mercredi 13 avril 2011, par Redaction
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13 avril 1911 : le journal Le Petit Parisien rapporte que Frantz Hamon, directeur de la comptabilité du ministère des Affaires étrangères, s’est constitué prisonnier, suspecté d’avoir détourné de l’argent public et ne s’étant pas rendu à une convocation devant le conseil des directeurs, le New York Times de la veille se faisant également l’écho du scandale
 

Nous annoncions, hier, indique Le Petit Parisien, qu’un nouveau scandale venait d’éclater au quai d’Orsay et que plusieurs personnes, dont un haut fonctionnaire, étaient compromises dans cette affaire. Cette nouvelle était rigoureusement exacte, car le haut fonctionnaire dont il s’agissait, M. Frantz Hamon, directeur de la comptabilité aux Affaires étrangères, s’est constitué prisonnier dans l’après-midi, en apprenant qu’un mandat d’arrêt allait être lancé contre lui. Voici, sur ses origines, des détails précis.

Frantz Hamon au sortir du cabinet du juge d'instruction

Frantz Hamon au sortir du
cabinet du juge d’instruction

Révision de comptes révélatrice
Il y a environ trois mois, M. Pichon, alors ministre des Affaires étrangères [Stéphen Pichon exerça cette fonction du 3 novembre 1910 au 2 mars 1911], fut informé que des irrégularités importantes paraissaient avoir été commises dans les services afférents à la direction de la comptabilité de son ministère. Discrètement, il chargea un inspecteur des finances de procéder à une vérification. L’enquête menée par ce fonctionnaire ne constata d’abord aucune erreur, aucun détournement. Néanmoins, il devait y avoir « quelque chose », et le ministre fit reprendre et approfondir cette révision des comptes. Il n’avait que trop raison : on dut en effet finalement reconnaître que la gestion de M. Frantz Hamon, directeur de la comptabilité, n’était pas irréprochable. Hier, ce haut fonctionnaire était, on le sait, convoqué devant le conseil des directeurs, dont nous avions annoncé la réunion, et qui était présidé par M. Cruppi, ministre des Affaires étrangères [Jean Cruppi exerça cette fonction du 2 mars au 27 juin 1911].

On l’attendit vainement ; il ne se rendit pas à la convocation. Les délibérations du conseil eurent donc lieu hors de la présence de M. Hamon et elles ne lui furent pas favorables puisque, à la suite de cette réunions, le ministre des Affaires étrangères fit signer par le Président de la République un décret de révocation et décida, en même temps, de déposer une plainte entre les mains du parquet. M. Hamon, en apprenant la mesure prise contre lui, préféra ne pas se laisser appréhender comme un vulgaire malfaiteur, et résolut d’aller se constituer prisonnier.

Prisonnier volontaire
A deux heures et demie de l’après-midi, le directeur de la comptabilité des Affaires étrangères, accompagné de Me Pierre Dessaigne, secrétaire de Me Henri Robert, qu’il avait choisi comme défenseur, se présentait au cabinet de M. Lescouvé, procureur de la République. Introduit tout de suite, il dit au magistrat : « J’étais convoqué ce matin, comme vous le savez. devant le conseil des directeurs du ministère des Affaires étrangères. Si je ne m’y suis pas rendu, c’est parce qu’en lisant les journaux, j’ai constaté que le ministère avait fait, à la presse, une communication sur mon cas. J’ai estimé que, puisque l’opinion publique avait été ainsi saisie, je n’avais plus à rendre de mes actes devant des fonctionnaires, mais devant la justice. M’y voici. Veuillez désigner tel juge d’instruction qu’il vous plaira, afin que je puisse me disculper des accusations portées contre moi. »

Ministère des Affaires étrangères (caricature)

Ministère des Affaires étrangères (caricature)

M. Hamon ajouta : « On a parlé de détournements s’élevant à plusieurs centaines de mille francs. C’est faux. II y a une somme de 70 à 75 000 francs dont je reste comptable vis-à-vis du ministère. Mais ce n’est qu’en consultant mes papiers que je pourrai me justifier. » A ce moment, M. Lescouvé n’avait pas encore reçu la plainte du ministre contre M. Hamon. Il fit garder le fonctionnaire dans une pièce voisine de son cabinet, pendant qu’il déléguait un attaché du parquet au quai d’Orsay. Dès que la plainte fut arrivée, le prisonnier volontaire fut traduit devant le juge d’instruction Drioux, qui, après interrogatoire d’identité, l’inculpa de faux en écritures publiques, d’usage de faux et de détournement de fonds. Avant d’être écroué à la Santé M. Hamon a été reconduit à son domicile, où M. Drioux, assisté de M. Sibille, commissaire divisionnaire de la sûreté générale, a pratiqué une perquisition. Un détail : M. Hamon, qui est officier de la Légion d’honneur, avait quitté sa rosette avant de pénétrer dans le cabinet du procureur de la République.

Au domicile de Hamon
Tout près du parc Monceau, 9, rue de la Néva, dans un luxueux immeuble, le directeur de la comptabilité au ministère des Affaires étrangères occupait, avec sa femme et son fils, un appartement au cinquième étage, d’un loyer annuel de 3 000 francs. Il vivait très simplement, n’avait qu’une domestique à son service, et ne recevait que très rarement quelques parents ou des amis de vieille date. Toujours levé le premier, M. Hamon passait la matinée dans son cabinet de travail. Vers neuf heures, il quittait son domicile, accompagné de son fils, employé dans un grand établissement financier. Le soir, il rentrait vers sept heures et ne ressortait presque jamais. Au moment des vacances, il allait, avec sa famille, passer quelques semaines à la mer. M. Hamon, nous a déclaré une personne de son entourage, ne semblait guère s’attendre à être incarcéré. Il se savait menacé, disait-il, mais il espérait se justifier, et attendait sa comparution devant le conseil des directeurs, convaincu que rien ne subsisterait des accusations portées contre lui, lorsqu’il se serait expliqué.

Parti de grande matin aujourd’hui, il revint chez lui, vers dix heures, et, après un court séjour dans son cabinet, il repartit précipitamment, laissant sur son bureau une note ainsi connue : « Estimant que les faits qui me sont imputés relèvent du domaine judiciaire, je préfère m’adresser à la justice pour lui donner mes explications. » Au-dessous de ces lignes, il avait ajouté cette recommandation : « Si des journalistes viennent pour me voir, dites-leur que je les recevrai dans la soirée avec plaisir. » M. Hamon ne prévoyait sans doute pas, à cet instant, que les événements allaient se précipiter.

Entrefilet paru dans le New York Times du 12 avril 1911

Entrefilet paru dans le
New York Times du 12 avril 1911

Une déclaration
Une haute personnalité du quai d’Orsay a bien voulu nous faire la déclaration suivante : « Le ministère des Affaires étrangères ne fera aucune communication à la presse. L’affaire Hamon est, d’ailleurs, maintenant, du domaine de l’instruction et seule la justice a qualité pour prendre la parole. M. Cruppi a donné, a cet égard, les instructions les plus formelles et elles seront strictement observées. Vous pouvez donc tenir pour inexacte toute information qui serait présentée comme émanant du bureau des communications. Inutile de vous dire, au surplus, que personne ne saurait évaluer, à l’heure actuelle, avec précision, le montant des détournements dont on accuse M. Hamon : les chiffres qui ont été publiés jusqu’ici appartiennent simplement au domaine de la fantaisie. Plusieurs inspecteurs des finances viennent, en effet, d’être chargés de vérifier les différents exercices établis par l’ex-directeur de la comptabilité depuis son entrée en fonctions, soit depuis 1906, et vous devez concevoir que ce travail, très minutieux, ne pourra pas être terminé avant plusieurs semaines. »

Le 30 avril 1912, L’Ouest-Eclair donnait les grandes lignes d’un procès ayant permis de mettre au jour les circonstances de ces malversations : Frantz Hamon, dont la compétence financière était indiscutable mais qui devait rendre compte de détournements s’élevant à 216 000 francs puisés sur les fonds secrets, avait subi l’influence d’une « courtisane sans scrupules », Hélène Gillot, ancienne femme de chambre, « qui dans le monde de la noce se faisait appeler Hélène de Montréal » et avait poussé le haut fonctionnaire « à de folles et imprudentes dépenses ». Hamon venait d’être condamné à 20 000 francs d’amende et 5 ans de prison.

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