LA FRANCE PITTORESQUE
1er avril 1764 : une éclipse de soleil
fait craindre les « ténèbres de la nuit »
(D’après « Astronomie populaire : description
générale du ciel » (par Camille Flammarion), paru en 1880)
Publié le samedi 1er avril 2023, par Redaction
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À la veille de l’éclipse de soleil attendue pour le 1er avril 1764, et afin d’éviter la panique qui avait accompagné l’éclipse de soleil du 12 août 1654, l’assemblée du clergé invita les curés à informer le peuple du caractère inoffensif de ce phénomène céleste, et à avancer l’office
 

Chacun sait, aujourd’hui, que c’est la Lune qui, en tournant autour de la Terre, produit tantôt une éclipse de soleil lorsqu’elle s’interpose entre le Soleil et la Terre, tantôt une éclipse de lune lorsqu’elle se place derrière la Terre par rapport au Soleil. Dans une éclipse de soleil, la Lune masque le Soleil en totalité ou en partie, pour certains points de la surface de la Terre ; l’éclipse se présente avec tel ou tel caractère, suivant qu’on est placé en tel ou tel lieu pour l’observer. Ici, elle est totale ou annulaire ; là, elle n’est que partielle, et la partie caché du Soleil est plus ou moins grande ; plus loin, on n’aperçoit pas de traces de l’éclipse.

Les éclipses, comme les comètes, ont toujours été interprétées comme l’indice de calamités inévitables. Rappelons ce qui se passa, en France, à propos de l’annonce d’une éclipse de soleil pour le 21 août 1564. Pour l’un, elle présageait un grand bouleversement des États et la ruine de Rome ; pour l’autre, il s’agissait d’un nouveau déluge universel ; pour un troisième, il n’en devait résulter rien moins qu’un embrasement du globe ; enfin, pour les moins exagérés, elle devait empester l’air. La croyance à ces terribles effets était si générale, que, sur l’ordre exprès des médecins, une multitude de gens épouvantés se renfermèrent dans des caves bien closes, bien échauffées et bien parfumées pour se mettre à l’abri de ces mauvaises influences.

Éclipse de lune et éclipse de soleil. Gravure extraite des Theoricae novae planetarum du pionnier de la révolution copernicienne Georg von Peuerbach (1423-1461), édition de 1525

Éclipse de lune et éclipse de soleil. Gravure extraite des Theoricae novae planetarum du
pionnier de la révolution copernicienne Georg von Peuerbach (1423-1461), édition de 1525

Petit raconte que le moment décisif approchait, que la consternation était à son comble, et qu’un curé de campagne, ne pouvant plus suffire à confesser ses paroissiens, qui se croyaient à leur dernière heure, se vit obligé de leur dire au prône « de ne pas tant se presser, attendu qu’en raison de l’affluence des pénitents l’éclipse avait été remise à quinzaine. » Ces bons paroissiens ne firent pas plus de difficulté pour croire à la remise de l’éclipse qu’ils n’en avaient fait pour croire à son influence néfaste.

Un autre exemple mémorable est celui de l’éclipse qui eut lieu deux siècles plus tard. Les astronomes ayant annoncé une éclipse annulaire pour 1764, la Gazette de France, qui existait déjà, publia l’article suivant, envoyé par un curé de province, qui, sans doute, ne connaissait que les éclipses totales :

« On craint que l’office du matin, qui doit se célébrer dans les différentes paroisses, le dimanche 1er avril prochain, ne soit troublé par la frayeur et la curiosité que peut exciter parmi le peuple l’éclipse annulaire de soleil ; on a cru qu’il ne serait pas inutile de rendre public l’avis suivant :

Extrait de la Gazette de France du 19 mars 1764

Extrait de la Gazette de France du 19 mars 1764

« Les curés, tant des villes que de la campagne, sont invités à commencer plus tôt qu’à l’ordinaire l’office du quatrième dimanche du carême, à cause de l’éclipse totale de soleil, qui, sur les dix heures du matin, ramènera les ténèbres de la nuit. Ils sont priés, en même temps, d’avertir le peuple que les éclipses n’ont sur nous aucune influence, ni morale, ni physique ; qu’elles ne présagent et ne produisent ni stérilité, ni contagion, ni guerre, ni accident funeste, et que ce sont des suites nécessaires du mouvement des corps célestes, aussi naturelles que le lever ou le coucher du soleil ou de la lune. »

On réfuta cette annonce, en montrant qu’une éclipse annulaire ne pouvait pas amener les « ténèbres de la nuit » ; mais, malgré l’avertissement, le bruit qui s’était répandu dans toute la France fit avancer l’office dans le plus grand nombre des paroisses, même à Paris ; l’impression était faite, et l’on ne tenait nul compte de l’avis publié. Et même, plus de vingt ans après, on reprochait aux astronomes de s’être trompés.

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