LA FRANCE PITTORESQUE
Protection des peuples opprimés (Derrière la),
cherchez le pétrole...
(D’après « Lectures pour tous », paru en 1934)
Publié le dimanche 20 mars 2011, par Redaction
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En juin 1932, tandis que le royaume d’Irak proclamé en 1921 est sur le point d’accéder formellement à son indépendance (entrée au sein de la Société des Nations le 3 octobre 1932), l’Angleterre, soucieuse de garder la mainmise sur un or noir risquant de lui échapper, reçoit en grande pompe le roi Fayçal, souverain qu’elle a elle-même mis en place onze ans plus tôt mais qui n’a jamais cessé d’être un ardent nationaliste, rappelle un chroniqueur de Lectures pour tous... Ou l’art du trompe-l’œil diplomatique.
 

Le 20 juin 1932, les badauds de Londres avaient beau jeu à admirer la magnificence que déployait, à son entrée dans la capitale, le cortège du roi d’Irak, Fayçal. Fantassins géants en uniforme écarlate et gardes à cheval précédaient cinq voitures ouvertes. Dans la première, attelée de six chevaux, le roi George V était assis, ayant à sa droite le roi Fayçal. Il avait traversé la Manche dans un paquebot aménagé avec munificence par le gouvernement britannique et accompagné – escorte d’honneur – de quatre croiseurs. Accueilli sur le sol anglais par le roi et ses deux fils, Fayçal fut logé au Palais, fêté au Buckingham Palace par un dîner de gala de 130 couverts, et au Guildhall par le lord-maire de Londres. Enfin, à Aldershot, une revue militaire eut lieu en son honneur.

Couronnement du roi Fayçal Ier en 1921

Couronnement du roi Fayçal Ier en 1921

Amitié et pétrole
Quels étaient les motifs qui poussaient la fière et pratique Albion à recevoir de la sorte le monarque d’un petit pays oriental comptant, au maximum, trois millions d’habitants ? Le motif officiel des solennités était la politesse, l’hommage rendu au souverain d’un État arabe indépendant depuis 1932 (le royaume d’Irak avait été proclamé en 1921), membre de la Société des Nations (ancêtre de l’ONU). Mais les vraies raisons étaient les mêmes qui, en 1921, avaient amené les Anglais à créer, avec les trois vilayets de l’Empire ottoman en décomposition, un nouvel Etat arabe, lié aux intérêts vitaux de la Grande-Bretagne. Derrière la protection des peuples opprimés, cherchez... le pétrole !

Le vilayet de Mossoul, avec ses immenses gisements de pétrole, était inclus dans le nouvel État. En outre, l’Irak possède des avantages stratégiques. Dès le début du XIXe siècle, l’Angleterre occupait en Orient les principales « escales » de la route de l’Inde : l’île de l’Ascension, l’île de Sainte-Hélène, Capstadt. Le projet d’un Français génial : tracer une route nouvelle en coupant l’isthme de Suez, fut accueilli en Angleterre avec hostilité. De Lesseps fut qualifié d’aventurier et aucune de ses actions n’y fut souscrite. Cependant, le canal n’était pas achevé que l’Angleterre acquérait une île rocheuse et désertique dans le détroit de Bal-el-Mandeb et la transformait en vigie à la sortie de la mer Rouge. Sept ans après, la majorité des actions de Suez, en possession du khédive Ismaïl, étaient secrètement rachetées par l’Angleterre. Ainsi, bien qu’officiellement le canal soit considéré comme une entreprise internationale, de fait, la seconde route vers l’Océan Indien est, elle aussi, entre les mains de John Bull.

Cependant, depuis la grande guerre, les stratèges britanniques craignent, de la part de l’ennemi, un « embouteillage » du canal. Aussi jetèrent-ils les yeux sur une troisième voie, une voie ferrée cette fois, reliant Caïffa à Bagdad ou plutôt à Basra (l’ancienne Bassorah de Sindbad le Marin), c’est-à-dire à l’embouchure du Chat-el-Arab. Le roi Fayçal ne trouva pas à Londres que des fêtes. L’or l’y attendait aussi, l’or destiné à alimenter la construction de cette nouvelle et importante voie de pénétration vers l’Est, d’une importance primordiale pour les intérêts anglais. Cependant, ni la diplomatie, ni les baïonnettes, ni les avions de bombardement ne pouvaient garantir à l’Angleterre une emprise solide sur le nouvel État, si elle n’avait trouvé un précieux allié en la personne de Fayçal, couronné roi par elle.

Fayçal Ier, roi d'Irak (1921-1933)

Fayçal Ier, roi d’Irak (1921-1933)

Astuce et patience
La lignée de Fayçal rattacha d’emblée son royaume moderne à l’autorité antique. Mille ans durant, des princes de sa famille furent shérifs de la Mecque, gardiens de la Kaaba, centre du culte musulman, but suprême de pèlerins innombrables. Fayçal descendait directement, à travers trente-trois générations, de Fathma, fille de Mahomet. Soutenue par l’autorité et l’attirance qui émanaient de sa personne, cette ascendance lui valut une influence personnelle considérable. Il sut entraîner les Arabes dans la guerre mondiale contre la Turquie et assurer leur loyauté à son trône. Quoique allié de l’Angleterre, Fayçal n’avait jamais cessé d’être un ardent nationaliste arabe, rêvant, dans son for intérieur, de libérer son pays de la tutelle britannique. Obligé de s’incliner devant les clauses spéciales des traités relatives aux voies aériennes et à la présence d’une flottille delà Royal Air Force, il attendait son heure. Esprit sagace et avisé, il était passé maître en intrigues diplomatiques, et le séjour que dans sa jeunesse il fit à la cour du « sultan rouge » Abdul-Hamid à Constantinople, lui avait été utile comme une école d’astuce, de dissimulation et de patience.

A peine est-il disparu (8 septembre 1933), que voici les passions déchaînées et les tribus irréductibles qu’il avait su maintenir sous son sceptre, en discorde. Le moment est critique. Le mouvement nationaliste anti-britannique s’est renforcé. L’orgueil national est susceptible au point de crier au scandale à propos des films d’actualité qui représentaient l’arrivée à Londres de Fayçal. Comment, ce n’est pas une auto luxueuse, mais une Arabana (fiacre, en arabe) qu’on avait mise à la disposition de leur souverain ! Et les nationalistes de demander le licenciement de tous les fonctionnaires chrétiens, le bannissement des missionnaires, la cessation d’interventions étrangères dans les affaires de l’Irak, etc., etc. Au cours de ce mouvement, 2000 Assyro-Chaldéens chrétiens, spécialement protégés par l’Angleterre, furent massacrés. Des cadavres d’enfants enduits de naphte furent brûlés à l’église.

Ghazi Ier fils de Fayçal, est monté sur le trône de Haroun-Al-Raschid. Tout jeune, il reçut la sévère éducation dont s’était si bien trouvé son père. A treize ans, il fut envoyé en Angleterre, au fameux collège de Harrow, où il passa trois ans, après quoi Fayçal le rappela pour le faire entrer à l’École militaire d’Irak. Ordre fut donné de le traiter comme un cadet ordinaire, sans faveur aucune. Tout en donnant à son fils une culture européenne, le roi soignait le patriotisme de son héritier. De la civilisation européenne, il ne devait prendre que le nécessaire. Dans le palais de son père, Ghazi, pendant son enfance, ne trouvait pas de ces jouets et divertissements dont était pleine la demeure de son oncle, l’émir de Transjordanie Abdullah, et dont les plus sensationnels étaient... des miroirs déformants ! Mais la technique sérieuse l’intéressait vivement. Bientôt les officiers-instructeurs anglais rendirent hommage à son intelligence, à sa bravoure et sa résistance.

On raconte qu’au cours d’une des longues absences de son père, Ghazi, qui remplissait alors les fonctions de régent, eut une conversation animée avec sir Francis Humphreys. Surpris par le ton sur lequel lui parlait l’héritier du trône, l’ambassadeur finit par lui dire :
« Jamais votre père ne m’aurait parlé ainsi !
– Ce n’est pas au nom de mon père, mais en celui du peuple d’Irak que je parle ! » répondit l’émir.

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