LA FRANCE PITTORESQUE
Jeu du Diable boiteux
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Publié le vendredi 31 juillet 2015, par Redaction
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Nous le connaissons tous pour nous y être livrés dans notre enfance : Un des joueurs, tenant à la main un mouchoir et sautant sur un seul pied, poursuit ses camarades ; on l’appelle le diable boiteux. Les autres joueurs, armés aussi de leur mouchoir, cherchent à le frapper tout en évitant son atteinte ; car celui que le diable touche de son mouchoir prend sa place et court à son tour après ses camarades en sautant sur un pied.
 

Or, ce jeu du diable boiteux a été de toute antiquité connu des Grecs, et très certainement sous le nom de jeu de l’Empuse, qui équivaut au nom moderne et que nous allons expliquer dans un instant. Mais il semble qu’à une certaine époque il perdit son nom antique pour en emprunter un nouveau à un jeu fort en faveur à Athènes pendant les Dionysiaques, celui des outres enflées. Naturellement on sautait à cloche-pied avant de sauter sur des outres. Les Grecs disaient alors comme tous les peuples « sauter sur un pied » ; et le jeu qui nous occupe portait sans doute le nom de jeu de l’Empuse. Mais quand celui des outres enflées se fut répandu par toute la Grèce et fut devenu populaire, on appliqua le terme général de sauter sur des outres à l’action unique de sauter à cloche-pied. C’est ainsi que l’emploie Lucien, quand Lexiphane, racontant les tribulations de son voyage sur une mule, ajoute : « Le muletier me pressait tout en s’amusant à sauter à cloche-pied. »

A cloche-pied

A cloche-pied

Or, c’est sous le titre de saut à cloche-pied que Pollux décrit trois jeux, dans lesquels il n’est nullement question d’outres, et dont le second n’est autre que le jeu de l’Empuse et répond à notre diable boiteux. Le premier consistait à lutter à qui sauterait le plus loin à cloche-pied. Dans le second, un joueur, sautant à cloche-pied, court après ses camarades qui se sauvent à toutes jambes et les poursuit ainsi jusqu’à ce qu’il en atteigne un. Le troisième jeu était une sorte de course dans laquelle il ne s’agissait pas de devancer ses rivaux, mais de parcourir une plus grande distance à cloche-pied ; car, ainsi que nous le dit Pollux, on comptait les sauts et celui qui en avait fait le plus était vainqueur. On a reconnu en effet dans le second jeu que décrit Pollux, celui du diable boiteux.

Nous devons donc ici donner le plus succinctement possible quelques détails sur le nom plus antique de jeu de l’Empuse. Ce n’était en quelque sorte qu’une parodie d’un mythe très antique ; on y raillait, on y poursuivait même à coups de fouet une divinité nocturne, spectre effrayant et difforme envoyé par Hécate et que les anciens nommaient Empuse.

Suidas nous dit qu’Empuse était ainsi nommée de ce qu’elle ne marchait que sur un pied, son autre pied étant d’airain. Comme Protée, elle pouvait prendre différentes formes. Dans Aristophane, une Empuse apparaît à Bacchus, et Xanthias, qui l’aperçoit avant le dieu, la lui décrit comme un monstre horrible, tantôt bœuf, tantôt mulet, tantôt femme charmante. A ce passage du poète, le scholiaste nous apprend que quelques-uns regardaient Empuse comme Hécate elle-même ; or on sait que les anciens représentaient quelquefois cette dernière un fouet à la main. Ainsi dans le jeu du diable boiteux la baguette, que tient le joueur qui saute à cloche-pied, ne serait autre que le fouet d’Hécate ou d’Empuse.

Toutefois Bœttiger a ingénieusement remarqué dans ses Furies qu’Empuse pourrait bien n’être qu’une caricature des furies. Cette idée rentrerait dans ce que nous avons dit plus haut que le jeu de l’Empuse renfermait une parodie d’un mythe antique ; et dans ce cas les mouchoirs ou les baguettes des joueurs rappelleraient les serpents que les anciens mettaient aux mains des Euménides.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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