LA FRANCE PITTORESQUE
Au clair de la « lune »,
ou de la « lume » ?
(D’après « Le Petit Journal illustré » n°1827 paru en 1925)
Publié le lundi 3 février 2014, par Redaction
Imprimer cet article
En 1925, Charles Vogel, chroniqueur au Petit Journal illustré, entreprend de faire toute la lumière sur la chanson populaire « Au clair de la lune », et se range à l’opinion de ceux qui, luttant contre une habitude de plusieurs siècles, avancent que la rime d’origine a été déformée
 

Au clair de la lune,
Mon ami Pierrot...

Mais, amusons-nous !... Est-ce bien « Au clair de la lune ? » D’aucuns estiment que c’est « au clair de la lume » qu’il faut dire et nous n’hésitons pas à déclarer que nous nous rangeons à leur opinion. Lume, pour lumière, du latin « lumen ». Ce qui rend cette hypothèse fort admissible au demeurant, c’est que lune ne rime pas avec plume, alors que lume, au contraire, rime fort congrûment, et c’est là tout de même une raison valable car si la chanson ne témoigne point d’une richesse extraordinaire qui l’apparente aux productions parnassiennes de Théodore de Banville, de Leconte de Lisle et de José Maria de Heredia, on n’y relève pas, par ailleurs, des libertés aussi hardies.

Au « bon vieux temps » on ne sacrifiait pas, en poésie, aux simples assonances, comme on le fait aujourd’hui. Or, la chanson dont il s’agit, remonte au « bon vieux temps ». N’insistons pas. Lume ou Lune, c’est la chanson populaire depuis près de trois siècles [nous sommes en 1925], qui est en cause, et non une petite particularité d’ordre poétique. Et si cela peut être agréable à M. Tout-le-Monde, ou même seulement à M. Presque-Tout-le-Monde, acceptons sans plus « Au Clair de la lune ».

Est-ce Lubin, est-ce Arlequin (il y a deux versions, comme pour lume et lune) à qui est advenue la fâcheuse aventure ayant à écrire un mot, « de constater que sa chandelle est morte et qu’il n’a plus de feu » ? Lubin – ou Arlequin – sollicite Pierrot d’ouvrir sa porte et de prêter sa plume. Et Pierrot, qui est au lit, ne se veut point déranger, aussi engage-t-il le solliciteur à s’adresser à la voisine, qui doit être chez elle, puisque dans sa cuisine, on entend battre le briquet. Lubin – ou Arlequin – suit le conseil et prie la voisine de le vouloir bien accueillir « au nom du dieu d’amour ». Et la voisine se laisse aisément attendrir, car la chanson nous apprend, sans nous fournir d’autres détails précis, que la porte « sur eux se ferma ».

Qui est l’auteur de ces paroles ? Un inconnu. On ne sait rien de plus. Mais, l’auteur de la musique ? On attribue la musique à Lulli – sans preuves certaines, il est vrai... car on ne s’appuie guère que sur des probabilités admissibles. La musique serait donc de Lulli, de Lulli jeune, de Lulli à l’époque où il était simplement marmiton (il a été marmiton, l’auteur de la « Marche de Turenne »). Elle ne date pas du temps où le maître composait des opéras et de la musique pour les pièces de Molière et les ballets de la Cour de Versailles, du temps où Lulli était surintendant de la musique du Grand Roy ! Il ne nous appartient pas d’affirmer catégoriquement que la mélodie est – ou n’est pas – de Lulli, pour ce motif d’ailleurs suffisant que nous ne pourrions baser notre assertion dans un sens ou dans l’autre, sur des témoignages et des documents irréfutables. Reconnaissons, simplement, que la musique est charmante en sa grâce un peu mélancolique, en sa naïveté, en sa simplicité, de même que les paroles sont pleines de fraîcheur et de délicate ingénuité.

Cette mélodie a servi de thème à des « variations » pour piano tout à fait réussies, dues au compositeur Lucien Lambert. Lesdites « variations » ont obtenu, il y a une quarantaine d’années, un vif succès auprès des exécutants – d’une certaine force, car elles ne sont pas très, très faciles à jouer, et surtout à bien jouer ! Dans un de ses opéras-comiques – qui n’est pas la plus populaire de ses œuvres – à cause de la Dame Blanche, Boieldieu [François-Adrien Boieldieu (1775-1834)] a intercalé des « variations » pour chant sur Au clair de la lune, qui atteignent tout bonnement à la perfection dans le genre. Les personnes qui ont entendu – au Trianon-Lyrique, par exemple –, les Voitures versées, de Boieldieu, ne me contrediront pas, j’en ai la conviction. Et voilà pour Au clair de la lune – ou de la lume – paroles de X..., musique de Lulli, à moins qu’elle ne soit pas de Lulli !

Copyright © LA FRANCE PITTORESQUE
Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

Imprimer cet article

LA FRANCE PITTORESQUE