LA FRANCE PITTORESQUE
5 mars 1886 : l’anarchiste Charles Gallo
jette une bombe dans la Bourse de Paris
(D’après « Plutôt la mort que l’injustice. Au temps des
procès anarchistes » (par Thierry Lévy) paru en 2009
et « Je prie pour Carnot qui va être
assassiné ce soir » (par Karine Salomé) paru en 2012)
Publié le mardi 5 mars 2024, par Redaction
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À la fin du XIXe siècle, les journaux et brochures contenant des conseils pour la confection des « produits antibourgeois » et les actions ciblées contre les représentants de la religion et de l’autorité se multiplient
 

Dans Le Droit social, on invite les paroissiens à faire cadeau de légumes et de fruits empoisonnés au curé, les servantes à assaisonner la cuisine du bourgeois avec du poison, le paysan à retourner son fusil contre le garde-champêtre passant à sa portée. On peut aussi incendier les entrepôts préalablement imbibés de pétrole. Le Révolté, La Lutte, Le Drapeau noir, L’Action révolutionnaire contiennent le même genre d’incitations. Ces moyens criminels, selon l’expression de Garraud, n’étaient pas destinés à changer la société mais à montrer aux « exploiteurs » que « les travailleurs commencent à comprendre les vraies causes de leur servitude ».

Souvent illicite, la propagande se fait aussi à l’occasion de réunions, systématiquement surveillées par la police lorsqu’elles sont publiques et par des mouchards lorsqu’elles sont privées. Elles sont donc difficiles, voire impossibles à organiser sans l’accord ou à tout le moins la passivité des autorités. En dépit de cette intense agitation, les actions violentes antérieurs à 1892, au demeurant peu nombreuses, ont surtout causé des dégâts matériels.

La corbeille des agents de change à la Bourse de Paris en 1862

La corbeille des agents de change à la Bourse de Paris en 1862

En 1881, Émile Florion, un ouvrier, envisage de tuer Gambetta. Il cherche en vain sa victime autour du Palais Bourbon, mais de crainte d’être remarqué et arrêté, prend la décision de frapper « le premier bourgeois venu ». Dans un texte qu’il adresse au journal Ni Dieu, ni maître, il envisage son geste comme un « devoir révolutionnaire », visant à « débarrasser la société d’un de ces coquins qui personnifient la bourgeoisie ». Il se rend à Neuilly et tire deux coups de pistolet sur le docteur Meymar dont l’apparence et la décoration suffisent, à ses yeux, à établir sa qualité de bourgeois. Le docteur n’est que légèrement blessé. À l’annonce de sa condamnation à vingt ans de travaux forcés, Florion lance devant la cour d’assises de la Seine : « Vive la révolution sociale ! »

En octobre 1882, Antoine Cyvoct est arrêté à la suite de l’explosion d’une bombe au restaurant du théâtre Bellecour, à Lyon. Condamné au bagne, il continue à nier toute implication et fait l’objet d’une mesure d’aministie en 1898. Un adolescent de 17 ans, lecteur de journaux anarchistes, Paul-Marie Curien, a bien exprimé la volonté de tuer le 16 novembre 1883 Jules Ferry, alors président du Conseil, mais venu à Paris dans ce but, il n’a pu accéder jusqu’au chef du gouvernement dont il n’a pas réussi, bien qu’armé, à se faire ouvrir la porte, barrée par un huissier. Il est condamné à trois mois de prison.

Plus sérieux, les faits commis l’année suivante par Louis Chaves, jardinier licencié, ont provoqué la mort de la supérieure du couvent qui l’avait employé ainsi que de graves blessures sur la seconde de cette institution religieuse de Marseille. « Anarchiste convaincu et d’action », il avait annoncé à L’Hydre anarchiste qu’il allait se venger de ses anciennes patronnes, ce qu’il fit en tirant sur elles avant d’être abattu par les gendarmes venus l’arrêter.

Abandonné par sa mère à sa naissance à Palais, dans le Morbihan, Charles Gallo, devenu clerc d’huissier à force de persévérance, a cru que la fausse monnaie le ferait échapper à sa condition. Condamné à cinq ans de réclusion, il est sorti de prison plus déterminé que jamais. En jetant une bouteille d’acide du haut des galeries surplombant la corbeille à la Bourse de Paris, il espérait tuer, dira-t-il aux assises, le plus de gens possible. Alertés par l’odeur, pris de panique, les coulissiers et les employés de banque s’étaient dispersés sans être atteints par les coups de feu tirés par Gallo.

Au cours des interrogatoires, il confesse avoir voulu non pas épouvanter les députés, mais tuer le plus grand nombre possible de ces « très peu respectables agioteurs » qui se trouvaient dans le bâtiment. Il avoue également pensé à faire sauter la chambre de commerce de Nancy, avant d’y renoncer, jugeant le danger encouru disproportionné en regard des effets possibles. Il avait aussi abandonné l’idée de déposer une bombe lors du congrès de Versailles en 1884 afin de frapper les députés et les sénateurs réunis pour voter une révision partielle de la Constitution.

À l’issue d’un procès qui le condamne à vingt ans de travaux forcés, il proclame, une fois sorti de la cour d’assises : « Vive la révolution sociale ! Vive l’anarchie ! [...] Vive la dynamite ! » Déporté en Nouvelle-Calédonie, condamné à mort après s’être révolté contre un garde-chiourme (peine commuée), il n’était plus en 1902, selon le dernier témoignage conservé, qu’un « cadavre vivant ».

À partir de 1887, et surtout au cours des années 1888 et 1889, une série d’attentats visant les commissariats et les bureaux de placement est recensée. Un pétard descelle des pierres rue Chénier, à l’adresse de l’une de ces officines. Les locaux du bureau de placement des garçons limonadiers sont attaqués à deux reprises ; la vitrine de l’agence de la rue Boucher est brisée par une cartouche de dynamite, celle de la rue Française également mais, cette fois, un brigadier faisant sa ronde est blessé par des éclats de vitre. Des explosions sans conséquences graves ont lieu dans divers commissariats, rue de la Perle, rue de la Cerisaie, rue des Colonnes.

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