LA FRANCE PITTORESQUE
20 janvier 1799 : prise de Naples par le général Championnet
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Publié le samedi 21 novembre 2009, par LA RÉDACTION
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Quand les suggestions de l’Angleterre et de l’Autriche, secondées par les intrigues d’Acton, la turbulence de la reine et la nullité du roi, eurent déterminé la cour de Naples à déclarer la guerre à la France, Ferdinand s’était mis aussitôt à la tète de soin armée portée jusqu’à soixante-dix mille hommes, ne doutant pas que, grâce aux profondes combinaisons de Mack, il ne lui fût facile de détruire les seize mille Français qui se trouvaient dans les Etats romains, et de devenir ainsi une espèce de conquérant. Mack avait divisé sou armée en nombreux détachements, afin d’attaquer et de tourner les Français par tous les points. Les sages dispositions de Championne ! firent échouer ce plan ; il évacua Rome, laissant une faible garnison dans le château Saint-Ange, et porta le gros de ses forces sur Civita-Castellana ( l’ancienne Veïes ), où il les plaça sous le commandement de Macdonald, tandis que lui-même courait à Aucune pour hâter l’arrivée de ses parcs et de ses mumitions. Pendant ce temps Ferdinand, à la tête de ses Napolitains, entra à Rome, et ses soldats, pour célébrer ce triomphe, aidèrent la populace romaine à piller les maisons des habitants désignés comme révolutionnaires : ce fut là le terme de leurs conquêtes. Mack ayant tenté d’attaquer les. Français à Civita-Castellana, fut vigoureusement repoussé. Championnet, revenu à son armée, enleva à Calvi une division napolitaine qui menaçait ses communications, et manœuvra pour couper la division Damas, qui, quelques jours après, obtint par une capitulation la permission de se rembarquer. Mack n’avait pas attendu cet événement pour évacuer Rome, et Ferdinand s’était hâte de reprendre la route de sa capitale, en ordonnant dans ses Etats une levée en masse. Championnet, rentré à Rome le 13 décembre, s’y arrêta pendant quelques jours : il avait conçu l’audacieux dessein de conquérir le royaume de Naples, malgré la faiblesse numérique de son armée et les mauvaises dispositions des habitants. Il se remit en marche pour poursuivre les Napolitains qui fuyaient devant lui en désordre, et lui abandonnaient un grand nombre de prisonniers. Mack, épouvanté, ne s’arrêta que devant Capoue, sur la ligne du Vokurne qu’il se disposa à défendre. Au premier bruit de l’invasion des Français, la cour de Naples ne songea qu’à fuir. La populace montrait une vive fermentation ; elle criait à la trahison, demandait la tête des généraux, voulait égorger ceux qu’on soupçonnait d’être favorables aux Français : pour exercer ces vengeances, les lazzaroni demandaient des armes, que la cour s’empressa de leur accorder. Ce fut le signal d’une complète insurrection ; les lazzaroni, maîtres de Naples, voyaient partout des traîtres ; un messager du roi fut saisi et massacré. Tant que ces excès n’atteignirent que la bourgeoisie, la cour s’en accommoda assez bien ; mais sitôt que le mécontentement se tourna contre le favori Acton, et qu’on commença à le désigner comme l’auteur des malheurs publics, les masses que la cour avait armées pour se rassurer ajoutèrent à son épouvante. Acton, la reine, le roi, toute la cour, frappés de terreur, ne se crurent plus en sûreté à Naples, et se hâtèrent d’exécuter le projet conçu à l’avance de se réfugier en Sicile. Le 31 décembre, toutes les richesses des palais de Naples et de Caserte, les meubles précieux de la couronne, et un trésor de vingt millions furent embarqués sur l’escadre de Nelson. Suivant un usage rigoureusement observé par les Anglais dans tout le cours de cette guerre, on mit le feu aux chantiers de la marine, pour que les Français ne profitassent pas de ce qu’on n’avait pu emporter. Ce fut à la lueur de cet incendie que l’infâme Acton et la cour lâche et cruelle qu’il dominait firent voile pour la Sicile. L’ordre fut, dit-on, laissé aux lazzaroni d’égorger la haute bourgeoisie, soupçonnée d’esprit révolutionnaire. Le gouvernement suprême de Naples fut confié au prince Pignatelli.

Cependant Championnet, ne rencontrant point d’obstacles, était parvenu rapidement sous les murs de Capoue. Il avait divisé son armée en plusieurs colonnes, qui, marchant parallèlement à lui, devaient le rejoindre sur les bords du Volturne ; ce fut une faute qui faillit lui coûter cher. Ces colonnes ayant à traverser un pays insurgé, n’arrivèrent point au jour fixé. Championnet ayant voulu, en les attendant, brusquer une attaque contre Capoue, fut repoussé. Obligé de se replier jusqu’à l’arrivée de ses troupes, entouré d’un peuple fanatisé qui interceptait toutes les communications, il se trouva comme assiégé dans son camp. Mack profita de cette position critique, non pour l’attaquer avec avantage, mais pour lui faire des propositions d’arrangement. Contre toute attente, Championnet les repoussa, et la fortune couronna sa hardiesse ; les divisions Lemoine et Duhesme, qu’il attendait, le rejoignirent, tandis que Kellermann et Rey investissaient Gaëte, place importante qui leur fut rendue sans coup férir, avec une garnison de trois mille hommes. Championnet put alors dicter les conditions de l’armistice, qu’il avait refusé d’abord ; on se soumit à lui remettre Capoue et Bénévent, et à payer une contribution de huit millions.

La nouvelle de la conclusion de cet armistice porta au plus haut point l’exaspération de la populace napolitaine. Les lazzaroni crient que les généraux trahissent, et que le peuple ne permettra pas que cette convention soit exécutée. Les troupes de Damas, qui revenaient d’Orbitello par mer, sont désarmées ; on fait partir des détachemens pour arrêter Mack. Pignatelli demande à ce général quelques troupes d’élite pour contenir la multitude ; la brigade Dillon, envoyée à cet effet, est arrêtée et désarmée. Le prince Pignatelli, épouvanté de tant d’excès, abandonne Naples. Après trois jours de tumulte, le peuple choisit pour gouverneur le prince de Moliterne, qui avait quelque crédit parmi les lazzaroni. Pendant ce temps, des mouvements semblables éclatent dans le camp de Mack. Ses soldats ; passant de la lâcheté à la révolte, l’accusent de leurs revers, et veulent le massacrer. Mack n’a plus d’autre asile que le camp français ; il alla se présenter à Championnet, qui le reçut à sa table et lui laissa son épée.

L’armistice se trouvant comme non avenu, Championnet réunit ses divisions et marcha sur Naples. Les lazzaroni et les paysans des environs, fanatisés par les prêtres, au cri de viva la santa fede, juraient de s’ensevelir sous les ruines de la ville. Les Français, pour approcher de la place, livrèrent quelques combats dans lesquels ces fanatiques montrèrent plus de résolution que n’en avaient montré les soldats. L’imminence du danger redoubla encore leur fureur. Le prince de Moliterne avait cessé bientôt de leur convenir, et ils avaient pris pour chefs deux d’entre eux ; leur turbulence ne connaissait plus de frein ; les plus horribles excès furent commis contre les bourgeois et les nobles accusés de jacobinisme. Enfin cette sanguinaire anarchie fut poussée au point que les habitons, intéressés au rétablissement de l’ordre, désirèrent l’entrée des Français ; ils firent savoir à Mack qu’ils étaient prêts à lui livrer Naples ; le prince de Moliterne lui-même promit de s’emparer du fort Saint-Elme, et de le remettre aux Français. Le 21 janvier, Championnet donna l’assaut ; les lazzaroni se défendirent avec courage ; mais les bourgeois s’étant emparés du fort Saint-Elme et des différentes portes de la ville, donnèrent entrée aux Français. Les lazzaroni, retranchés dans les maisons, menaçaient de se défendre de rue en rue ; mais leur premier feu était jeté ; ce peuple, vif et léger, n’a point cette intrépidité persévérante qui prolonge les résistances ; quelques bons traitements, faits à un de leurs chefs tombé au pouvoir des Français, et la promesse de respecter saint Janvier, suffirent pour éteindre leur ardeur belliqueuse ; ils se soumirent au vainqueur.

Championnet, maître dès cet instant de Naples et du royaume entier, prit de promptes mesures pour le rétablissement de l’ordre : la première fut de désarmer les lazzaroni. Conformément aux ordres du gouvernement français, il érigea le royaume de Naples en république, sous le titre de République parthénopéenne, titre éphémère, que bientôt après Caroline et Rufifo firent disparaître dans des flots de sang. — Ch.

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