LA FRANCE PITTORESQUE
Siège de La Rochelle
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Publié le mercredi 14 avril 2010, par Redaction
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Le parti protestant en France, de 1622 à 1627
Au mois d’octobre 1622, un traité signé à Montpellier entre Louis XIII et le duc de Rohan avait mis fin à la guerre de religion qui avait éclaté l’année précédente. Ce traité rétablissait les anciens édits de pacification ; mais les assemblées autres que les consistoires et les synodes ecclésiastiques étaient interdites aux huguenots, qui ne conservaient, comme villes de sûreté, que La Rochelle et Montauban.

Toutefois, le roi promit de ne point mettre de garnison à Montpellier, de ne pas y bâtir de citadelle, et de faire raser le fort Louis, qu’il avait récemment élevé à mille pas des portes de La Rochelle. Cette paix, assez mal observée de part et d’autre, tendait à consommer la ruine du parti protestant : aussi les chefs de ce parti, le duc de Rohan et son frère le duc de Soubise, épiaient l’occasion de faire recouvrer à leurs coreligionnaires les assemblées politiques, les villes de sûreté, l’organisation militaire, et tous les avantages qu’ils avaient perdus.

En 1625, voyant Richelieu engagé dans une lutte périlleuse contre la maison d’Autriche, ils crurent le moment favorable ; les prétextes, d’ailleurs, ne leur manquaient pas. Le fort Louis, qui commandait l’entrée de La Rochelle, loin d’être rasé, comme le roi l’avait promis, était de jour en jour plus fortifié. A Brouage, à Oléron, on avait placé des troupes, de l’artillerie et des garde-côtes. Les navires ne pouvaient entrer dans le port de La Rochelle ou en sortir qu’en payant des droits si considérables qu’ils avaient anéanti son commerce. Enfin l’on savait que, pour compléter le blocus, une flotte royale était réunie à l’embouchure du Blavet.

Ce fut dans ces circonstances que le duc de Soubise se décida à prendre les armes sans avoir consulté son parti. Au mois de janvier 1625, il s’empara de l’île de Ré, y arma cinq petits navires sur lesquels il embarqua trois cents soldats et cent matelots ; puis, le 17 janvier, à la tête de cette flottille, il entra dans le port de Blavet, attaqua les vaisseaux du roi et s’en rendit maître ; mais lorsqu’il voulut sortir du port avec ses prises, les vents contraires le forcèrent d’y rentrer, et il ne tarda pas à y être assiégé par deux mille hommes sous la conduite du duc de Vendôme, gouverneur de Bretagne. Les Huguenots crurent Soubise perdu et le désavouèrent. Mais, au bout de trois semaines, le vent ayant changé, il parvint à couper les chaînes et les câbles qui fermaient le port, franchit la passe longue et étroite, et put ramener encore quinze ou seize vaisseaux avec lesquels il s’empara de l’île d’Oléron.

Le duc de Rohan, pensant que la perte de la flotte du roi rendrait Richelieu plus disposé à traiter, demanda à ouvrir des négociations, réclamant seulement l’exécution du traité de Montpellier. Ses offres n’ayant point été acceptées, il commença, de son côté, les hostilités en Languedoc, le 1er mai, et convoqua à Castres une assemblée des églises de la province, par laquelle il se fit nommer général ; et, bien qu’il ne recrutât son armée qu’avec peine, il réussit pourtant à faire face aux troupes du roi.

Pendant ce temps, le duc de Soubise, qui avait enfin obtenu l’assistance des Rochelois, tenait la mer avec une flotte puissante. Il fit de nombreuses prises, et alla même ravager les côtes du Languedoc. Mais bientôt Richelieu, ayant emprunté des vaisseaux à la Hollande et à l’Angleterre, le fit attaquer par Toiras et le duc de Montmorency dans la rade du bourg Saint-Martin de l’île de Ré : ceux-ci, après l’avoir battu d’abord sur terre le 15 septembre, s’emparèrent d’une partie de sa flotte ; le reste se réfugia en Angleterre.

Ces succès n’arrêtèrent pas Richelieu : il résolut d’étouffer cette guerre civile. « Le commencement de l’année 1626, dit-il dans ses Mémoires, fut signalé par deux actions importantes et peu attendues, qui donnèrent au roi le repos au dehors et au dedans de son royaume, et lui ouvrirent le chemin pour extirper le parti huguenot qui depuis cent ans divisait son État. Ces deux affaires furent : la conclusion de la paix avec l’Espagne, et celle avec les huguenots. »

Cette double négociation fut conduite avec l’habileté ordinaire du cardinal. L’Espagne, espérant que Louis XIII s’engagerait de plus en plus dans la guerre contre les réformés, se montra fort accommodante sur les affaires d’Italie. L’Angleterre, dont l’intérêt était de maintenir la France en guerre avec le reste de l’Europe et surtout avec l’Espagne, détermina les Rochelois à s’arranger avec le roi ; « d’où il arriva, dit Richelieu, que, par une conduite pleine d’industrie inaccoutumée, on porta les huguenots à consentir à la paix de peur de celle d’Espagne, et les Espagnols à faire la paix de peur de celle des huguenots. »

Cette paix, signée avec les protestants le 5 février 1626, ne modifiait guère le traité de Montpellier. On leur accordait seulement les fortifications qu’ils avaient construites nouvellement, et le roi d’Angleterre se portait garant du traité. Ses ambassadeurs promettaient, d’après les paroles qui leur avaient été données, « que le fort Louis et les îles de Ré et d’Oléron ne serviraient jamais à nuire à la sûreté et au commerce de La Rochelle. »

Richelieu mit à profit le répit que lui donna cette pacification. Il poursuivit avec ardeur son projet de relever ou pour mieux dire de créer la marine française. Il commença par supprimer la charge d’amiral de Bretagne, et par racheter du duc de Montmorency celle de grand amiral dont les privilèges contrariaient ses desseins, et se fit donner la surintendance de la navigation et du commerce ; puis il ordonna de construire, dans les ports de France et de Hollande, des vaisseaux de toute grandeur. La paix lui était nécessaire, et il n’était point encore disposé à la rompre, quand, par une querelle avec l’Angleterre, il se vit forcé de recommencer la lutte plus tôt qu’il ne comptait.

Henriette de France, fille de Henri IV, avait été mariée à Charles Ier, roi d’Angleterre ; mais la discorde n’avait pas tardé à éclater entre les deux époux. La jeune reine, dès les premiers jours de son arrivée à Londres, avait refusé d’être couronnée avec son mari, afin de ne pas avoir à s’agenouiller devant un prélat hérétique dans l’église presbytérienne de Westminster. Chaque jour voyait naître de nouvelles querelles que le favori du roi, le duc de Buckingham, ne manquait pas d’aigrir encore.

Enfin, le 9 août 1626, toutes les dames françaises et tous les prêtres attachés à Henriette furent enlevés d’auprès d’elle et expulsés d’Angleterre. Louis XIII prit vivement la défense de sa sœur, et, au mois d’octobre, il envoya à Londres, pour régler ce différend, Bassompierre, qui, croyant avoir réussi dans la mission dont il s’était chargé, allait se rembarquer, quand Buckingham lui annonça, à Douvres, qu’il était lui-même chargé d’une ambassade extraordinaire à la cour de France.

Cette nouvelle rompit toutes les négociations. Louis XIII, qui n’avait pu oublier la manière insolente dont Buckingham s’était conduit envers Anne d’Autriche, refusa de recevoir un pareil ambassadeur, et le favori offensé fit saisir par les corsaires anglais tous les navires français qui se trouvaient sur les côtes de France et d’Angleterre ; il promit sa protection aux huguenots s’ils voulaient prendre encore une fois les armes ; et, pour les engager à se déclarer, il équipa une flotte formidable avec laquelle, au mois de juillet 1627, il parut tout à coup devant l’île de Ré.

Vue de La Rochelle vers 1627

Vue de La Rochelle vers 1627

Elle portait seize mille hommes de débarquement et un grand nombre de réfugiés français, entre autres le duc de Soubise. Buckingham répandit sur le rivage un manifeste où le roi d’Angleterre déclarait n’avoir d’autre but, dans cette expédition, que de rendre aux églises de France leur ancienne splendeur, et de secourir La Rochelle, que les armes de Louis XIII menaçaient de toutes parts. Les Rochelois, néanmoins, hésitèrent longtemps à accepter la protection des anciens ennemis de la France. Ils comprenaient qu’ils assumaient sur eux une terrible responsabilité s’ils commençaient les hostilités.

Le maire et les jurats refusèrent l’entrée de leur port à Buckingham, et la vieille duchesse de Rohan, malgré la vénération dont elle était entourée, ne put les décider à ouvrir les portes à son fils Soubise. Elle fut obligée de l’aller chercher elle-même dans une chaloupe. Elle le ramena avec un secrétaire de Buckingham, et parvint à leur faire obtenir audience par la bourgeoisie. Mais les Rochelois les renvoyèrent avec cette réponse, qu’ils étaient unis par serment au corps entier des réformés, et qu’ils ne prendraient point les armes sans l’appui et le consentement de leurs coreligionnaires.

Commencement des hostilités. Arrivée de Buckingham devant la Rochelle
Malgré cette déclaration, les Anglais commencèrent les hostilités. « Buckingham voulut, devant toutes choses, dit Fontenay-Mareuil, assiéger la citadelle de Ré pour s’en faire, en cas de besoin, une retraite assurée, et se rendant maître, par le moyen des vaisseaux qu’il y tiendrait, de tout le commerce depuis la rivière de Bordeaux jusqu’à celle de Nantes, avoir de quoi fournir aux frais de la guerre tant qu’elle durerait, sans être à charge à l’Angleterre ni en dépendre qu’autant qu’il voudrait ; croyant, au reste, plus à propos de laisser venir le roi à La Rochelle, et même l’assiéger, que de l’en empêcher, afin que, ne se pouvant pas toujours défendre toute seule, elle fût enfin contrainte de prendre un maître, ne doutant point que ce ne fût le roi de la Grande-Bretagne plutôt que le roi, à cause de sa religion, et que ceux des autres provinces ne suivissent son exemple ; par où ils deviendraient aussi puissants en France que leurs prédécesseurs y avaient été. »

« Pour mieux comprendre cette affaire, dit Rohan dans ses Mémoires, il faut savoir que Ré est une île située à une lieue de La Rochelle, qui a sept lieues de long, fort fertile, surtout en vins et en sel. Entre Ré et Brouage, il y a une autre île nommée Oléron, aussi grande qu’elle, aussi peuplée et encore plus fertile, où le roi s’était conservé un fort que le duc de Soubise y avait fait faire en la guerre précédente, lequel ne valait rien ; et si Buckingham s’en fût saisi, et de toute l’île où presque tous les habitants sont réformés, il ôtait tout moyen de secours à la citadelle de Ré. »

Ce fut donc sur l’île de Ré que Buckingham dirigea son expédition. Toiras en avait été nommé gouverneur par Richelieu. On y avait construit deux forts, l’un au bourg Saint-Martin, l’autre à quelque distance, nommé fort la Prée. Le dernier était seul, achevé lors de l’arrivée des Anglais. Toiras, comptant que les ennemis attaqueraient d’abord le fort Louis, avait, malgré les ordres formels de Richelieu, assez mal approvisionné les deux places ; mais heureusement il avait gardé avec lui des troupes excellentes, et entre autres la plus grande partie du régiment de Champagne. Il savait d’ailleurs que le roi avait rassemblé une armée qui était en marche pour La Rochelle.

Descente des Anglais dans l’île de Ré. Combat de Saint-Blanceau
Le 22 juillet 1627, les Anglais descendirent dans un endroit nommé Saint-Blanceau, très favorable pour un débarquement. Une langue de terre s’y avance dans la mer, et l’eau y était assez profonde pour permettre aux gros navires d’aborder. Toiras, qui n’avait pas suffisamment reconnu ce lien, y accourut avec ses troupes lorsqu’il apprit l’arrivée des Anglais. Au nombre des morts tués à ce premier combat étaient, du côté des Français, le baron de Chantal, père de madame de Sévigné, et un neveu du célèbre Montaigne.

Du côté des Anglais, qui perdirent plus de cinq cents hommes, on regretta principalement le Français Saint-Blancart, l’âme de l’entreprise, et dont la mort « fut une perte plus considérable que n’aurait été le gain tout entier des îles. » Ce dernier, après la réduction de Montpellier, avait vendu tout son patrimoine pour n’avoir, disait-il, rien à perdre en France, et y guerroyer toutes les fois qu’il pourrait y vivre aux dépens du roi.

« Celui-là, dit un historien, ayant été tué, l’armée demeura presque aussi morte que lui. Le duc de Buckingham, qui n’avait jamais vu de guerre, n’ayant plus personne sur qui se reposer que des Anglais, qui n’avaient servi que sous les princes d’Orange (c’est-à-dire dans les Pays-Bas), où ils ne faisaient qu’obéir, se trouvait bien empêché d’avoir à commander ; ils ne surent lui faire prendre d’autre parti que d’en user comme ils avaient vu faire en Hollande, marchant toujours en bataille, et logeant de bonne heure pour avoir le loisir de se retrancher. De sorte qu’ayant employé le reste de la journée et toute la nuit à descendre, ils demeurèrent cinq jours à faire un chemin pour lequel il ne fallait tout au plus qu’une après-dînée. »

Siège du fort de Saint-Martin
Ces lenteurs sauvèrent le fort Saint-Martin, d’où dépendait le sort de l’île de Ré. Toiras eut le temps de compléter ses préparatifs de défense et de rassembler des provisions. Pourtant, il commit l’imprudence, pendant les quinze premiers jours, de ne point régler la distribution des vivres et de laisser ouverts les cabarets où il s’en gaspillait follement. « Mais, dit un contemporain, ces fautes furent les seules qu’il fit, s’étant porté en tout le reste, et avec une infinité de difficultés qu’il rencontra, avec tout le cœur et l’esprit qui se pouvait. » Buckingham, étant enfin arrivé devant la citadelle, fit immédiatement commencer une circonvallation.

Cependant, bien que Louis XIII fût tombé gravement malade, l’armée royale avait continué sa marche vers La Rochelle, sous les murs de laquelle elle était arrivée au milieu du mois d’août. Ce fut seulement quelque temps après que les habitants se déclarèrent et firent alliance avec les Anglais. Nous reviendrons sur ce fait après avoir raconté tout ce qui se passa dans l’île de Ré.

Le cardinal de Richelieu, qui avait rejoint l’armée, comprenant l’importance qu’il y avait à conserver cette île, ne négligea aucun moyen pour envoyer des secours aux assiégés, que le défaut de vivres et de munitions, les maladies, avaient réduits à l’extrémité. Il faut lire, dans les Mémoires de ce grand ministre, le récit de tous les préparatifs qu’il ordonna à cette occasion, et pour lesquels il n’épargna ni l’argent de l’État, ni le sien propre. Dans tous les ports de l’Océan, il fit construire et équiper des navires qui devaient se rendre sur les côtes de La Rochelle.

Secours envoyés à la citadelle de Ré
A l’un des premiers jours d’août, treize gentilshommes se jetèrent dans une barque à douze rames ; attaqués par les chaloupes anglaises, ils furent pris et jetés à la mer, à l’exception d’un nommé Jouy qui fut épargné ; Buckingham fit pendre les matelots anglais qui lui avaient sauvé la vie. « Mais, dit Richelieu, ces cruautés, au lieu d’épouvanter, animaient les nôtres contre les ennemis. » Le 8 du même mois, deux chaloupes et une barque purent arriver au fort de Saint-Martin et au fort de la Prée, et bien à propos, car il n’y avait plus de vivres que pour quatre ou cinq jours, et elles en portèrent pour un mois.

Siège de La Rochelle. Vue de la digue de Richelieu, construite par Du Plessis et Vassal

Siège de La Rochelle. Vue de la digue de Richelieu,
construite par Du Plessis et Vassal

Buckingham, irrité de ce secours, se livra à d’horribles cruautés. Le 21 août, « il fit ramasser toutes les femmes catholiques de l’île qui avaient leurs maris dans la citadelle, et leur fit passer les tranchées à coups de bâton, les chassant vers la citadelle, où, d’autant que du commencement on ne les voulait pas recevoir et qu’elles revenaient vers les Anglais, ceux-ci firent tirer sur elles et en tuèrent beaucoup, dont les soldats de la citadelle ayant compassion, ils leur ouvrirent les portes et les reçurent. Il y eut une de ces pauvres femmes qui, étant tombée d’une mousquetade dans le corps, donnait encore en cet état la mamelle à son enfant, qu’elle avait entre les bras pour l’empêcher de crier ; et venant à mourir, l’enfant se trouva téter encore vivant lorsqu’on le fut quérir. »

Les Anglais, pour fermer la mer aux assiégés, eurent recours à des travaux analogues à ceux que Richelieu employa quelque temps après contre la Rochelle. Ils échouèrent devant le fort Saint-Martin une grande quantité de barques remplies de pierres ; puis ils construisirent, au moyen de carcasses de grands navires, un immense radeau qu’ils armèrent de plusieurs canons, et qu’ils approchèrent le plus près possible de la citadelle.

« Mais cette machine dura peu, car, dans l’espace d’une nuit, un vent de nord-est la rendit invisible. Enfin ils firent une estacade de mâts de navires attachés ensemble avec des chaînes de fer et, par les extrémités, liés à de gros câbles, à de grosses ancres, à mille pas de la citadelle. Ils attachèrent aussi de gros câbles, d’un vaisseau à l’autre, où ils enfilèrent des barriques et des pataches pour la soutenir sur l’eau. Cette invention devait, ce semble, fermer tout passage pour arriver à la citadelle ; de sorte que Buckingham se vantait qu’il n’y avait que les oiseaux qui en pussent approcher... ; tout enorgueilli, il envoya convier Toiras de se rendre, et lui fit présent d’une douzaine de melons. Toiras lui manda n’être pas encore à cette extrémité et lui envoya en revanche de ses melons six bouteilles d’eau de fleurs d’oranger et une douzaine de vases de poudre de Chypre dont il avait eu soin de mieux fournir sa citadelle que de blé et de vin pour ses soldats. »

Malgré cette fanfaronnade, Toiras, dont la position empirait chaque jour, voulut avertir le roi de la détresse où il se trouvait ; il lui expédia trois hommes qui s’offrirent à traverser à la nage le bras de mer qui séparait l’île de Ré du continent. L’un d’eux se noya ; le second, exténué de fatigue, se rendit aux Anglais. Le troisième, un Gascon nommé Pierre, put seul arriver après avoir couru les plus grands dangers.

Ayant été aperçu par les Anglais, il fut suivi longtemps par une chaloupe qui finit par le prendre pour un poisson ; car, chaque fois que la chaloupe approchait, le hardi nageur faisait le plongeon, restait sous l’eau le plus longtemps possible, et reparaissait à quelque distance pour recommencer le même jeu. Un orage qui éclata servit encore à favoriser son projet ; il se laissa porter par les vagues, et enfin, échappé à grand’peine aux poissons qui s’acharnèrent après lui pendant près d’une demi-lieue, il put enfin toucher la terre ; mais, exténué tant par la fatigue que par les morsures qu’il avait reçues, il ne put se tenir sur ses pieds, et fut obligé de se traîner sur les mains jusqu’à ce qu’il eût trouvé un paysan qui le mena au fort Louis. Le roi, pour récompenser son courage, lui accorda à l’instant une gratification, et de plus cent écus de pension sur les gabelles.

La lettre que cet homme avait apportée au roi dans une boîte de fer-blanc, renfermait de telles nouvelles sur la situation des assiégés, que Louis XIII envoya à l’instant dans tous les ports l’ordre de faire partir les secours destinés à Toiras. Ces ordres rencontrèrent plus d’un obstacle. Les matelots des côtes voisines de La Rochelle étaient huguenots ; on mettait tout en œuvre pour les empêcher de s’embarquer. Ils cédaient d’autant plus aux prédications de leurs coreligionnaires, que chaque jour les flots portaient sur le rivage des corps de Français que les Anglais avaient jetés à la mer après leur avoir attaché les bras et les jambes.

Il fallut recourir à des mesures de rigueur pour trouver le nombre d’hommes nécessaires au service des embarcations. Enfin, le 5 septembre, par une nuit obscure, le capitaine Vaslin partit du havre des Sables d’Olonne avec seize pinasses chargées de provisions, de poudre, de mèches, de plomb et de médicaments. Quelques-unes s’égarèrent, et il n’en avait que douze avec lui quand il aborda la flotte ennemie. « Aussitôt qu’ils furent découverts, dit Richelieu, force coups de canon et mousquetades furent tirés sur eux, qui ne blessèrent personne, mais seulement coupèrent quelques mâts, rompirent quelques voiles et percèrent une pinasse.

« Ils abordèrent à l’île à deux heures de nuit ; n’étant qu’à deux cents pas près, ils furent aperçus du fort, où incontinent on commença à crier : Vive le roi ! Ils allèrent échouer à l’un des bastions de la citadelle, et si avant que les ennemis ne pouvaient les endommager. Le matin, au jour levé les matelots déchargèrent les pinasses dans le fort, sur lesquelles les ennemis tirèrent force canonnades sans blesser personne. Le fort était en grande extrémité, Toiras fort malade, les vivres manquant, les moulins presque rompus ; on y avait déjà mangé vingt chevaux. L’ordinaire des soldats augmenta dès lors de quatre onces de pain par jour et d’une écuelle de fèves, et les soldats reprirent courage et espérèrent de recevoir d’autres secours à l’avenir.

« Les ennemis, au contraire, perdirent leur audace quand ils virent découvert ce secret si important, qu’il n’était pas impossible de jeter des secours dans le fort. Deux jours après, le capitaine Vaslin, à la marée de minuit, repartit de l’île de Ré avec toutes ses pinasses chargées de malades et blessés, et de femmes catholiques que les ennemis avaient envoyées à la citadelle. Le roi envoya une chaîne d’or et 1 000 écus audit Vaslin, et 13 000 écus pour les matelots des pinasses, et promit encore à Vaslin 4 000 écus ou une compagnie au régiment de Navarre à son choix. Deux capitaines basques qui avaient bien fait, reçurent chacun une chaîne d’or, et les matelots furent tous récompensés ».

Ravitaillement de la citadelle. Combat naval
Depuis cette époque jusqu’aux premiers jours d’octobre, les assiégés ne purent recevoir aucun secours. L’heure de la marée et le vent avaient été constamment défavorables ; les ennemis avaient fait si bonne garde qu’aucune expédition n’avait pu franchir leur ligne.

Toiras découragé commença à parlementer. Le 6 octobre, il envoya demander à Buckingham quelle composition il voudrait lui accorder. Celui-ci répondit qu’il savait les assiégés si gens de bien qu’ils avaient attendu à la dernière extrémité ; toutefois qu’il les traiterait courtoisement, et il remit au lendemain à leur faire savoir sa volonté. Il faisait en cela ce que les assiégés désiraient, qui était de tirer le temps en longueur ; Dieu qui voulait les conserver lui aveuglait le jugement.

Un meilleur capitaine et plus prudent eût dès lors formé et conclu la composition, s’il eût pu le resserrant à une seule réponse. Le lendemain, Toiras envoya deux gentilshommes trouver le duc pour apprendre de lui quelle composition il voulait leur faire ; mais il se ravisa, et leur dit que c’était à eux à proposer ce qu’ils demandaient ; ils lui répondirent n’avoir autre charge de Toiras que de lui demander sa volonté. Sur cela il les renvoya ne leur donnant que trois heures pour mettre leurs demandes par écrit.

Le château d'Argencourt, placé au centre de la digue

Le château d’Argencourt,
placé au centre de la digue

A leur retour à la citadelle, il fut avisé de renvoyer un tambour à l’ennemi pour lui faire savoir qu’il y avait quatre corps dans la citadelle : les ecclésiastiques, les volontaires, les soldats et les habitants ; que le temps était trop bref pour communiquer l’affaire à toutes ces personnes, qu’on le suppliait d’attendre au lendemain ; ce dont il s’irrita grandement, disant qu’on l’abusait, et fit tirer un coup de canon et jeter force grenades.

Enfin, le jeudi 7 octobre, la veille même du jour où Buckingham devait donner réponse aux propositions des assiégés, le vent ayant subitement soufflé du nord-ouest, la flottille, rassemblée par Richelieu de tous les ports de l’Océan et de la Manche, put mettre à la voile du havre des Sables d’Olonne vers huit heures du soir, ayant pour mot d’ordre, Vive le roi ! Passer ou mourir. Nous empruntons le réel de cette entreprise, qui décida du sort de l’île de Ré et de La Rochelle , à une relation contemporaine intitulée : Les deux sièges de la Rochelle.

« Le capitaine Maupas, grandement entendu à la marine, bien connaissant les terres comme étant du pays, et ayant passé et repassé depuis huit jours dans une seule barque au milieu des ennemis, avec M. le marquis de Grimaud, mena l’avant-garde... Suivait après le corps en forme de bataille composé de dix pinasses, outre les quinze autres précédente que Monsieur, frère du roi, avait fait venir de Bayonne. A la queue, autour des dites pinasses, y avait douze traversins, comme plus forts et plus grands. En l’arrière-garde était le flibot du sieur de Marsillac, bien armé et munitionné. En cet ordre, le plus près qu’ils pouvaient les uns des autres, ils allaient côtoyant la grand’terre pour n’être petits vus ni découverts par les vedettes des ennemis qui n’étaient qu’à une lieue des Sables.

« Or, il arriva que, comme cette flotte allait cinglant à pleine voile, et que l’on croyait être déjà devant Saint-Martin, Dieu fit cesser le vent tout à coup en telle sorte qu’il fallut demeurer près de deux heures sans pouvoir aller ni à droite ni à gauche. Alors chacun tout étonné et croyant demeurer à la merci des ennemis si le jour les surprenait, se mirent à prier Dieu, faisant vœux et prières, et se recommandant à la Vierge, lui faisant vœu, au nom du roi, de lui faire bâtir une église sous le nom de Notre-Dame de Bon-Secours, en mémoire de cette journée, s’il lui plaisait envoyer le vent favorable.

« Soudain ils furent exaucés, car le vent se rafraîchit ; en sorte que chacun ayant repris sa piste et son ordre, en moins de demi-heure ils virent le feu que M. de Toiras faisait faire en la citadelle. Là, quittant la côte de la Tranche, chaque pilote regardant sa boussole, ne pensant plus qu’à passer courageusement, on entra dans la forêt des navires ennemis. Les premières sentinelles les ayant laissé passer sans dire mot ; après que tout eut passé, ils commencèrent à les envelopper et canonner si furieusement que l’on eût dit que c’était de la grêle.

« Cependant les chaloupes et galiotes des ennemis vinrent après pour les agrafer, en sorte que ceux qui étaient à la grande terre croyaient tout perdu, comme aussi il y avait de l’apparence ; au contraire, M. de Toiras, espérant toujours bien du bonheur du roi et de la France, ayant le bruit de tant de canonnades de part et d’autre, fit redoubler les feux sur les bastions, et de fait, il était en grand danger... Quatre chaloupes et un heu d’Angleterre vinrent aborder la barque du capitaine Maupas. Celui-ci, ayant disposé ses mousquetaires et piquiers, donna l’ordre à ceux qui devaient tirer ses pierriers et canons, et jeter les feux d’artifice, fit tenir chacun à son poste, et défendit qu’on tirât qu’il ne l’eût commandé.

Estacade protégeant la digue

Estacade protégeant la digue

« Aussitôt les ennemis abordèrent criant : Amène, amène. Maupas, son pistolet d’une main et le capabod de l’autre, crie : Tire, lâchant son pistolet ; alors toute son artillerie déchargea. Après on vint aux mains, et feux d’artifice furent jetés de part et d’autre. Les nôtres se défendirent partout si vaillamment, qu’après un long combat les ennemis se retirèrent avec beaucoup de perte et peu de ceux du roi. Et croyant emporter plus d’avantage, ils furent attaquer les pinasses, où ils trouvèrent à qui parler.

« En même temps, toutes les chaloupes des Anglais, au nombre de cent cinquante, vinrent fondre, qui d’un côté, qui de l’autre, sur toute la flotte. L’on demeura longtemps aux prises sans que les ennemis pussent entrer dans pas une barque du roi : en sorte que, hors de tout péril et s’exhortant à courage les uns les autres, voici que d’autres difficultés se présentèrent ; car les ennemis tenaient de grands mâts de vaisseaux attachés les uns aux autres, et force grands bois et cordages de vaisseau en vaisseau pour empêcher le passage.

« Mais au lieu de perdre courage, chacun mit la main au coutelas pour couper les câbles, et avec piques et hallebardes faire enfoncer les mâts et bois qui les empêchaient. Et par malheur, Coussage, contre-maître et lieutenant de Maupas, ayant coupé avec son tarrobat un grand câble qui empêchait le passage de leur barque, ce câble tomba et s’embarrassa dans le gouvernail de la barque de Rasilly, et par une secousse de mer d’une grande impétuosité l’entraîna contre la ramberge où ce câble était attaché, où soudain il fut accroché et investi par une douzaine de chaloupes ; et après un grand combat voyant qu’il lui était impossible de plus résister, commanda plusieurs fois qu’on mît le feu aux poudres pour ne tomber entre les mains des ennemis, à quoi on ne voulut obéir.

« La Guette, gentilhomme nourri, page de la reine d’Angleterre, fendit un des ennemis auparavant que de se rendre. Enfin il fallut céder à la force et prendre la composition que les ennemis lui offrirent, savoir : dix mille écus que M. de Rasilly leur promit pour lui et tous ses compagnons. Or, cependant que les ennemis étaient acharnés à ce butin, vingt-neuf barques arrivèrent heureusement à la porte de la citadelle entre trois et quatre heures du matin. Aussitôt la sentinelle qui était sur le bastion de la Reine, criant : Qui vive ? Il lui fut répondu par quantité de voix éclatantes : Vive le roi ! ce qui mit au cœur de ceux de dedans une grande allégresse.

« Là, une chaloupe de La Rochelle, s’étant glissée parmi les vaisseaux du roi, comme si elle eût été de la troupe, pour brûler cette flotte, fut reconnue à son jargon par le sieur Dandouyn qui s’en douta ; mais, à cause de l’impatience de M. de Toiras, il fit sauter tout le monde à terre et demeura avec ses mousquetaires dans la pinasse pour remédier à ce qui pourrait arriver, demanda le mot et le contre-mot à la chaloupe rocheloise, ce que ne sachant, fit connaître qui elle était ; et à l’heure la chargea si furieusement que plusieurs furent tués et estropiés, et beaucoup faits prisonniers. M. de Toiras, voyant un si beau secours inespéré, courut aussitôt jusque dans l’eau embrasser la fleur de ses amis et tout le reste ensuite. Après les premiers compliments, chacun fut conduit à la hutte de quelque soldat pour se sécher ».

Attaque des Anglais. Assaut. Buckingham chassé de l’île de Ré
Le lendemain, jour où Toiras devait envoyer à Buckingham les articles de la capitulation, les assiégés montrèrent aux Anglais, pour toute réponse, au bout de leurs piques, force bouteilles de vin, chapons, coqs d’Inde, jambons, langues de bœuf et autres provisions, « et les nouveaux canonniers arrivés avec la flotte saluèrent de force canonnades leurs vaisseaux qui s’étaient approchés de trop près, sur la créance qu’ils avaient que ceux de dedans n’avaient plus de poudre. Il y avait dans les barques plus de deux cents tonneaux de farine, dont deux et demi suffisaient par jour pour le pain de ce qui était dans le fort. Il y avait plus de soixante pipes de vin, du vin d’Espagne, trois coffres d’onguents et drogues pour les malades et les blessés, des morues, des pois, des fèves en très grande quantité, du verjus, du vinaigre, des jambons, soixante bœufs salés, plusieurs moutons vifs, des chemises, des chausses, des souliers en grand nombre, des manteaux de caban pour les soldats qui font la sentinelle, douze douzaines de gants, des fourreaux d’épées ; tous les vaisseaux lestés de charbon de terre pour chauffer les soldats, et un grand nombre de planches pour faire les logis »

Le même jour, les Anglais firent une tentative pour incendier la flotte française au moyen de brûlots ; mais, grâce aux précautions prises par le capitaine Manpas et Toiras, ils furent repoussés avec perte ; après une longue canonnade, ils parvinrent seulement à briser une vingtaine de barques dont les débris servirent à construire des cabanes pour les soldats. Une attaque faite le 9 octobre contre les retranchements du fort n’eut pas un meilleur succès ; « et les assiégeants connurent alors que ceux de la citadelle avaient des poudres et boulets, car ceux qui s’avancèrent reçurent d’autres prunes que de Brignolles. » Le renfort entré aussi heureusement dans l’île se montait à deux cent cinquante soldats, cinquante matelots, seize canonniers, et plus de soixante gentilshommes qualifiés.

Quelques jours après, le roi arriva au camp devant La Rochelle. Buckingham découragé eût levé le siège s’il n’eût pas attendu un corps de six mille hommes qui lui était promis depuis longtemps, et si les Rochelois ne l’eussent conjuré de ne pas les abandonner ; mais il y fut bientôt forcé par les armes de Richelieu. Le 23 octobre, huit cents hommes débarquèrent au fort la Prée, avec la mission de pousser les retranchements de ce fort jusqu’à la mer, afin de favoriser le débarquement du reste des troupes. Ils y furent bientôt suivis de sept cents autres. De nouvelles troupes, et en nombre plus considérable, étaient en même temps réunies dans les différents ports de la côte, attendant avec enthousiasme le moment du départ.

Siège de La Rochelle. Combat entre des navires français et anglais

Siège de La Rochelle. Combat entre
des navires français et anglais

A la même époque, Buckingham recevait un secours de quinze cents hommes ; les Rochelois lui en amenèrent huit cents. Le 6 novembre, il donna à la citadelle de Saint-Martin un assaut général, dans lequel il fut repoussé avec une perte considérable. Il se décida alors à lever le siège. Mais, dans la nuit du 7 au 8 novembre, le maréchal de Schomberg, avec le gros de l’armée de secours, débarqua à Sainte-Marie, dans le sud-est de Ré, opéra sa jonction avec Toiras, et se mit à la poursuite des Anglais. Toiras, qui depuis le commencement du siège avait eu ses deux frères tués, voulait qu’on ne perdît point de temps pour charger les ennemis ; mais le maréchal ne voulut pas y consentir.

On perdit plusieurs heures, et lorsqu’on se décida à attaquer, une partie de l’armée anglaise avait déjà pu gagner l’île d’Oie, langue de terre séparée du reste de Ré par des marais et un canal sur lequel était jeté un pont. La cavalerie, qui couvrait la retraite, fut culbutée, et l’arrière-garde, abandonnée à elle-même, fut presque complètement détruite. Le désastre des Anglais fut complet ; ils perdirent deux mille hommes tués, noyés ou pris, près de trois cents gentilshommes et officiers de marque, quatre canons et soixante drapeaux. Le 30 octobre, il ne restait plus un Anglais sur la terre française, et, malgré les supplications des Rochelois, Buckingham faisait voile pour l’Angleterre.

Blocus de la Rochelle. Construction de la digue
Richelieu, libre de ses actions par la retraite des Anglais, put tourner toutes ses forces contre la Rochelle. Cette ville avait longtemps hésité à se déclarer contre le roi, et le commencement des hostilités sembla même avoir été occasionné par une méprise.

Le siège offrait de grandes difficultés. On commença d’abord par bloquer entièrement la ville du côté de la terre ; mais lui fermer la mer était une chose plus difficile, et que bien des gens regardaient comme impossible. Un ingénieur italien, nommé Pompée Targon, proposa de barrer le canal au moyen d’inventions dont il était l’auteur, et dont il ne voulait pas dévoiler le secret. Bien que Richelieu n’y eût pas grande confiance, il lui permit d’exécuter ses plans ; mais, après six mois de travaux, on fut obligé de renoncer à cette entreprise. Deux Français vinrent tirer Richelieu d’embarras : l’un était Metezeau, architecte du roi, et l’autre Tiriot, « l’un des premiers maçons de Paris ».

« Ils offrirent, dit Fontenay-Mareuil, de fermer le grand port par le moyen d’une digue de pierres sèches qui se ferait au travers du canal, lesquelles se prendraient dans les deux côtés, où il y en avait en abondance, assurant que la mer ne la romprait pas, quelque furieuse qu’elle fût, parce qu’y trouvant un grand talus et des trous entre les pierres, elle y perdrait infailliblement toute sa force, et que le limon qu’elle y laisserait lierait mieux les pierres que tout le mortier qu’on y pourrait mettre ; de sorte que si on voulait ils en feraient l’épreuve à leurs dépens.

« Sur quoi le cardinal de Richelieu ayant fait assembler chez lui tous les principaux officiers de l’armée, ils firent devant eux la même proposition, et répondirent si pertinemment à toutes les objections qu’on leur fit, qu’il n’y en eut point qui ne crussent la chose possible, et qu’ils étaient envoyés de Dieu. Ce que le cardinal de Richelieu ayant à l’heure même été dire au roi qui l’approuva aussi, on commença dès le lendemain à y travailler, et il s’y trouva tant de facilité que M. de Marillac en demanda la charge ; de sorte que Metezeau et Tiriot, après avoir eu de grands remerciements et chacun mille écus, s’en retournèrent à Paris.

« Ce travail se faisait par les soldats de l’armée qui y allaient volontairement, et à qui on donnait un mereau (jeton) pour chaque hottée de pierre, lesquels on retirait tous les soirs en leur baillant tant pour chaque mereau, jusqu’à ce que la digue étant fort avancée, et ne pouvant plus faire tant de voyages, on en augmenta le prix à proportion de ceux qu’ils faisaient, afin qu’ils pussent toujours gagner pour le moins vingt sols par jour. »

Siège de La Rochelle. Défaite des Anglais à l'île de Ré

Siège de La Rochelle. Combat entre des navires français et anglais

Pour protéger les travailleurs, on construisit en même temps du côté de Coureille, un fort qu’on nomma le fort de la Digue, et on entoura la ville d’une circonvallation qui, malgré les obstacles que présentaient la nature et l’étendue du terrain, fut entièrement achevée avant la fin de l’année 1627. La digue fut commencée le 1er décembre 1625. On en poursuivit sans relâche la construction. La veille de l’Épiphanie, il éclata une tempête affreuse qui emporta une partie des travaux ; mais les dégâts venaient principalement de ce que, contrairement aux instructions laissées par les inventeurs, on avait bâti la digue, non point en talus, mais aussi large d’en haut que d’en bas.

A la fin de janvier, le marquis de Spinola, l’un des plus habiles généraux de l’Espagne, étant venu rendre visite au roi, on le mena voir les travaux du siège. « Il trouva, dit Richelieu, tous les ouvrages fort beaux et bien conduits, et principalement celui de la digue qu’il admira, assurant qu’il réussirait et qu’on prendrait la ville pourvu qu’on eût patience et qu’on n’y épargnât rien ; le bon ménage ne se devant chercher que dans la grande dépense qui fait réussir les choses plus assurément et plus promptement. » Pour accélérer les travaux, on faisait échouer dans le canal que l’on voulait fermer de grands navires maçonnés et remplis de pierres à l’intérieur.

Tentative pour surprendre La Rochelle
Richelieu, du reste, pourvoyait à tout avec une admirable prudence, et il sut triompher à la fois des intrigues de ses ennemis auprès du roi, de la mauvaise volonté des seigneurs qui disaient comme Bassompierre : « Nous serons assez fous pour prendre La Rochelle », et surtout de la cupidité et de l’incapacité des fournisseurs de l’armée. Il gagna l’affection des contrées voisines de La Rochelle en instituant un commissaire spécial pour recevoir les plaintes des paysans contre les gens de guerre.

En même temps, il ôtait tout prétexte de pillage et de maraude en assurant complètement l’approvisionnement des troupes, en fournissant aux soldats des vêtements chauds pour l’hiver, et en faisant payer la solde, non plus par les mains des capitaines, mais directement par les commissaires du trésor. Aussi le Mercure français a-t-il soin de faire remarquer que l’armée de terre employée au siège de La Rochelle coûta, quoique beaucoup plus forte, deux tiers de moins que l’armée qui, en 1621, échoua au siège de Montauban.

Cependant, comme les travaux de la digue avançaient lentement, on essaya plus d’une fois de s’emparer de la ville par surprise. Richelieu donne de longs détails sur l’une de ces tentatives qui fut sur le point de réussir. Pontis, dans ses Mémoires, en raconte une où il joua le principal rôle, et où se trouva mêlé le confident de Richelieu, le fameux père Joseph.

« Le père Joseph, dit-il, fut averti qu’il y avait un grand aqueduc par où toutes les immondices de la ville se déchargeaient, et qu’on pourrait aisément, en faisant couler des troupes dans la nuit par cet aqueduc, se rendre maître ensuite de la place. Dès ce moment, il prit la résolution de tenter cette grande entreprise, et fit même dresser une terrible machine pour servir à ce dessein ; mais il fallait reconnaître auparavant si le passage était bon. L’on parla à l’heure même de m’y envoyer...

« Je partis donc avec un enseigne, durant une nuit qu’il faisait d’horribles vents, ce qui favorisait notre dessein. L’on avait mis des soldats de cinquante en cinquante pas pour nous soutenir en cas que nous fussions attaqués, et aussi pour nous montrer les endroits où il y avait des fossés, de peur que nous ne nous perdissions dans l’obscurité. Étant arrivés à l’aqueduc, nous sondâmes avec une longue perche la vase, et nous trouvâmes partout une horrible profondeur de boue ; et, après avoir regardé de tous côtés, nous jugeâmes qu’il n’y avait nulle apparence de passage. Nous retournâmes et fîmes notre rapport, qui fut que quarante mille hommes y périraient comme deux, et qu’il ne fallait rien espérer de cette entreprise.

Siège de La Rochelle. Entrée de Louis XIII

Siège de La Rochelle. Entrée de Louis XIII

« Sur ce, le père se dépite et s’emporte en disant que cela ne pouvait pas être, et qu’il avait su le contraire d’un homme même de La Rochelle. Je lui répartis hardiment que s’il pouvait faire prendre cet homme, il le fît pendre, parce que c’était un affronteur ; et j’ajoutai que quand même le passage aurait été bon, il eût été impossible de rien faire cette nuit, puisqu’il n’y avait pas de ponts sur les fossés, mais seulement une planche sur laquelle un homme seul avait bien de la peine à passer. Le père se mit à crier encore davantage en disant qu’il avait donné ordre qu’on en fît, et qu’ils devaient être faits.

« La conclusion fut que n’y ayant point de ponts, et sa grande machine s’étant rompue, tout ce grand projet s’évanouit. Et le roi, après la prise de La Rochelle, voulut encore voir cet aqueduc, et fit remarquer au père Joseph le péril où il avait voulu exposer son armée. Ceci me fait souvenir de ce qui s’est passé entre le même père et le colonel Hébron, qui a été si connu en Allemagne et en France. Car faisant ainsi de vastes projets et desseins à perte de vue devant ce même colonel, et lui montrant sur une carte trois ou quatre villes qu’il lui marquait qu’on devait prendre, le colonel Hébron, qui n’avait pas accoutumé de recevoir de tels ordres d’un capucin, lui répondit en souriant : Monsieur Joseph, les villes ne se prennent pas avec le bout des doigts ».

Expéditions des Anglais. Capitulation de La Rochelle
Richelieu, comme il le dit lui-même, avait trois rois à vaincre pour prendre La Rochelle : le roi de France, le roi d’Espagne et le roi d’Angleterre. Louis XIII, chagrin et ennuyé d’un séjour de quatre mois à l’année, s’en retourna à Paris, et Richelieu, dont le départ aurait fait échouer le siège, n’hésita pas à le laisser partir seul, et à rester sous les murs de La Rochelle, jouant ainsi sa fortune politique.

Les Espagnols, malgré le traité qu’ils avaient fait avec la France, n’envoyèrent une flotte que longtemps après le départ de Buckingham, et cette flotte était si mal équipée, si mal pourvue de vivres, qu’elle resta à peine quelques jours devant La Rochelle. Tous les vœux étaient pour le triomphe des protestants auxquels ils fournissaient secrètement de l’argent. L’Angleterre préparait une expédition formidable qui, après avoir été annoncée le 11 mai 1628, parut dans les eaux de Ré. Elle se composait d’une soixantaine de navires dont les plus forts portaient 1200 tonneaux.

Les Anglais s’étaient imaginé pouvoir entrer sans obstacle dans le port. « Mais ils s’arrêtèrent, dit un historien, en voyant l’entrée de la rade barrée par une flotte de vingt-neuf vaisseaux, la plupart de 4 à 50 tonneaux, et par une multitude de barques et de chaloupes armées. Les flancs de cette armée navale étaient protégés par les batteries qui hérissaient les deux promontoires du chef de Baie et de Coreille, et les deux rives du canal. En supposant qu’on eût pu forcer cette redoutable barrière, on se fût trouvé en face de la digue presque achevée, garnie de quatre batteries à ses deux extrémités, et aux deux bords de l’étroite ouverture laissée au milieu pour le passage des marées. Un petit fort bâti dans le canal couvrait en outre cette ouverture, et ce fort était couvert, à son tour, par vingt-quatre vaisseaux enchaînés les uns aux autres et disposés en demi-lune. De l’autre côté de la digue, vers La Rochelle, une seconde estacade flottante de trente-sept vaisseaux enchaînés, et une flottille de barques armées, arrêtaient les efforts des Rochelois pour communiquer avec leurs auxiliaires. Après huit jours d’hésitation et deux ou trois brûlots lancés sans succès, la flotte anglaise, assez mal traitée par les batteries des côtes, vira de bord aux yeux des Rochelois consternés, le 18 mai. »

La détresse des malheureux habitants était parvenue à son comble. Dès le commencement de l’année, la disette s’était fait sentir. Pendant le séjour de Buckingham à l’île de Ré, ils lui avaient fourni des vivres, et, de plus, lui avaient laissé emporter trois cents tonneaux de blé. Ils ne s’étaient soutenus que par l’espérance du retour des Anglais. Lorsque la flotte, si impatiemment attendue, les eut une seconde fois abandonnés, les Rochelois virent leurs vivres complètement épuisés, la maladie faisait d’affreux ravages parmi eux. La duchesse de Rohan et quelques gens riches pouvaient encore, à prix d’or, se procurer de la viande de cheval et quelques onces de pain ; les autres étaient réduits à se nourrir de cuirs bouillis, d’herbes et de coquillages.

Nul secours ne pouvait arriver du côté de la terre, car le blocus était maintenu avec la dernière rigueur, et le duc d’Angoulême, ayant une fois laissé entrer quelques bœufs dans la ville, excita tellement contre lui la colère du roi et de Richelieu qu’aucun chef de l’armée royale ne fut tenté de l’imiter. La duchesse de Rohan écrivit en vain au roi pour lui demander la permission de sortir de la ville avec sa fille et deux cents femmes qui leur étaient attachées. Cette permission lui fut refusée. Ceux qui essayaient de franchir les murs étaient repoussés ou pendus.

Cette affreuse misère causa plus d’une émeute que réprima l’indomptable énergie du maire Guiton, que les Rochelois avaient mis à leur tête. Déjà seize mille personnes étaient mortes de misère ou de faim, et Guiton, qui ne songeait pas encore à se rendre, avait repoussé les sommations faites par le roi. Il voulait attendre la flotte que Charles Ier envoyait pour la troisième fois à son secours. Elle avait été retardée par la mort de Buckingham, assassiné le 23 août, à Portsmouth, au moment où il allait en prendre le commandement.

Elle parut enfin en vue de la Rochelle le 28 septembre. Elle se composait de cent quarante voiles, portant six mille hommes de débarquement et un grand nombre de réfugiés français, entre autres le duc de Soubise et le comte de Laval, frère du duc de La Trémoille, qui venait de faire sa soumission au roi. Mais il était trop tard : la digue était terminée, garnie de forts et de puissantes batteries ; l’armée et la flotte étaient nombreuses, pleines d’enthousiasme et ne demandant que le combat.

Combat sous les murs de La Rochelle

Combat sous les murs de La Rochelle

Le commandant anglais, le comte de Lindsey, après un engagement sans importance, lança contre l’estacade un bâtiment maçonné où l’on avait placé douze milliers de poudre ; mais ce brûlot éclata au milieu de la baie sans causer aucun dégât. Il était suivi par la flotte anglaise, qui canonna inutilement l’estacade pendant trois heures, où des deux côtés on tira plus de cinq mille coups de canon. Le lendemain, le combat recommença, mais avec la même issue que la veille. Une tentative des Rochelois contre la digue fut aussi infructueuse.

Enfin, une tempête ayant contraint les Anglais de se retirer à l’île d’Aix, rien ne put les décider à recommencer le combat ; ils préférèrent ouvrir des négociations avec Richelieu, qui consentit à leur accorder une trêve de quinze jours pour que Lindsey pût envoyer vers Charles Ier. Mais avant qu’on eût reçu la réponse du roi d’Angleterre, la ville, en proie à toutes les horreurs de la famine, avait capitulé. « Il y eut, dit Fontenay-Mareuil, des femmes qui mangèrent leurs enfants. Il fallait faire garder les cimetières de peur qu’on n’allât déterrer les morts pour les manger ; et les mieux traités, à la réserve de cinquante ou soixante, ne mangeaient que du cuir bouilli avec de l’eau et du vinaigre ».

« L’hôte qui me logea quand nous fûmes entrés dans La Rochelle, dit Pontis, voulant me faire connaître quelle avait été l’extrémité de leur misère, me protesta que, pendant huit jours, il s’était fait tirer de son sang et l’avait fait fricasser pour en nourrir son pauvre enfant, s’ôtant ainsi peu à peu la vie à soi-même pour conserver celle de son fils ».

Les conditions faites aux Rochelois ne furent pas aussi rigoureuses qu’on aurait pu s’y attendre. Richelieu, le 23 octobre, écrivit de sa main, en présence des députés qui lui furent amenés dans les carrosses de Bassompierre, car ils n’avaient plus la force de marcher : « On promettra la vie aux habitants, la jouissance de leurs biens, l’abolition de leur crime et le libre exercice de la religion. » Le 29, une députation de douze bourgeois vint demander pardon au roi, et le lendemain les troupes royales entrèrent dans La Rochelle.

Le maire Guiton les attendait à la porte et leur adressa une courte harangue ; le maréchal de Schomberg lui répondit qu’il n’était plus maire, et le renvoya. Les soldats défilèrent au milieu des rues encombrées de cadavres, et s ’empressèrent de partager avec les habitants le pain qu’ils portaient sur leurs havresacs. Aucun désordre ne fut commis, grâce à la discipline sévère introduite dans l’armée. Le 10 novembre, une déclaration du roi fixa le sort de La Rochelle. L’exercice de la religion catholique y fut rétabli ; les ecclésiastiques et les hôpitaux furent remis en possession de leurs biens. Les privilèges de la ville furent abolis, et les fortifications rasées du côté de la terre. Ainsi tomba la dernière forteresse du protestantisme en France, qui depuis un demi-siècle avait servi de refuge aux mécontents de tous les partis.

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