LA FRANCE PITTORESQUE
Fronde (Origine et histoire de la)
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Publié le mercredi 14 avril 2010, par Redaction
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Le nom seul de la Fronde réveille déjà dans notre esprit l’idée d’une dissipation de mœurs et d’esprit, d’une frivolité politique, telles qu’on n’en saurait rencontrer dans aucune autre partie de notre histoire. Tous les historiens ont parlé de la Fronde avec mépris ou légèreté, et les contemporains eux-mêmes nous en ont tracé un tableau qui s’accorderait mieux avec une comédie qu’avec une guerre civile. « Les dupes, dit Saint-Evremond, témoin oculaire, viennent là tous les jours en foule ; les misérables s’y rendent des deux bouts du monde. Jamais tant d’entretiens de générosité sans honneur, jamais tant de beaux discours et si peu de bon sens, jamais tant de desseins sans action, tant d’entreprises sans effet ; toutes imaginations, toutes chimères ; rien de véritable, rien d’essentiel que la nécessité et la misère. De là vient que les particuliers se plaignent des grands qui les trompent, et les grands des particuliers qui les abandonnent. Les sots se désabusent par l’expérience, et se retirent ; les malheureux, qui ne voient aucun changement dans leur condition, vont chercher ailleurs quelque méchante affaire, aussi mécontents des chefs de parti que des favoris. »

Pour ceux, en effet, qui ne regardent que les dehors des événements, la Fronde peut sembler n’être, comme on l’a nommée, qu’une guerre d’écoliers, qu’une lutte de petites jalousies, de petites haines, de petites passions ; qu’une sorte de comédie enfin, féconde en vains projets et en désappointements comiques, en grandes paroles et en minces actions. Mais si vous voulez détourner vos regards des principaux personnages, mûs uniquement par l’intérêt de leur fortune ou celui de leur plaisir, c’est-à-dire par cet égoïsme que le frondeur La Rochefoucauld a donné pour mobile à toutes les actions humaines ; si, ne considérant plus seulement les héros du temps, qui unissaient par une alliance étrange la galanterie à la politique, et les divertissements de l’esprit aux soins de l’ambition, vous cherchez les causes sérieuses de ce trouble subit qui s’empara de la cour et de la ville, peut-être alors, sous cette parade brillante qui séduit vos yeux, trouverez-vous une scène sévère et menaçante, une scène de ce grand drame populaire qui devait éclater un jour, longuement préparé par ces comédies politiques et ces intrigues de courtisans.

Les nobles mécontents suscitèrent contre le pouvoir la foule, trop souvent prête à se ranger du côté des opposants. Mais cette fois l’émotion populaire présenta un caractère tout nouveau. Ce n’était plus la sédition, la guerre civile, l’anarchie et la licence, telles qu’on les avait vues si souvent dans les rues de Paris, depuis les cabochiens jusqu’aux ligueurs. Non, la Fronde est la première émeute, le premier soulèvement politique, et, si elle eût pu réussir, la première révolution. Le peuple, accablé d’impôts et de tailles, humilié dans son amour-propre national par la domination d’un étranger ; le peuple, appuyé sur ses défenseurs naturels, les magistrats, qui prenaient en main sa cause, soutenu et comme autorisé dans sa révolte par ceux-là mêmes qu’il considérait comme les gardiens de la justice, comme les dépositaires du droit public et des franchises du royaume ; le peuple faisait le premier acte de sa souveraineté.

Il y a donc là un germe de liberté et d’affranchissement qui doit se développer plus tard, et, après avoir été longtemps étouffé, vaincre enfin toutes les résistances. Mais nul ne se doutait encore de l’avenir, ainsi contenu dans le présent, plus tumultueux encore qu’orageux. Nul de ceux qui soulevaient le flot populaire, nul ne se doutait qu’un jour viendrait où les digues ne seraient plus assez fortes pour contenir ce torrent. « Le cardinal de Retz, dit M. de Chateaubriand, avait derrière lui la puissance du Parlement, une partie de la cour et la faction populaire, et il ne vainquait rien... Le moindre de nos révolutionnaires eût brisé dans une heure ce qui arrêta Retz toute sa vie. »

Tous ces seigneurs mécontents n’étaient que des hommes de trouble, « plus propres aux brouilleries qu’aux révolutions » ; et le peuple qui marchait sous leurs bannières, n’osant encore se commander lui-même, se vit tout à coup trahi et abandonné par tous ces ambitieux au jour des réconciliations monarchiques. « La Fronde, dit Fortoul dans ses Fastes de Versailles, n’était pas seulement une guerre de chansons ; c’était une révolution populaire dans son principe, qui pouvait être grave dans ses résultats, et qu’on n’a prise en plaisanterie que parce qu’elle a échoué. Elle souleva des passions vives, fit sortir de la foule des personnages extraordinaires, et développa des idées qui, après avoir été obligées de se travestir sous des formes détournées, finirent cependant par triompher. » N’oublions pas ce côté sérieux de la Fronde ; en assistant à cette comédie guerroyante, rappelons-nous toujours que nous assistons aussi au prélude de 1793.

Voici le nom et le caractère des principaux personnages. Gaston, duc d’Orléans, frère unique de Louis XIII ; ambitieux sans volonté, toujours mécontent et toujours irrésolu. Il s’était laissé entraîner dans toutes les cabales qui se formèrent contre Richelieu ; mais le courage lui avait toujours fait défaut dans les circonstances décisives. Lié alternativement avec Chalais, Montmorency et Cinq-Mars, qui n’agirent que par ses ordres, il les laissa périr sur l’échafaud, sans employer pour les sauver d’antres efforts que d’humbles supplications dont il connaissait lui-même l’inutilité. « C’étoit l’homme du monde, dit Gondi, qui aimoit le plus le commencement des affaires ; mais il étoit aussi l’homme du monde qui des affaires en craignoit plus la fin. »

Le Prince de Condé

Le Prince de Condé

Anne d’Autriche, mariée à Louis XIII depuis vingt-huit ans, avait été constamment malheureuse ; son mari ne l’aimait point, et Richelieu lui fit subir toutes sortes de persécutions. Devenue mère de deux fils après vingt-trois ans de mariage, ce double événement ne lui avait point rendu la tendresse du roi ; et elle n’avait d’autre consolation que d’aller déposer ses douleurs au pied des autels, mettant tous ses soins à embellir le Val-de-Grâce, sa retraite favorite, et passant de longues heures dans l’entretien de Vincent de Paul, qui était le dépositaire de toutes ses charités.

Le prince de Condé, usé par les chagrins et les fatigues plus que par les années, s’était mêlé dans les cabales du dernier règne, et avait payé cette faute par une prison de cinq ans. Sa femme, la belle Charlotte-Marguerite de Montmorency, avait vu périr sur l’échafaud un frère qu’elle aimait tendrement ; son affliction profonde l’avait rapprochée de la reine, dont elle était devenue l’amie intime. Le prince et la princesse de Condé avaient trois enfants, le duc d’Enghien, la duchesse de Longueville et le prince de Conti. Le duc d’Enghien, qui devait porter avec tant de gloire le nom de grand Condé, n’avait encore que vingt-deux ans ; mais déjà sa réputation militaire était établie, et Louis XIII, lui reconnaissant une grande ambition, s’était flatté de l’isoler des partis en lui confiant le commandement de l’armée de Flandre, qui allait bientôt avoir à lutter contre don Francisco de Melos.

La duchesse de Longueville avait deux ans de plus que le duc d’Enghien. Produite dès l’âge le plus tendre à l’hôtel de Rambouillet, elle s’y était fait admirer par l’esprit le plus délicat et le goût le plus fin, et y avait contracté les illusions les plus romanesques. Sa figure, remarquablement belle, avait quelque chose d’angélique, au dire des contemporains. On connaît les fameux vers écrits par le duc de La Rochefoucauld derrière un portrait de la duchesse de Longueville :

Pour captiver son ceur, pour plaire à ses beaux yeux,
J’ai fait la guerre aux rois : je l’aurais faite aux dieux.

Le prince de Conti, né faible et contrefait, était destiné par ses parents à l’état ecclésiastique ; mais les discours de sa sœur, qu’il aimait uniquement, le tournaient plutôt vers la carrière des armes.

Après la maison de Condé, celle de Vendôme était la plus puissante. Le duc de Beaufort, second fils de César duc de Vendôme, courageux comme son aïeul Henri IV, mais faible d’intelligence et de caractère, était destiné à devenir l’instrument flexible du premier factieux qui saurait prendre sur lui quelque empire. Sa belle tête et sa grande mine le rendaient cher à la multitude, ce qui le fit surnommer plus tard le roi des Halles.

Frédéric-Maurice, duc de Bouillon, avait été dépouillé de la ville de Sedan par Richelieu. Son frère Henri, vicomte de Turenne, montrait déjà dans la guerre les talents qui devaient le mettre au rang des grands généraux. Marie et Anne de Gonzague, persécutées par Richelieu, et liées avec madame de Longueville ; toutes deux jeunes encore et déjà habiles à intriguer. La duchesse de Montbazon, dominée par un sentiment excessif d’avarice, ne songeait qu’à s’enrichir. Sa beauté était éblouissante, et les contemporains la comparaient à celle des statues antiques. « Elle défaisoit toutes les autres au bal », dit Tallemant des Réaux. Le cardinal de Retz l’a jugée bien sévèrement ; « Je n’ai jamais eu personne qui montrât dans le vice aussi peu de respect pour la vertu ». La duchesse de Chevreuse, bannie depuis dix-huit ans par Richelieu, entretenait une correspondance secrète avec la reine qui l’aimait. Ayant parcouru divers Etats, où elle avait tramé beaucoup d’intrigues, elle attendait à Bruxelles la mort de Louis XIII pour rentrer en France.

A côté de toute cette noblesse paraissaient d’autres personnages destinés à jouer des rôles importants dans les troubles de la régence. D’abord, Jean-François-Paul de Gondi, futur cardinal de Retz, qui venait de prendre le bonnet de docteur en Sorbonne, et aspirait à devenir le coadjuteur de son oncle, Pierre de Gondi, archevêque de Paris. Il n’avait aucune des vertus ecclésiastiques. Son génie audacieux, remuant et brouillon, le portait aux conspirations et aux cabales, et malgré ses espérances épiscopales il menait la vie la plus mondaine ; plusieurs fois même il s’était battu en duel. De Gondi a été jugé diversement ; on l’a beaucoup vanté et beaucoup décrié. Madame de Sévigné l’appelle plaisamment le héros du bréviaire. M. de Chateaubriand remarque avec justesse que, « privé des événements, il devint inoffensif », et qu’en qualité d’écrivain il était court comme dans tout le reste.

Puis, au sein du Parlement, Matthieu Molé, premier président, et Omer Talon, avocat général, tous deux distingués par leurs éminentes vertus, tout dévoués aux principes monarchiques mais ne pouvant se défendre d’un certain esprit d’opposition, produit par une administration longtemps oppressive et arbitraire. Enfin au dernier rang, une foule confuse d’intrigants et de mécontents obscurs, conseillers, bourgeois, courtisans, robins, tous avides de troubles et de changements.

Le ministère était composé de créatures du cardinal Richelieu. Divisés d’opinion, se détestant les uns les autres, les ministres intriguaient de tous les côtés pour que le pouvoir nouveau les conservât dans leur place. Le seul homme supérieur qui fût alors au conseil d’Etat était Jules Mazarin, originaire de Sicile : d’abord militaire, puis ecclésiastique ; parvenu à la pourpre, puis au ministère, par beaucoup de souplesse et quelques services importants rendus à la France. Chargé par Richelieu des affaires étrangères, il les avait conduites avec dextérité. Et tout l’opposé de son maître, il montrait autant d’humilité, de douceur et de modestie que Richelieu avait fait paraître de hauteur, d’inflexibilité et d’orgueil.

Le duc de Beaufort, surnommé le roi des Halles

Le duc de Beaufort,
surnommé le roi des Halles

Louis XIII redoutait les intrigues que devaient produire tant d’intérêts opposés ; il demanda à ses ministres un plan de régence où la reine et Gaston eussent le moins d’autorité possible. Le ministère lui soumit aussitôt un plan conforme à ses défiances. La reine était nommée régente, Gaston lieutenant général, et le prince de Condé président du conseil des ministres. L’ordonnance fut portée au Parlement, qui l’enregistra sans remontrances ; mais Anne d’Autriche dressa une protestation qu’elle écrivit de sa main, et la déposa chez un notaire.

Les partisans de cette princesse aigrirent ses ressentiments, et le duc de Beaufort vint lui offrir le secours de la maison de Vendôme. La maison de Condé se montrait irritée d’avoir été devancée par le dévouement des Vendôme : on lui fit des promesses magnifiques, qui la déterminèrent à se déclarer aussi pour la reine. En même temps Mazarin flattait la future régente, l’assurait de son dévouement, et en obtenait quelques espérances.

Louis XIII mourut le 14 mai 1643 ; le 18 du même mois, la reine alla en compagnie de son fils, qui n’était âgé que de cinq ans, tenir un lit de justice au Parlement. En grand deuil, et paraissant plongée dans une profonde affliction, elle parla ainsi : « Je viens chercher de la consolation dans ma douleur. Je suis bien aise de me servir des conseils d’une aussi auguste compagnie. Je vous prie, messieurs, de ne point les épargner au roi mon fils, ni à moi-même, selon que vous le jugerez nécessaire, en votre conscience, au bien de l’Etat. » Ce discours produisit beaucoup d’effet sur l’assemblée. Depuis près de vingt ans le Parlement était condamné, sous le rapport politique, à la nullité la plus absolue ; et il voyait avec satisfaction que non seulement on lui rendait son ancien droit de faire des remontrances, mais qu’on l’autorisait en quelque sorte à se mêler au gouvernement.

Le Parlement se montra reconnaissant ; il cassa l’ordonnance du feu roi, et Anne d’Autriche fut déclarée régente avec tous les pouvoirs attachés à ce titre. Personne ne doutait que le premier acte de la régente serait de chasser le ministère ; mais à peine quatre heures s’étaient-elles écoulées depuis le lit de justice, qu’elle envoya le prince de Condé prier Mazarin de diriger le conseil : elle avait reconnu la supériorité du cardinal, et croyait devoir sacrifier ses goûts particuliers à l’intérêt du roi.

Cette nouvelle excita de violents murmures, que la victoire de Rocroy ne put apaiser. Madame de Chevreuse arrivait en cet instant de Bruxelles, convaincue que sa puissance allait être sans bornes : mais elle fut bientôt détrompée ; et comme elle excitait secrètement le duc de Beaufort contre Mazarin, elle fut menacée d’un nouvel exil. En même temps Mazarin faisait renvoyer tous ses ennemis du conseil et les remplaçait par ses créatures.

Ici se termine ce qu’on petit appeler l’exposition de la Fronde. Tous les mécontentements sont aigris, toutes les ambitions furieuses d’avoir été jouées : la guerre ne tardera pas à éclater. Madame de Montbazon fait publiquement injure à madame de Longueville : la reine la force à une réparation éclatante, puis l’exile. Le duc de Beaufort se déclare le chevalier de cette dame, ne garde plus de mesure, brave ouvertement Mazarin, et reproche à la reine ce qu’il appelle son ingratitude.

Autour de lui se forme une petite troupe d’ambitieux, assez insensée pour croire qu’elle formait un parti redoutable : on donne le nom d’Importants à ceux qui la composaient, parce qu’ils avaient un air vain et orgueilleux qui faisait un contraste très marqué avec l’apparente humilité du cardinal. L’insolence des Importants est bientôt punie : Beaufort se voit enfermer au château de Vincennes, et tous ses amis sont exilés.

Ces actes de rigueur excitèrent d’abord à la cour beaucoup d’effroi. On crut que Mazarin allait marcher sur les traces de Richelieu dont il était l’élève ; mais quand on vit qu’il était résolu d’épargner le sang, tout le monde se rassura. On admirait son habileté, on aimait sa bonté et sa douceur. « L’imagination de tous les hommes, dit le cardinal de Retz, fut alors saisie d’un étonnement respectueux ; on se croyoit bien obligé au ministre de ce que toutes les semaines il ne faisoit pas mettre quelqu’un en prison, et l’on attribuoit à son caractère les occasions qu’il n’avoit pas de faire le mal. » D’ailleurs Mazarin s’assurait dans sa place en donnant de tous les côtés, en vidant les coffres de l’Etat pour satisfaire les avarices particulières. Gaston eut le gouvernement de Languedoc, Condé celui de Bourgogne, d’Enghien celui de Champagne, et le duc de Bouillon fut flatté de l’espoir d’être amplement dédommagé de la perte de Sedan.

En même temps, comme on était délivré du joug terrible de Richelieu, on se livrait aux plaisirs avec une sorte d’ivresse. Ce furent là les beaux jours de la régence, que les poètes du temps ont célébrés comme l’âge d’or de la France. Il semblait que, délivrée d’un ministre soupçonneux sous un roi taciturne et mélancolique, elle commençait à jouir d’une existence nouvelle. Les victoires au-dehors, les têtes au-dedans, embellissaient le nouveau règne ; les mécontents étaient réduits au silence. Pourquoi ces beaux jours furent-ils de si courte durée ?

Les profusions du ministère mirent le désordre dans les finances ; les coffres du roi se vidaient sans se remplir ; tout languissait ; les armées n’étaient pas payées, et il y avait à craindre « la sédition du ventre, la pire de toutes », disait Gaston. Pour tirer de l’argent des peuples, on fut donc obligé d’imposer les nouvelles maisons et les marchandises, et de créer de nouvelles charges dans les cours judiciaires. Le Parlement refusa d’enregistrer ces édits, injurieux pour les magistrats, et rendit enfin le fameux arrêt d’union, qui réunissait toutes les cours souveraines de Paris au Parlement, et permettait à leurs députés de siéger dans la chambre des délibérations.

De Gondi, le coadjuteur

De Gondi, le coadjuteur

La reine, irritée de cette audace, se répandit en menaces ; elle voulait employer la force ; Mazarin l’en dissuada à grand’peine : « Vous êtes vaillante, lui disait-il, comme un soldat qui a du courage parce qu’il ne connaît pas le danger ». Des négociations furent ouvertes au Luxembourg ; Mazarin y prit la parole, mais son accent italien faisait perdre à ses discours la gravité qu’ils devaient avoir : il appelait l’arrêt d’union, arrêt d’ognon, et cette méprise, qui ne tenait qu’à une mauvaise prononciation, donnait lieu à une multitude de plaisanteries. On se sépara sans avoir pu s’entendre, et le Parlement demeura en permanence pour travailler à la réformation de l’État.

Bientôt il vint apporter à la reine une déclaration audacieuse, où il lui demandait plusieurs réformes importantes et la réduction des impôts. Après beaucoup d’hésitations et de récriminations, la reine consentit enfin à céder aux remontrances du Parlement. Mais les esprits étaient déjà aigris ; les mécontents travaillaient sourdement à perdre le ministre dans l’opinion publique, et Gondi, le coadjuteur, s’unissant, d’une part aux anciens Importants, de l’autre aux jansénistes, se faisait un parti puissant au sein même du Parlement.

Ce fut alors que le nom de Frondeurs fut donné aux ennemis du ministère. Les enfants du peuple s’amusaient avec des frondes dans les fossés de Paris, et lançaient quelquefois des pierres aux passants. La police intervenait souvent pour réprimer ce désordre ; aussitôt qu’elle paraissait, la troupe se dispersait ; mais elle n’avait pas le dos tourné, qu’elle se réunissait et frondait de plus belle. Bachaumont, ami de Chapelle, et aussi gai que lui, s’avisa de comparer la rébellion du Parlement à celle de ces petits frondeurs : le mot eut une vogue incroyable ; tous les ajustements des hommes et des femmes eurent le signe de la fronde, et bientôt l’on vit Mazarin lui-même porter à son chapeau une ganse à la fronde.

Sur ces entrefaites, le duc d’Enghien, devenu prince de Condé par la mort de son père, remporta sur l’archiduc la célèbre victoire de Lens. Le jeune Louis XIV, en apprenant cette heureuse nouvelle, s’écria : « Le Parlement sera bien fâché de cette victoire ! » Un Te Deum fut chanté solennellement à Notre-Dame ; les cours souveraines y assistaient. Après la cérémonie, la reine donna l’ordre d’arrêter trois membres du Parlement : Blancménil, Charton et Broussel.

Comminges, le lieutenant des gardes, se réserva l’arrestation de Broussel, comme la plus difficile, parce qu’il était l’idole du peuple, qui l’appelait son père. Comminges vint arrêter Broussel dans sa maison ; aussitôt la vieille servante du conseiller court à la fenêtre et appelle du secours : le peuple s’émeut en voyant monter dans le carrosse le vieillard vêtu encore de sa robe de chambre et les pieds nus. Comminges est obligé de se frayer la route l’épée à la main ; deux fois la voiture est renversée, et les gardes sur le point d’être massacrés ; enfin un renfort leur sauve la vie, et Broussel est enfermé à Saint-Germain.

Cependant la cour, ne s’imaginant pas que la révolte fût sérieuse, s’égayait aux dépens de ceux qui avaient peur, et se moquait de Gondi, arrivant tout effaré de son archevêché. Bientôt les cris séditieux se rapprochent : « Vive le roi ! liberté à Broussel ! » Et l’on a toute la peine du monde à apaiser la foule qui menaçait le Palais-Royal.

Gondi cherche à apaiser la foule, et court lui-même les plus grands dangers. Un crocheteur mortellement blessé par les gardes était étendu sur le pavé ; le coadjuteur se baisse et s’agenouille dans la boue pour recevoir la confession du mourant. Cet acte de charité suspend un moment la fureur du peuple ; mais une nouvelle décharge ayant été faite par les soldats, l’exaspération de la multitude ne connaît plus de bornes. L’archevêque est jeté à terre par un coup de pierre ; comme il se relevait, un forcené lui porte le bout du mousqueton sur la tête, prêt à tirer. « Ah ! malheureux ! s’écrie Gondi, si ton père te voyait ! » Ces paroles le sauvent ; on le reconnaît, et tout le peuple crie : « Vive le coadjuteur ! » Il profite de ce retour de tendresse, tourne vers les Halles, et entraîne avec lui, loin du Louvre, cette multitude.

Cependant il se prépare une émeute plus violente encore pour le lendemain : tous les colonels des quartiers appellent le peuple aux armes ; 1200 barricades se forment dans la ville, et le chancelier Séguier allait être massacré, si trois compagnies des gardes ne l’avaient délivré. Cent soixante-six magistrats, ayant Molé à leur tête, s’en vont, au milieu des acclamations du peuple, demander la liberté de Broussel : ils n’obtiennent rien, et rebroussent chemin ; mais les séditieux leur mettent le poignard sur la gorge, et les forcent à retourner au Palais-Royal. La reine, sollicitée par Gaston et Mazarin, consent enfin à rendre les conseillers, et le peuple attend sous les armes le retour de Broussel ; il le porte en triomphe à Notre-Dame, et l’on chante un Te Deum pour remercier Dieu de cette délivrance.

Anne d’Autriche se retire à Ruel avec son fils et son ministre, et les séances du Parlement continuent à être aussi orageuses qu’auparavant. La reine, dans une lettre au Parlement, accusait ouvertement le coadjuteur. « Il veut perdre l’Etat, disait-elle, parce qu’on lui a refusé le chapeau de cardinal, et il s’est vanté qu’il mettra le feu aux quatre coins du royaume, et qu’il se tiendra auprès, avec cent mille hommes qui lui étaient engagés, pour casser la tête à ceux qui se présenteront pour l’éteindre. »

Mais Gondi, par sa parole, était tout-puissant dans le Parlement. L’arrivée de Condé, dont le nom avait acquis depuis deux ans une immense popularité, semble devoir faciliter un accommodement. Des négociations sont ouvertes à Saint-Germain ; elles ne s’accomplissent pas sans de longues discussions, qui plusieurs fois irritent l’orgueil de Condé ; enfin la réduction des tailles, et les autres articles demandés par le Parlement, sont accordés, et le roi rentre à Paris le 31 mai aux acclamations du peuple.

Dans le même temps que Mazarin se laissait ainsi humilier par le Parlement, il dictait à Munster la paix à toute l’Europe et mettait la dernière main au traité de Westphalie, qui fut, durant un siècle et demi, l’unique base du droit public de l’Europe. Ainsi se termine la première période de la Fronde.

De Gondi apaisant l'émeute

De Gondi apaisant l’émeute

Condé était l’espoir de tous les partis ; chacun d’eux attendait du prince la satisfaction de ses désirs et de ses ambitions ; mais Condé ne devait contenter personne. La hauteur des parlements l’indigna, et dans une assemblée solennelle, irrité par un démenti, il fit un geste que le conseiller Quatre-Sols et quelques-uns de ses collègues prirent pour une menace outrageante ; le désordre fut aussitôt à son comble, et la compagnie se sépara dans le tumulte le plus scandaleux. Condé, furieux, alla supplier la reine de lui laisser soumettre les mutins par la force.

Le coadjuteur, voyant qu’il ne pouvait compter sur Condé, fit si bien qu’il le brouilla avec la duchesse de Longueville, sa sœur, qui, elle-même, répondait du prince de Conti. « Dans les monarchies, dit Montesquieu, les brouilleries des femmes, leurs indiscrétions, leurs répugnances, leurs jalousies, leurs piques, cet art qu’ont les petites âmes d’intéresser les grandes, ne sauroient être sans grande conséquence ». Ces paroles ne semblent-elles pas avoir été inspirées par le souvenir de la Fronde et de ses intrigues féminines ?

Cependant la reine faisait approcher des troupes pour mettre Paris en état de siège, et se retirait avec son fils à Saint-Germain. Aussitôt le peuple prit les armes et garda les portes de la ville. Le coadjuteur voulait faire nommer Conti généralissime de la Fronde ; mais il apprit que Condé l’avait entraîné avec sa sœur à Saint-Germain. Mazarin fut déclaré ennemi du royaume ; et, s’il n’avait pas quitté le royaume dans huit jours, il était permis de lui courre sus.

En apprenant cette déclaration de guerre, la cour fit commencer le blocus de Paris, et Condé, quoiqu’il n’eût sous ses ordres que huit mille hommes, se fit fort de prendre la ville par la famine. De son côté, le Parlement leva des troupes ; chaque porte cochère dut fournir un cavalier ou 150 livres, et chacune des autres un fantassin ou 30 livres. Le duc de Lorraine prit le commandement de cette armée indisciplinée ; mais le lendemain, Conti étant revenu de Saint-Germain, le coadjuteur, qui voulait le faire nommer général à la place du duc d’Elbœuf, entreprit de ridiculiser celui-ci, et pour cela, il lui suffit de quelques heures et d’une malicieuse chanson de Marigny, où la jactance, l’avidité et la misère du prince lorrain étaient relevées avec beaucoup de gaieté :

Le prince monseigneur d’Elbœuf,
Qui n’avoit aucune ressource,
A maintenant un habit neuf,
Et quelques justes dans sa bourse.
Le pauvre monseigneur d’Elbœuf,
Qui n’avoit aucune ressource, etc.

Conti fut nommé ; Beaufort, le duc de Bouillon et le duc de Longueville se mirent sous ses ordres ; le coadjuteur leva de son côté un corps de troupes qu’on appela le régiment de Corinthe (Gondi portait le titre d’archevêque de Corinthe). Ce corps ayant été battu dans une sortie, les royalistes appelèrent cette déroute la première aux Corinthiens.

Ces levées de boucliers remplissaient le peuple de joie et d’ardeur ; on cherchait à l’exciter en outre par tous les moyens possibles. Les duchesses de Longueville et de Bouillon, toutes deux d’une ravissante beauté, parurent sur le perron de l’hôtel-de-ville, tenant chacune un de leurs enfants dans leurs bras, et déclarèrent qu’elles voulaient se mettre comme otages entre les mains du peuple. L’enthousiasme fut alors porté au plus haut degré, et le coadjuteur fit jeter de l’argent par les fenêtres. La Bastille fut prise, et les caisses publiques pillées par le peuple.

Cependant Condé n’avait pas assez de troupes pour affamer Paris : la famille royale manquait de tout ; en arrivant à Saint-Germain, elle n’avait pas trouvé de lit pour se coucher, et avait dormi sur la paille. Les escarmouches livrées tous les jours sous les murs de Paris n’avaient aucun résultat décisif, et la guerre ne semblait point approcher de son terme.

Les pamphlets inondaient Paris ; par les ordres de Gondi, Scarron faisait la Mazarinade, et le coadjuteur, pour gagner à son parti les âmes pieuses, écrivait un traité intitulé : Maximes morales et chrétiennes pour le repos des consciences dans les affaires présentes. On y lisait le passage suivant : « Comme les rois sont les lieutenants de Dieu pour la conduite temporelle des hommes, c’est de Dieu et non pas des rois que les hommes doivent prendre des lois et ordonnances. Comme l’âme est plus précieuse que le corps, et l’intérêt du salut plus précieux que celui de la fortune, les maximes de la religion doivent être les règles de la politique : de sorte qu’on ne doit obéir aux rois que lorsqu’il est bien clair que leurs ordres sont d’accord avec la religion et les instructions de ses ministres ».

Du côté des Parisiens, la gaieté la plus folle présidait à toutes les opérations militaires : on riait des défaites comme des victoires ; et, tous les jours, la revue que l’on passait à la Place Royale était une sorte de fête, où se donnait rendez-vous la belle société. Les provinces commençaient à se soulever ; le marquis d’Hocquincourt mettait Péronne à la disposition de la duchesse de Longueville, en lui envoyant ce billet : « Péronne est à la belle des belles » ; Turenne, promettait de marcher sur Paris avec les troupes weimariennes qu’il commandait ; mais son armée, gagnée par les agents de Mazarin, l’abandonna. Enfin le coadjuteur, fertile en ressources, imaginait d’introduire au Parlement un prétendu envoyé de l’Espagne qui promettait monts et merveilles, de l’argent et des troupes autant qu’on en voudrait.

Mais les deux partis étaient ruinés, et le Parlement, qui songeait aux intérêts du peuple, écouta les propositions de Mazarin : des négociations furent ouvertes à Ruel. Malgré la rage du peuple, qui prenait goût à la révolte, un traité de paix fut conclu, qui ne satisfit personne ; les généraux n’observaient qu’une partie de ce qu’ils demandaient, et le Parlement avait été obligé de faire de grandes concessions.

Ici commence une phase nouvelle. Condé est devenu tout puissant par le triomphe de la cour, et se montre fort disposé à abuser de son pouvoir. Autour de lui s’agitaient plusieurs jeunes gens, indiscrets, téméraires, avantageux, débauchés, qui se disaient être les arbitres de la cour : on leur avait donné le nom de petits-maîtres ; ils prétendaient faire manger de l’herbe à tous les bonnets carrés (c’était ainsi qu’ils désignaient le Parlement), et cherchaient querelle sur les promenades aux anciens frondeurs.

Le duc de Beaufort se rendit un jour au lieu de leurs orgies, accompagné de deux cents gentilshommes frondeurs ; il fit entourer la table, tira brusquement la nappe, et renversa les mets sur les convives. Ceux-ci mirent l’épée à la main ; mais, n’étant pas les plus forts, il leur fallut céder. Les frondeurs firent à cette occasion courir un pamphlet intitulé : Le branle des Mazarins dansé dans la maison de Renard, et composé par M. le duc de Beaufort. Ils ne se bornèrent pas là, et à plusieurs reprises accusèrent la cour d’avoir voulu faire assassiner ou empoisonner plusieurs d’entre eux.

Cependant Condé était déjà brouillé avec Mazarin, qu’il accusait d’ingratitude, se vantant de l’avoir tiré du gibet. La duchesse de Longueville, réconciliée avec son frère, mettait tout en œuvre pour le détacher du parti de la cour ; mais un voyage qu’il fit en Bourgogne ajourna ses projets de révolte. Mazarin songea alors à ramener le roi dans Paris pour achever de pacifier la ville : le jeune Louis XIV rentra dans la capitale, ayant Mazarin et Condé à ses côtés. Le peuple poussait de grandes acclamations ; mais les mécontents recommençaient déjà à chansonner la cour, qui avait fait tant de menaces, sans en accomplir aucune :

La reine a dit en sortant de la ville :
Je m’en ressouviendrai.
Sachez, François, que je suis de Castille,
Que je me vengerai,
Ou bien j’aurai la mémoire perdue.
Elle est revenue,
Dame Anne ;
Elle est revenue.

A peine rentré dans la ville, Condé s’opposa au mariage du duc de Mercœur avec une nièce de Mazarin. Il dit un jour que les nièces du cardinal « étaient à peine bonnes pour épouser ses valets... Si Mazarin se fâche, ajouta-t-il, j’ordonnerai à Chamfleury (son capitaine des gardes) de me l’amener par la barbe à l’hôtel de Condé. » Enfin il lui écrivit une lettre pleine de sarcasmes dont l’adresse portait : A l’illustrissimo signor Fachino.

Les frondeurs se rangèrent alors du parti de Condé : Mazarin, pour le brouiller avec eux, imagina de faire tirer un coup de fusil sur les gens du prince, et aussitôt on accusa le coadjuteur de cette tentative d’assassinat. Le procès fut porté au Parlement, et le coadjuteur se défendit avec une éloquence et une hardiesse extraordinaires ; il se rendait au palais avec un nombreux cortège et portait un poignard dont le manche paraissait : « Voilà », dit en riant le duc de Beaufort, « le bréviaire de M. le coadjuteur ». Mais Mazarin, satisfait d’avoir divisé ses ennemis, et ne voulant pas faire triompher Condé, laissa le procès traîner en longueur ; ce qui irrita le prince outre mesure. Condé allait partout injuriant Mazarain, et il manqua même de respect à la reine, en lui imposant le rappel d’un petit maître qu’elle avait chassé, parce qu’il l’avait offensée.

Dès lors la cour se décida à frapper un grand coup. La reine eut des entrevues avec le coadjuteur ; d’autre part Gaston fut gagné, et le prince de Condé se vit arrêter au Palais-Royal, avec le prince de Conti et son beau-frère le duc de Longueville. On conduisit aussitôt les trois prisonniers au château de Vincennes. Le peuple ne bougea pas ; les duchesses de Longueville et de Bouillon prirent la fuite.

Reste maintenant le dénouement de toutes ces intrigues, la guerre civile. La princesse de Condé, gardée à vue à Chantilly, prend la fuite et se réfugie à Bordeaux dont le Parlement venait de se soulever : le courage, l’éloquence de la princesse, gagnent tous les esprits, la Guyenne prend les armes pour délivrer les princes. De son côté, la duchesse de Longueville et Turenne, réfugiés à Stenay, lèvent des troupes, et Turenne prend le titre de lieutenant-général pour la liberté des princes. Mais les troupes royales sont victorieuses sur tous les points. Turenne est battu ; la princesse de Condé forcée de capituler dans Bordeaux.

La cause des princes semblait donc perdue, lorsque Condé et ses frères sont transférés de Vincennes à Marcoussis. Aussitôt les Parisiens vont en foule visiter la prison de Condé ; mademoiselle de Scudéry, en y entrant, aperçoit les œillets qu’il avait cultivés pendant sa captivité, et elle improvise les vers suivants qu’elle écrit sur le mur :

En voyant ces œillets, qu’un illustre guerrier
Arrosa de sa main qui gagnoit des batailles,
Souviens-toi qu’Apollon a bâti des murailles,
Et ne t’étonne plus de voir Mars jardinier.

Ces vers eurent le plus grand succès, et Paris ne tarda pas à manifester une nouvelle sympathie pour le vainqueur de Rocroy. Le parti des princes, ne s’étant pas encore réuni à la vieille Fronde, prit le nom de nouvelle Fronde. Mazarin craignit le voisinage de Paris ; il fit conduire les princes au Havre par le général d’Harcourt, et Condé se vengea en chansonnant le général, chargé de cette mission d’estafier :

Cet homme gros et court,
Si connu dans l’histoire,
Ce grand comte d’Harcourt,
Tout couronné de gloire,
Qui secourut Casal et qui reprit Turin,
Est maintenant recors de Jules Mazarin.

Mazarin était à ce moment représenté dans tous les quartiers de Paris la corde au cou. La cour fit une rentrée très peu brillante dans Paris ; dans ce même temps, Turenne était battu une seconde fois par les troupes royalistes. Les deux Frondes, la vieille et la nouvelle, sentent alors le besoin de s’unir ; elles signent un traité sous les auspices conciliateurs de Gaston, et le Parlement demande la liberté des princes. La ville est de nouveau soulevée, et le bruit ayant couru que la régente se préparait à quitter encore Paris, le peuple se précipite, au milieu de la nuit, dans les appartements du Palais-Royal pour s’assurer de la présence du roi ; bien plus, il voulut garder lui-même le palais jusqu’au retour des princes. Gaston refusait de voir la régente avant qu’elle eût signé le rappel de Condé.

Mazarin était en route pour le Havre. Après beaucoup d’hésitation, il se résolut à mettre les princes en liberté ; et voyant qu’il n’avait rien de bon à attendre de Condé, il se retira à Brulh, petite ville appartenant à l’électeur de Cologne ; mais il conserva des relations secrètes avec la reine, et rien ne se faisait que par ses avis. Bussy, qui vit Mazarin à Brulh, en parle ainsi dans ses Mémoires : « Une chose que j’admirai, c’est que, étant dans un petit château, au milieu des Ardennes, avec un train fort médiocre, il gouvernoit l’Etat comme s’il eût été à la cour ».

Condé rentra dans la capitale, et tout aussitôt la reine travailla à le brouiller avec le coadjuteur. Pour y parvenir elle n’épargna ni les promesses ni les concessions ; et bientôt la vieille Fronde n’eut pas d’ennemi plus acharné que le prince qu’elle venait de délivrer. Mais Condé ne sut pas mieux user de sa faveur qu’auparavant ; il exigea le renvoi des sous-ministres (il appelait ainsi les créatures du cardinal laissées par lui dans le conseil) , et se brouilla en même temps avec la princesse palatine, toute-puissante auprès de la reine. Aune d’Autriche eut de nouveau recours au coadjuteur, qui se fit fort de brouiller le prince avec Gaston, et de le faire sortir de Paris dans huit jours.

Condé, averti qu’on méditait de l’arrêter une seconde fois, entra en négociation avec les Espagnols, se préparant à une révolte déclarée. Bientôt, sur une fausse alerte, il s’enfuit à Saint-Maur, et n’en revint qu’après avoir obtenu le renvoi des sous-ministres ; mais il se passa peu de temps avant que Condé fût accusé par la reine en plein Parlement. Le coadjuteur soutenait la cour, et les deux partis étaient en présence, tout prêts à se poignarder. « Je vous ferai bien quitter le pavé, dit Condé au coadjuteur. - Il ne sera pas aisé », dit le hardi prélat. Peu s’en fallut que la Chambre des séances ne devînt le théâtre d’une affreuse mêlée.

Mademoiselle de Montpensier

Mademoiselle de Montpensier

Enfin, Condé cédant aux conseils de sa famille et de ses amis, quitte Paris et se rend à Bordeaux, où il est reçu avec acclamation par les rebelles. De son côté, la cour sort de la capitale et prend la route de Bourges. Paris, abandonné à lui-même, demeure en proie à un effroyable désordre. La reine hésitait à rappeler Mazarin : instruit de cette hésitation, le cardinal s’empressa de revenir, et reprit toute sa puissance. Les ducs de Beaufort et de Nemours, ayant réuni leurs troupes, avaient marché sur Orléans. Gaston ne voulant pas se décider à prendre parti dans cette guerre, sa fille, mademoiselle de Montpensier, se chargea de le remplacer ; elle partit, habillée en amazone, avec les comtesses de Fiesque et de Frontenac, qu’on appelait ses maréchales de camp, et alla rejoindre l’armée rebelle.

Désormais, les événements vont se succéder avec rapidité : Condé, battu dans le Midi, traverse toute la France sous un déguisement, et vient à Orléans rejoindre les frondeurs. Il prend le commandement et met en déroute une partie des troupes royales ; mais Turenne, qui commandait pour le roi, le fait reculer, et remporte à Bléneau une victoire signalée. Battus de nouveau à Etampes, les frondeurs se retirent sur Paris, qui refuse de leur ouvrir ses portes. Gaston et le coadjuteur prétendaient demeurer neutres. Une sanglante bataille s’engage sous les murs de Paris ; Turenne pénètre dans le faubourg Saint-Antoine, et pousse vigoureusement l’armée de Condé, qui se trouvait prise ainsi entre l’armée ennemie et les portes fermées de Paris.

Le danger était grand pour les troupes rebelles ; mais Gaston se laisse arracher par Mademoiselle l’ordre de faire ouvrir la porte Saint-Antoine et de recevoir l’armée du prince dans Paris. Munie de cet ordre, Mademoiselle se présente à l’Hôtel-de-Ville suivie d’une foule de peuple qui demandait à grands cris qu’on sauvât le prince et son armée. Le conseil n’ose mécontenter cette multitude menaçante et ratifie l’ordre donné par Gaston. Mademoiselle fait avertir Condé, qui vient s’aboucher avec la princesse à la porte Saint-Antoine. « Il était, dit-elle, tout couvert de poussière et de sang, quoiqu’il n’eût pas été blessé ; sa cuirasse était pleine de coups, et il tenait son épée nue à la main, en ayant perdu le fourreau. En entrant il se jeta sur un siège et fondit en larmes ; il pleurait ses amis tués ou blessés à ses côtés. »

Mademoiselle releva un peu son courage, et il retourna au combat, voulant vaincre ou périr. Turenne poussait toujours les rebelles, et les acculait déjà aux murs de Paris, quoique Condé et les siens fissent des prodiges de valeur. Mademoiselle fit alors ouvrir la porte Saint-Antoine : les soldats de Condé se précipitèrent en désordre dans la ville ; et comme les royalistes les suivaient de près, la princesse plaça sur les remparts des mousquetaires pour arrêter ceux des vainqueurs qui approchaient ; en même temps elle fit tirer le canon de la Bastille sur les plus éloignés. « Voilà, dit Mazarin, un coup de canon qui vient de tuer son mari ». Mademoiselle avait eu jusque là l’espoir d’épouser le roi, quoiqu’elle fût beaucoup plus âgée que lui.

Le lendemain, Condé se présente au Parlement et implore son secours ; mais le Parlement, las de la guerre, reçoit froidement le prince, qui dit en sortant au peuple assemblé sur la place : « Ils sont tous vendus à Mazarin. » Aussitôt le peuple tire contre les fenêtres, met le feu aux portes du palais, pénètre de vive force à l’intérieur, et massacre plus de cinquante magistrats.

Dès lors le parti des princes ne compta plus personne parmi les honnêtes gens : Condé, ne pouvant plus ni négocier ni combattre, prit le parti de se jeter dans les bras des Espagnols. Une députation de la milice parisienne vint supplier le roi de rentrer dans la capitale. Mazarin, pour faciliter la pacification, avait feint de quitter le ministère, et s’était de nouveau retiré à Bruhl. Le 21 octobre 1652, le roi rentra donc dans Paris, au milieu des acclamations universelles. Tous les séditieux sont chassés de la ville ; Gondi, plus coupable, est conduit au château de Vincennes.

Quelques mois après, Mazarin revenait de son exil volontaire. Le roi, accompagné des officiers de la couronne, alla au-devant de lui jusqu’au Bourget ; il le reçut dans sa voiture et le conduisit au Louvre, au milieu des plus vifs applaudissements. Tous les magistrats vinrent lui présenter leurs hommages, et il eut l’air d’un souverain qui rentre paisiblement dans ses Etats.

Ainsi se termina cette guerre de la Fronde qui préparait de loin notre grande époque populaire, et qui allait être suivie immédiatement du règne le plus brillant de toute notre monarchie. Les hommes se trempèrent vigoureusement dans ces troubles, ces dissensions et ces combats ; les esprits y prirent une énergie, une ardeur, une activité singulière, et l’on doit rendre à la Fronde une partie de la gloire du grand siècle qu’elle a précédé et formé.

Mademoiselle de Montpensier fait tirer le canon de la Bastille

Mademoiselle de Montpensier
fait tirer le canon de la Bastille

Toute la littérature du grand siècle, dit Fortoul, se trempa dans ces orages, et y prit cette connaissance vraie des affaires et des hommes qui la distingue éminemment. La Rochefoucauld, l’auteur des Maximes, était un des héros de la Fronde ; Pascal s’inspira d’elle ; Molière commença pendant qu’elle régnait, et fut bientôt un admirable représentant de son esprit ; Saint-Evremond lui dut son enjouement et son exil ; Bussy Rabutin le feu de son audace ; madame de Sévigné, les grâces vives de sa causerie ; La Fontaine, les libertés et la profondeur de sa raison ; Corneille, qui jusque là avait peint les personnages les plus héroïques de l’antiquité et des temps modernes, apprit d’elle à mettre en scène les intrigues de cour et à développer les discussions politiques ; Boileau lui-même, qui travaillait alors chez maître Patru, frondeur passionné, puisa dans ces troubles un sentiment démocratique qui ne s’effaça jamais entièrement de son âme, et qui produisit l’épître à Dangeau sur la noblesse, œuvre aussi hardie que le Tartufe ; Bossuet put juger pendant ses alternatives du néant de toutes les grandeurs que son éloquente voix accompagna plus tard dans la tombe.

Ainsi la Fronde, ajoute Fortoul, fut une excellente école où s’éleva tout ce que le génie de la nation a produit de plus grand et de plus beau. La Fronde ne mourut donc pas ; elle continua à vivre dans la littérature française. Mais en énumérant les hommes que la Fronde a formés, nous en avons oublié un, Louis XIV. L’insurrection et la guerre civile se chargèrent de faire l’éducation de ce prince, que sa mère et le cardinal négligèrent beaucoup. Contraint par l’émeute à fuir de Paris, il vit le sort de sa couronne remis au hasard des combats, et la monarchie réduite à deux doigts de sa perte.

Un moment il put douter s’il finirait sa vie sur le trône ou hors de France. L’épée de Turenne décida la question à Gien, et rouvrit au roi le chemin de Paris que Condé venait lui disputer. Au milieu de ces chances extrêmes, Louis XIV put s’instruire dans le gouvernement ; mais il ne profita des leçons qu’il leur dut que pour léguer des dangers plus grands à ses successeurs.

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