LA FRANCE PITTORESQUE
1er mars 1815 : Napoléon débarque
au Golfe-Juan après avoir
quitté l’île d’Elbe
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Publié le jeudi 1er avril 2010, par LA RÉDACTION
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Napoléon à confirme lui-même un fait qui n’était douteux pour personne (Mémorial de Sainte-Hélène). Le jour où il signait son abdication à Fontainebleau, il prévoyait déjà la possibilité de son retour en France. « Si les Bourbons, disait-’il, veulent commencer une cinquième dynastie, je n’ai plus rien à faire ici ; mon rôle est fini : mais s’ils s’obstinaient, par hasard, à vouloir recontinuer la troisième, je ne tarderais pas à reparaître. »

Il reparut en effet. Du fond de son observatoire, que sa présence érigeait en état souverain, il avait vu la France telle qu’il voulait la voir : sans doute les fautes du gouvernement royal avaient beaucoup aidé Son illusion. L’éloignement, qui diminue ordinairement les objets, produisit sur les yeux de l’illustre exilé l’effet contraire. Les journaux, qu’il lisait avidement, les rapports des hôtes nombreux qui visitèrent son île, lui représentèrent la France mécontente, agitée, divisée en factions, en partis, et menacée de la guerre civile. D’un autre côté, la proposition faite au congrès de Vienne de le surprendre et de le transporter à Sainte-Hélène, au mépris de toutes les stipulations de Fontainebleau, parvint à ses oreilles. Dès ce moment, Napoléon résolut de rentrer en France ; mais il garda son secret jusqu’au dernier moment. Il fit acheter des munitions de guerre à Naples, des armes à Alger, des transports à Gênes. Une troupe de onze cents hommes, dont six cents de sa garde, deux cents chasseurs corses, deux cents hommes d’infanterie, et cent chevaux-légers polonais, reçut l’ordre d’embarquement le 26 février à huit heures du soir.

Napoléon profitait du jour où le commandant de la station anglaise était parti pour Livourne : afin d’éloigner tout soupçon, il donnait lui-même une fête, dont sa mère et sa sœur faisaient les honneurs, et à laquelle il se déroba. « Le sort en est jeté », s’écria-t-il comme César, en mettant le pied sur le bâtiment : c’était le brick l’Inconstant : il portait vingt-six canons et quatre cents grenadiers. Six autres bâtiments légers composaient la flottille impériale. Excepté les généraux Bertrand, Drouot et Cambronne, personne ne connaissait le but du voyage : cependant l’opinion commune des officiers et des soldats était qu’ils allaient débarquer à Naples ou sur quelque autre point de l’Italie. Au bout d’une heure de route, Napoléon rompit le silence : « Grenadiers, dit-il, nous allons en France, nous allons à Paris. » A ces mots, la joie cessa d’être inquiète ; tous les visages s’épanouirent, et les cris de « vive la France ! vive Napoléon ! » retentirent sur les sept bâtiments composant la flottille.

Au moment du départ de l’île d’Elbe, la corvette anglaise était à Livourne ; on n’avait donc rien à craindre de sa part ; mais le lendemain on aperçut un brick de guerre français, qui venait vent arrière sur l’Inconstant : c’était le Zéphyre, commandé par le capitaine Andrieux. Le capitaine de l’Inconstant proposa d’aborder ce brick et de l’enlever ; mais Napoléon repoussa cette idée comme absurde, excepte dans le cas où l’on serait forcé d’en venir aux extrémités. Il ordonna à ses grenadiers de se cacher dans l’entrepont. Les deux bricks furent bientôt bord à bord, et se firent les saluts d’usage. Le commandant du Zéphyre ayant reconnu le brick de l’île d’Elbe, demanda des nouvelles de l’Empereur, et Napoléon lui répondit lui-même, avec un porte-voix, qu’il se portait fort bien.

Avant de quitter l’île d’Elbe, Napoléon avait rédigé deux proclamations ; mais lorsqu’il voulut les faire mettre au net, personne ne pu les déchiffrer. Il les jeta dans la mer, et en dicta deux autres, l’une adressée à l’armée, l’autre au peuple français : tous ceux qui savaient écrire furent engagés à en faire des copies : les tambours, les bancs, les bonnets servirent de pupitre, et chacun se mit gaiement à l’ouvrage. Les généraux, les officiers firent aussi une adresse à l’armée. Elle était à peine achevée que l’on aperçut au loin les côtes d’Antibes. Le sol sacré de la France fut salué avec enthousiasme.

Le 1er mars, à trois heures du matin, la flottille mouilla au golfe Juan, et à cinq heures Napoléon mit pied à terre : son bivouac fut établi dans un champ d’oliviers. Beau, présage, dit-il, puisse-t-il se réaliser ! Vingt-cinq grenadiers et un officier de la garde furent envoyés à Antibes pour sonder les dispositions de la garnison. Mais, entraînés par leur ardeur, les grenadiers entrèrent dans la place aux cris de « vive l’Empereur ! ». Le commandant fit lever le pont-levis, et les retint prisonniers. En apprenant cet échec, quelques officiers parlèrent de marcher sur Antibes, et de l’enlever de vive force, afin de prévenir le mauvais effet que pouvait produire la résistance de cette place. Napoléon leur fit observer que la prise d’Antibes ne faisait rien à la conquête de la France, que les moments étaient précieux, qu’il fallait voler, et remédier à l’événement d’Antibes, en marchant plus vite que la nouvelle. Dans la soirée, on amena au bivouac un postillon de belle livrée, appartenant au prince de Monaco : ce postillon arrivait de Paris avec le prince. Napoléon le questionna, et reçut de cet homme du peuple l’assurance que son nom était dans toutes les bouches, et qu’on le regrettait hautement partout. Il interrogea aussi quelques paysans qui s’étaient approchés du bivouac : l’un d’eux, ancien militaire, voulut absolument suivre Napoléon, qui dit en riant au comte Bertrand : « Voilà déjà un renfort. »

Le bivouac fut rompu au lever de la lune, et Napoléon se mit en marche pour Paris, à la tête de sa petite troupe.

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