LA FRANCE PITTORESQUE
11 février 1755 : mort du marquis de Maffei
(François-Scipion), littérateur italien
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Publié le samedi 20 mars 2010, par LA RÉDACTION
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C’est le célèbre auteur de la Mérope italienne, à laquelle Voltaire convint qu’il avait eu de grandes obligations quand il composa son chef-d’œuvre. Le marquis de Maffei a la gloire d’avoir tiré la littérature de son pays de cette mollesse et de ces affectations où l’avaient plongée les Seicentisti (on nomme ainsi les écrivains, qui, au dix-septième siècle, firent en Italie une révolution dans le goût, de ceux qui, depuis, ont été leurs imitateurs volontaire, la campagne de 1704, et signala sa bravoure à la bataille de Donawerth) ; il ramena le simple et le vrai dans la poésie. Cependant les travaux de l’imagination n’occupèrent que la moindre partie de ses loisirs. La nombreuse liste de ses productions atteste les recherches les plus profondes et les plus variées dans la littérature et dans les antiquités nationales ; enfin il mérita d’être appelé le larron et le Sophocle véronais par ce même Voltaire qu’il avait inspiré, et qui, plus que personne, devait estimer l’universalité des études et des talents.

Maffei naquit à Vérone (1er juin 1675) d’une famille noble, qui de bonne heure l’introduisit dans le grand monde. Il sembla d’abord s’abandonner aux frivoles succès du plaisir ; mais bientôt il y renonça pour des études sérieuses, qui devinrent l’occupation et le charme de toute sa vie. Comme dans l’antiquité, il sut à la gloire des lettres mêler celle des armes. Son frère aîné servait avec distinction en Allemagne ; il alla le joindre, fit avec lui, comme volontaire, la campagne de 1704, et signala sa bravoure à la bataille de Donawerth.

Le premier de ses ouvrages, la Scienza cavalleresca, se rapporte à cette époque, et ne fut pas seulement un bon livre, mais une bonne action. Son frère était engagé dans une affaire malheureuse, et les juges du point d’honneur décidaient qu’elle ne pouvait se terminer que par la mort de l’un des deux adversaires. Le jeune Scipion, qui, par sa conduite dans les champs de bataille, avait rendu impossible le moindre doute sur son courage, osa, quoique jeune, attaquer la fureur du duel, et le succès de son ouvrage contribua à la modérer dans l’Italie. Ainsi ces théories philosophiques, où tant d’autres n’ont cherché qu’une occasion d’éloquence, furent pour Maffei l’accomplissement d’un pieux devoir, et, pour ainsi dire, le cri de l’amitié fraternelle.

A quelque temps de là, il voulut essayer de ranimer la littérature italienne, tombée en langueur. S’associant à deux écrivains, dont l’un était le fameux Apostolo Zeno, il publia un journal où il mêlait à la critique des productions nationales un coup d’œil attentif sur le mouvement littéraire de l’Europe. Il s’occupait aussi de réformer le théâtre de son pays, devenu la proie des bouffons. C’est à ce louable effort que sa patrie dut le chef-d’œuvre de Mérope ; on ne pouvait mieux mêler le précepte à l’exemple. C’était à la fois une leçon et un modèle. Une comédie, le Cérémonie, qu’il donna ensuite, faisait pour la restauration de l’art comique, quoique avec moins d’éclat, ce que Mérope avait fait pour celle de l’art tragique. Le Cérémonie tournait en ridicule un des travers les plus Communs en Italie. C’était une peinture de mœurs ; c’était une imitation du talent de Molière, et non pas de son théâtre. Incapable d’une basse jalousie, pendant qu’il s’immortalisait comme écrivain, Maffei cherchait à se préparer des rivaux. Il ravivait l’étude des anciens ; il propageait l’enseignement de la langue grecque, appelait et entretenait à ses frais dans Vérone des maîtres habiles, et rouvrait ainsi ces sources primitives du génie, où l’on a tant puisé, et qui restent à jamais inépuisables.

On peut présumer que la révolution opérée par Maffei dans les idées littéraires de ses compatriotes exerça une puissante influence sur le talent des grands écrivains qui, pendant la dernière moitié du même siècle, illustrèrent la langue du Tasse et de l’Arioste. Métastase, Goldoni, Alfieri, se présentent, sous ce point de vue, comme les élèves de ce brillant régénérateur, et il ne fut vaincu par eux qu’avec les armes qu’il leur avait fournies, dont il leur avait montré l’usage.

Nous ne le suivrons pas dans ses voyages, à travers la France, l’Angleterre, la Hollande et l’Allemagne : ils furent pour lui comme autant de triomphes, car sa réputation l’avait devancé partout. Par un bonheur plus rare, ses concitoyens, qu’il avait comblés de bienfaits, ne l’oublièrent pas pendant son absence ; et, à son retour, il trouva son buste placé à l’entrée d’une des salles de l’Académie, avec cette inscription, si éloquente dans sa brièveté : A Scipion Maffei Vivant. Il joignit à la gloire d’avoir mérité cet honneur celui de le faire abolir.

Dans ses voyages, Maflei s’était occupé beaucoup de l’étude des antiquités ; il possédait un grand nombre d’inscriptions des anciens temps, rassemblées à grands frais et à force de recherches : il les exposa généreusement à l’examen des savants. Lui-même il publia l’histoire de Vérone, sa patrie, où l’élégance du style ne devient qu’un mérite secondaire, à côté de la profondeur des connaissances. Il cultiva aussi la physique, et l’économie politique eut une part dans ses infatigables travaux. Il devança les opinions modernes sur l’intérêt de l’argent, en publiant un traité intitulé Dell impiego del danaro, qui fut censuré par la congrégation de l’Index.

Rien ne devait manquer à la félicité de ce grand homme. Plein d’honneurs et de jours, après avoir joui d’une belle et active vieillesse, il mourut à l’âge de quatre-vingts ans, et ses obsèques furent célébrées aux frais des magistrats de sa patrie, qui lui érigèrent une statue.

Paul Deport.

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