LA FRANCE PITTORESQUE
11 févier 1659 : mort de Guillaume Colletet, l’un des fondateurs de l’Académie française
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Publié le vendredi 19 mars 2010, par LA RÉDACTION
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Il ne faut pas le confondre avec son fils (François), à qui Boileau, abusant peut-être des privilèges de la satire, à procuré une si fâcheuse immortalité par ces vers :

Colletet, crotté jusqu’à l’échine,
S’en va chercher son pain de cuisine en cuisine ;
Savant dans ce métier si cher aux beaux esprits,
Dont Montmaur autrefois fit leçon dans Paris.

Le père ne manquait pas d’un certain talent ; on loue le naturel et la facilité qui règnent dans quelques-unes de ses épigrammes, et peut-être son nom serait-il entouré de quelque estime, s’il n’avait été injustement enveloppé dans la triste popularité infligée à celui de son fils.

Il avait débuté par se faire recevoir avocat au Parlement. Séduit à la poésie par quelques liaisons de jeunesse, il attira sur lui les regards du cardinal de Richelieu ; et l’auteur de Mirame l’engagea à travailler pour le théâtre. Ses relations avec le ministre poète offrent quelques anecdotes curieuses. Nous n’en rapporterons qu’une seule.

Dans une mauvaise comédie de circonstance, intitulée les Tuileries, Colletet avait décrit en six vers la pièce d’eau du jardin. Le cardinal fut si transporté d’admiration par ce chef-d’œuvre d’escriptif, qu’il paya chaque vers d’un présent de cent francs, voulant peut-être parodier la munificence d’Auguste p&ur le fameux morceau : Tu Marcellus cris. Il ajouta même, dans son enthousiasme, qu’il ne donnait cette somme que pour les six vers, et que le roi n’était pas assez riche pour payer le reste. Il voulut cependant corriger ces vers impayables. On voit, y disait Colletet,

La canne s’humecter dans la bourbe de l’eau.

Le créateur de l’Académie proposait de substituer au mot humecter, quoi ? le mot barboter. Colletet opposa une aussi noble résistance que celle de Corneille pour le Cid, et il écrivit une longue lettre à Richelieu. Écoutons le récit de Pélisson. « Le cardinal achevait de la lire, lorsqu’il survint quelques-uns de ses courtisans qui lui firent compliment sur je ne sais quel heureux succès des armes du roi, et lui dirent que rien ne pouvait résister à Son Éminence. « Vous vous trompez, leur répondit-il en riant, je trouve dans Paris même des personnes qui me résistent ; » et comme on lui eût demandé quelles étaient donc ces personnes si audacieuses : « Colletet, dit-il ; car, après avoir combattu hier avec moi sur un mot,il ne se rend pas encore. » Cependant Colletet n’était pas ingrat du présent qu’il avait reçu, et dont il témoigna sa reconnaissance par le distique suivant :

Armand, qui pour six vers m’as donne six cents livres,
Que ne puis-je à ce prix te vendre tous mes livres !

Il paraît qu’il avait d’abord vécu dans l’aisance, et qu’il possédait même des terres assez considérables, mais qu’il fut ruiné dans le guerres civiles. La pauvreté, puissant mobile pour les âmes fortes, avilit les caractères faibles : Colletet se plongea dans l’inconduite ; il épousa successivement trois de ses servantes. La dernière, nominée Claudine, lui était si chère, qu’il voulut la faire passer pour une Sapho ; il composait des vers qu’elle récitait ensuite à table, comme si elle en eût été l’auteur. Par un singulier raffinement de tendresse, l’époux idolâtre, se sentant près de sa fin, écrivit pour elle une dernière pièce, où elle faisait ses adieux aux Muses. On ne fut pas néanmoins la dupe de ce stratagème d’affection conjugale, et La Fontaine fit courir une épigramme qui commence par ces vers :

Les oracles ont cessé,
Colletet est trépassé :
Des qu’il eut la bouche close,
Sa femme ne dit plus rien :
Elle enterra vers et prose
Avec le pauvre chrétien, etc.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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