Ce héros, élevé par les Turcs, formé par eux à l’art de la guerre, fut pendant vingt-trois ans leur plus redoutable ennemi : pendant vingt-trois ans il balança la fortune ottomane, devant laquelle tremblait toute l’Europe ; il la fit chanceler dans plus de vingt combats ; peut-être eût-il sauvé Constantinople, si les puissances chrétiennes l’eussent aidé de leurs troupes et de leurs trésors.
George Castriot, auquel son courage et sa force physique méritèrent le surnom d’Alexandre (Scander, en langue turque ; Beg ou Bey signifie seigneur), était le quatrième fils de Jean Castriot, prince d’Epire ou d’Albanie. Envoyés comme otages auprès du sultan Amurath II, les quatre fils du despote grec furent tous circoncis et instruits dans la religion musulmane. Par sa belle figure, par sa vive intelligence, par ses talents précoces, George plut au sultan, qui lui prodigua les soins et lui fournit les occasions de développer son mérite. Scander-Beg parla bientôt les langues grecque, turque, arabe, italienne, selavonne, et se distingua par son adresse dans tous les exercices du corps. Dès l’âge de dix-huit ans, nommé sangiac, premier degré d’honneur militaire chez les Turcs, il accompagna le sultan aux sièges de Nicomédie et d’autres villes. Partout il cueillit des palmes, qui rappellent les temps fabuleux.
Jean Castriot mourut en 1482 : Amurath fit périr par le poison les trois fils aînés de ce prince, et s’empara de ses états. Scander-Beg dissimula longtemps l’indignation qu’excitait en lui cette infâme conduite : il remporta encore des victoires pour le compte du sultan ; mais un jour, en 1443, profitant d’une défaite qu il avait habilement ménagée à ses troupes, il se saisit du secrétaire d’Amurath, et, le poignard sur la gorge, le força de signer, au nom du sultan, et de sceller du sceau impérial un ordre au gouverneur de Croia de remettre la place entre ses mains, et de lui en céder le gouvernement. Muni de cette pièce, Scander-Beg rentre dans son héritage, abjure le mahométisme, et reprend la foi de ses pères. Alors commence cette grande et mémorable lutte entre lui et les deux plus célèbres chefs de l’empire ottoman : Amurath succombe à la honte des revers qu’il essuie. (voy. 9 février 1451.) Mahomet II, n’osant plus se fier aux armes de ses soldats, essaie le poignard d’un assassin. Scander-Beg échappe à cette tentative ; mais une maladie aiguë l’emporte à peu de temps de là.
M. Poucqueville appelle Scander-Beg le dernier des héros de Macédoine. « La mort de Scander-Beg, dit M. Raffenel, fut comme le signal de l’anéantissement du petit royaume qu’il avait relevé et soutenu avec tant d’héroïsme. Ce guerrier avait été le refuge et l’espérance des chrétiens du Levant et des Grecs, qui songeaient encore à la liberté. Après lui la valeur n’eut plus de guide, le patriotisme plus de régulateur ; la politique injuste des Vénitiens, qui établissait entre les sujets de la république en Italie, et ceux des provinces conquises, une différence injurieuse pour ces derniers, arrêta bientôt l’élan passager que Scander-Beg avait donné à l’Epire et à l’Albanie. Venise garda quelques-unes des places de la vallée de Dibra, que le héros lui avait cédées avant de mourir : le reste du pays rentra sous la domination musulmane. Scander-Beg jeta sur la Grèce les derniers reflets d’une lueur expirante ; après lui rien de grand, rien de noble ne vint illustrer cette contrée, et trois siècles d’oubli succédèrent aux vingt années de gloire des Albanais. »
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