LA FRANCE PITTORESQUE
3 février 1317 : une assemblée écarte
les femmes du trône de France
(D’après « Les rois et les gouvernements de la France
de Hugues Capet à l’année 1906 » paru en 1906
et « Philippe V, 1316-1322, frère de Louis X » (par Ivan Gobry) paru en 2010)
Publié le mardi 31 janvier 2017, par LA RÉDACTION
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En mourant le 5 juin 1316, le roi Louis X ne laisse qu’un enfant, une petite fille de cinq ans et demi, Jeanne, que sa mort vient de faire reine de Navarre. Va-t-elle être reine de France ? Trois obstacles se dressent devant elle...
 

D’abord, l’ambition de son oncle Philippe, comte de Poitiers, qui déjà est à la fois son tuteur et régent du royaume. Puis, Clémence de Hongrie, épouse en secondes noces — depuis le 19 août 1315 — et veuve de Louis X, est enceinte : si elle a un fils, c’est à lui, sans contestation possible, qu’appartient la couronne. Ce fils, le petit roi Jean, meurt presque en naissant — né dans la nuit du 14 au 15 novembre 1316, il meurt le 19 novembre suivant —, laissant la place libre.

Mais Jeanne se trouve maintenant en présence d’une sorte de tradition qui, en France, exclut du trône les femmes. Depuis l’avènement des Capétiens, c’était la première fois que ce principe allait recevoir une application. Jusque là, chaque souverain en mourant avait laissé un héritier prêt à lui succéder.

Philippe ne perdit pas son temps à discuter la question. Aussitôt le petit roi mort, il s’entend avec le comte de Valois, son oncle, avec le comte de la Marche, son frère, et se fait par eux reconnaître roi. La duchesse Agnès, grand-mère de Jeanne et fille de feu le roi saint Louis, proteste ; plusieurs seigneurs s’efforcent aussi de barrer le chemin à celui qu’ils avaient accepté pour régent, mais qu’ils n’entendaient pas faire roi. Philippe brusque la situation. Il va se faire couronner à Reims, le 9 janvier 1317 ; puis, sentant le besoin de donner à son sacre une consécration légale, il songe à convoquer les Etats-Généraux. Ils ne pouvaient guère être réunis avant deux mois, pendant lesquels bien des incidents étaient à redouter.

Philippe prend donc le parti de réunir à Paris (2 février 1317) une assemblée où figurent la plupart des prélats du royaume, un grand nombre de nobles et même de bourgeois, des docteurs de l’Université, etc., et présidée en toute légalité par un de ses fidèles, le cardinal Pierre d’Arrablay, chancelier de France. Le nombre des membres de l’assemblée et leur qualité exacte ne sont pas connus. Ce qui ressort des textes, c’est que, vu la rapidité de la convocation, le nombre des nobles de province était infime ; beaucoup d’entre eux avaient protesté contre le coup de force du régent, et il faut supposer qu’ils furent oubliés lors des appels lancés aux fiefs.

Philippe V reçoit la couronne de France. Chromolithographie de 1890

Philippe V reçoit la couronne de France. Chromolithographie de 1890

Au contraire, presque tous les évêques y figuraient. Le roi était maintenant sacré, et ce caractère lui conférait à leurs yeux la légitimité. Enfin, les bourgeois de Paris, qu’on n’avait pas eu besoin de chercher par messagers, se trouvaient là en abondance. À son retour de Reims, Philippe V avait été ovationné par eux, et il ne doutait pas de sa popularité dans la capitale.

Il était de principe que la France était un fief trop noble pour tomber en quenouille. Comme l’écrit Froissart : « Li royaume de France est de si grant noblèce qu’il ne doit mies, par succession, aler à fumelle ». Il n’y eut donc pas de discussion. Le roi réclama deux déclarations. La première, du 3 février et suggérée par les légistes accrédités, que « femme ne succède pas au royaume de France ». C’était la première fois que cette loi apparaissait, contredite auparavant par les conclusions de l’assemblée du 16 juillet 1316 qui stipulait que, à la fin de la régence du comte de Poitiers, on devrait envisager laquelle des deux princesses royales obtiendrait le trône de France, et que le comte n’y accéderait que si les deux princesses y renonçaient. La nouvelle assemblée aurait dû légalement se pencher sur les conclusions de la précédente.

On a dit que Jeanne avait été ainsi exclue en vertu de la loi salique. Mais celle-ci ne renferme en réalité aucune disposition qui puisse être interprétée en ce sens. Le paragraphe 6 du titre LXII, De alodis, s’exprime ainsi : « De terra vero salica nulla portio hæreditatis mulieri veniat, sed ad virilem sexum tota terræ hæreditas perveniat ». Il resterait à établir le sens des mots terra salica, qui paraissent ne s’être jamais appliqués au domaine royal, et se bornent à ne pas accorder de terres aux femmes tant qu’il reste des enfants mâles. L’assemblée convoquée par Philippe n’a en fait pas invoqué la loi salique. Comme l’a montré Gabriel Monod dans la Revue critique d’histoire (1892), on ne fit pour la première fois appel à cette loi qu’en 1358. On était alors loin de la succession de Louis X.

La première déclaration obtenue, celle qui stipulait que les femmes ne jouissent pas du droit de succession, la seconde s’imposait : les membres de l’assemblée, barons et bourgeois, approuvèrent — il était trop tard pour désapprouver — le couronnement de Philippe V, et lui jurèrent obéissance. Probablement sur l’instance du nouveau roi, ils approuvèrent en outre les droits à la succession de son fils qui venait de naître. Malheureusement, le petit prince mourut huit mois plus tard, ne laissant que des soeurs. L’interprétation erronée de la loi salique se tourna donc presque aussitôt contre celui qui l’avait provoquée : les filles de Philippe se trouvèrent déshéritées en faveur de leur oncle Charles IV.

Ce n’est pas tout : la dynastie des Capétiens directs s’éteindra par la succession de trois frères se succédant faute d’enfant mâle, et nous verrons s’éteindre de même la branche des Valois et la branche des Bourbons.

Mais la sentence rendue par l’assemblée suscita de redoutables résistances, et Philippe dut se résigner à des sacrifices. A Eudes IV, duc de Bourgogne et oncle de Jeanne, il accorda sa fille avec le comté de Bourgogne et l’Artois qu’avait apportés la mère de celle-ci. A Philippe d’Évreux, petit-fils de Philippe III, il donna Jeanne avec la Navarre. Cette petite Jeanne tenait encore de sa mère la Champagne et la Brie, qui restèrent à la couronne de France. Ces deux unions ne furent en réalité que des fiançailles, car les futures étaient encore dans l’enfance.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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