Fils de Djjhan-Guyr et père d’Aureng-Zeyb, Chah-Djihan éprouva de terribles mais justes vicissitudes : son fils le punit avec usure des attentats dont il s’était rendu coupable contre son père et ses frères.
Nommé d’abord Sulthan-Khorrem, Chah-Djihan naquit le 5 janvier 1592 à Lahor ; malgré les intrigues d’une favorite qui voulait assurer la couronne à l’enfant né de son sein, le jeune Sultan obtint la confiance de l’empereur, et fut envoyé par lui dans le Dekehan, pour y soumettre les rebelles. Des succès rapides l’environnèrent d’une gloire que ternit bientôt le meurtre de l’un de ses frères : accusé de ce crime par la voix publique, Khorrem chercha sa justification dans la révolte. Le 9 mai 1622, il se fit proclamer empereur par son armée ; ce fut alors qu’il prit le nom de Chah-Djihan, ou souverain du monde. Il marcha sur Delhi, et fut vaincu. Avec les débris de ses troupes, il s’empara du Bengale, du Behâr ; mais ne pouvant garder cette double conquête, il accepta la paix, que lui offrit l’indulgence paternelle. A peine l’empire moghol venait-il de rentrer dans l’ordre, que la mort frappa Djihan-Guyr. Trois de ses fils se disputèrent la couronne ; Chah-Djilian l’emporta sur ses compétiteurs, qui tout- à-coup disparurent. Il renferma l’un d’eux, avec ses enfants, dans une chambre du palais impérial, et ordonna d’en murer les fenêtres et la porte : pendant plusieurs jours le palais retentit des hurlements de ces tristes victimes ; la mort seule mit fin à leurs cris.
Chah-Djihan était âgé de trente-six ans et quelques jours lorsqu’il monta sur le trône.
Quoiqu’indolent et avare, ce prince se signala par plusieurs expéditions guerrières et par les somptueux embellissements qu’il fit à Delhi, capitale de l’empire. Mais le fait le plus mémorable de son règne, c’est la tentative de détruire le brahmanisme : une famine qui, vers l’année 1633, désola l’Indostan, lui en inspira la pensée. Il jugeait que les lndous s’occupaient beaucoup trop d’exercices de religion, et pas assez d’agriculture. « Malheureux ! s’écriait le monarque en signant l’ordre de briser les idoles et les pagodes, vous avez mille dieux, et parmi cette légion de dieux il ne s’en trouve pas un qui pourvoie à votre subsistance ; ils ne servent qu’à vous distraire du soin d’y pourvoir vous-mêmes. »
Chah-Djihan éprouva que, si la force comprime les séditions, elle est impuissante sur une croyance : les Indous déployèrent, pour la défense de leurs temples et de leurs divinités, une inconcevable énergie ; plusieurs d’entre eux souffrirent héroïquement le martyre. Le monarque reconnut l’imprudence de sa conduite, et révoqua tous les décrets relatifs à la réforme du brahmanisme ; mais il s’en dédommagea sur le catholicisme des Portugais qui devinrent l’objet de ses persécutions et de ses vengeances.
Les discussions théologiques, soutenues par des missionnaires, des mollahs, des brahmanes, et auxquelles, dans sa jeunesse, Chah-Djihan assistait en présence de son père, avaient conduit ce prince du scepticisme à l’incrédulité. On raconte qu’un jour, pour trancher la question entre le christianisme et le mahométisme, il proposa aux partisans des deux cultes de se placer sur un bûcher, les uns tenant l’Évangile, et les autres le Coran, et promit d’embrasser la religion de ceux que la flamme épargnerait. « Nous » ignorons, ajoute le savant Langlès, lequel des deux apôtres refusa » de se soumettre à cette épreuve ; mais elle n’eut pas lieu. »
Chah-Djihan régna dix-huit années : son amour des plaisirs l’absorbant de plus en plus, l’ambitieux Aureng-Zeyb prépara ses plans à loisir, et les exécuta presque sans obstacle, Nous exposerons ailleurs le tableau de cette catastrophe. (voy. 21 février 1707.)
Déchu de sa puissance, captif dans le palais d’Agrah, le monarque, aux pieds duquel on avait fait rouler la tête du plus cher de ses fils, ne trouva de consolation que dans les soins touchants d’une fille accomplie et dans de pieux exercices ; car le sentiment religieux fut pour lui comme un ami, dédaigné dans la prospérité, mais qui revient dans le malheur, et qui vous reste fidèle.
Au bout de sept années d’une existence languissante, Chah-Djhan mourut dans sa prison (21 janvier 1666 ), On présume que l’ennui seul n’abrégea pas sa vie, et qu’Aureng-Zeyb crut devoir mettre un terme à des infortunes dont il était l’auteur.
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