LA FRANCE PITTORESQUE
Alun (Fabrication et utilisation de l’)
(D’après « Le Magasin pittoresque », paru en 1835)
Publié le samedi 17 août 2013, par LA RÉDACTION
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L’alun est un minéral d’un grand usage dans les arts. Incorporé au papier, il l’empêche de boire en formant un vernis qui ne permet pas à l’encre liquide de pénétrer dans la pâte. Il est employé pour conserver les poils aux pelleteries, pour retarder la putréfaction des matières animales, pour donner de la fermeté au suif des chandelles. La chirurgie s’en sert à l’état d’alun calciné pour ronger les chairs ; la médecine le prend comme astringent.

Source d'alun

Source d’alun

Mais c’est surtout dans les teintures que son emploi est à la fois le plus important et le plus étendu : il forme le principal mordant que le teinturier ait à sa disposition pour fixer les couleurs sur les étoffes. L’emploi du mordant est, comme l’on sait, une des bases de l’art du teinturier ; les matières colorantes ont rarement une grande affinité pour la substance organique à laquelle on veut les fixer ; la plupart d’entre elles seraient entraînées par l’eau des lavages, et l’étoffe se déteindrait promptement, si l’on ne se servait de certains intermédiaires qui, ayant à la fois une affinité vigoureuse et pour les fibres organiques du tissu et pour les matières colorantes, servent de lien entre les uns et les autres, en fixant d’une manière indestructible la couleur sur l’étoffe. Ce sont ces intermédiaires qui ont reçu le nom énergique de mordants : les oxydes d’étain et de fer, le tan, et surtout l’alumine qui entre dans l’alun, sont les substances qui réussissent le mieux.

L’alun était également exporté vers certains pays d’Asie où on l’utilisait dans la préparation des tapis d’Orient. Le mégis, bain de cendre et d’alun qui était employé pour mégir les peaux, donna son nom au mégisseur, qui mégit les peaux, c’est-à-dire prépare les peaux blanches - peaux de mouton et autres peaux délicates - qui servent à faire des gants ou qui doivent conserver leurs poils. Il servait également à l’amendement des vignobles croissant nombreux autrefois au flanc des collines mosanes, ou encore dans la préparation du plâtre comme durcisseur.

L’alun est un sel blanc, d’une saveur astringente, formé d’acide sulfurique, d’alumine, de potasse ou d’ammoniaque ; pour employer le langage chimique, c’est un sulfate double composé de sulfate d’alumine uni à un sulfate alcalin de potasse ou d’ammoniaque. Au sulfate double d’alumine et de potasse est réservé spécialement le nom d’alun ; si l’on veut désigner l’autre, on emploie le terme d’alun ammoniacal. Les savants ont reconnu seulement vers 1750 que l’alun contenait une terre (l’alumine) exactement semblable à celle qui fait la base de toutes les argiles ; la présence de la potasse et la véritable composition du sel n’a été reconnue que plus récemment encore, par Vauquelin et Chaptal. C’est de cette époque surtout qu’il fut possible à un grand nombre de fabricants nationaux de s’affranchir d’un tribut onéreux payé à des étrangers, en préparant eux-mêmes de toutes pièces l’alun dont ils avaient besoin.

L’alun se produit naturellement en plusieurs lieux, où il se forme par la réaction des substances sulfureuses, alumineuses et alcalines. Il effleurit à la surface du sol mêlé avec d’autres terres ; on le trouve ainsi abondamment dans les déserts de l’Egypte, en quelques localités de Bohême et de Saxe. Il existe encore de la même manière près de certains volcans, dans le royaume de Naples, dans l’archipel de la Grèce, à la Guadeloupe ; enfin il se forme dans des houillères embrasées.


Collet-Descotils

On peut aussi obtenir l’alun en traitant convenablement les substances minérales connues sous le nom d’alunites, qui renferment les éléments constitutifs de l’alun. C’est ainsi que les pays favorisés de ces substances, la Hongrie, et surtout la Tolfa dans les États Romains, produisent le sel estimé qu’elles livrent au commerce. Né à Caen en 1773, Hippolyte-Victor Collet-Descotils, ingénieur en chef au corps royal des mines, membre de l’Institut d’Egypte, et de plusieurs Académies et Sociétés savantes, fut chargé en 1813 d’aller inspecter et organiser les célèbres mines d’alun de la Tolfa.

La Syrie a conservé pendant longtemps le privilège exclusif de fabriquer l’alun, dans la ville de Rocca d’où provient la dénomination d’alun de roche. Vers le quinzième siècle l’Europe disputa à l’Orient les bénéfices de la fabrication, qui fut bientôt établie dans toute l’Italie. D’autres exploitations s’élevèrent successivement en Allemagne et en Espagne.

Il s’en établit une en Angleterre vers l’an 1600 : les produits en sont impurs, contenant, outre une quantité de sulfate de fer plus considérable que ceux des autres contrées, une matière animale huileuse. Néanmoins, la découverte d’une localité propre à la fabrication de l’alun fut considérée en Angleterre comme fort intéressante ; elle fut due à sir Thomas Chaloner. Dans un voyage en Italie, ce gentilhomme, parcourant la Solfatarra, avait soigneusement examiné le mode de fabrication et les substances minérales que fournissait le sol ; il s’était particulièrement attaché à reconnaître le caractère du terrain et les effets de la végétation ; n’examinant au reste, dit-on, toutes ces choses que par suite de ses habitudes d’observation et sans nourrir aucune arrière-pensée.

Quelques années après, en passant dans les environs de Guisborough, sir Thomas Chaloner observa, dit Camden, que la verdure des arbres y était d’une nuance plus faible qu’ailleurs ; que les chênes poussaient de fortes racines, mais ne les enfonçaient pas profondément en terre ; que le sol était formé d’une argile blanchâtre, marbrée de plusieurs couleurs jaunâtres et bleues ; enfin, il reconnut par une foule d’indices que le pays était doté d’une mine d’alun. Il se passa longtemps avant que les procédés industriels les plus convenables à la nature de la mine fussent définitivement trouvés ; les difficultés de détails ne furent entièrement levées que par l’assistance de Lambert Russell et de deux ouvriers français de La Rochelle.

En 1767, Jean-Étienne Guettard et l’un de ses élèves les plus brillants, Antoine-Laurent Lavoisier, fondateur de la chimie moderne, entamèrent ensemble une expédition scientifique dans les Vosges. Ils entreprirent de former à Ronchamps une fabrique d’alun, et voici comme on opérait selon eux : « on concassait grossièrement le schiste alumineux, et on en formait de longues planches ou couches pyramidales, disposées en toit par le haut ; on entremêlait avec ce schiste des morceaux de charbon de terre, et on ménageait du jour pour la circulation de l’air. Lorsque tout était ainsi disposé, on mettait le feu au tas, et on laissait la masse s’affaisser et s’éteindre d’elle-même, ce qui n’arrive que quand tout le charbon de terre est consumé.

« Il se dégage beaucoup de soufre dans cette opération, et ce soufre était perdu lorsque nous visitâmes cette fabrique ; mais on se proposait de le recueillir dans la suite, et d’en tirer parti. Lorsque le schiste a été ainsi calciné, on le transporte dans de grands bassins carrés, creusés dans la terre et revêtus de planches, dans lesquels on le lessive en remuant avec un ringard ; de ces fosses, l’eau est conduite, par des canaux de bois, dans de grands réservoirs où elle s’épure, après quoi elle tombe dans des chaudières de plomb très épais, qui forment des carrés très allongés ; la liqueur est rapprochée, dans ces chaudières, jusqu’à ce qu’elle soit au point de cristallisation ; enfin on la met à cristalliser dans de grandes caisses de bois. »

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