LA FRANCE PITTORESQUE
Constance d’Arles
(née vers 984, morte en le 25 juillet 1032)
(Épouse Robert II en 1003)
Publié le lundi 1er février 2010, par LA RÉDACTION
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Constance d’Arles ou de Provence, fille du comte d’Arles, Guillaume Ier, remplaça la bonne reine Berthe. La blancheur du teint de cette princesse lui fit donner le surnom de Candide ou de Blanche ; mais sa beauté était déparée par les défauts de son caractère ; dès qu’elle parut à la cour elle voulut en changer l’ordre et la noble simplicité.

Le moine Raoul Glaber lui reprocha d’avoir amené de jeunes Provençaux dont le costume, la tête à demi rasée, le visage sans barbe, convenait mieux dit l’historien, « à des baladins et à des bouffons qu’à de nobles seigneurs qui accompagnent leur reine ». Le chroniqueur décrit ainsi ces premiers troubadours : « Leurs cheveux descendaient à peine au milieu de la tête. Vrais histrions chez qui le menton rasé, les hauts-de-chausse, les bottines ridicules, terminées par un bec recourbé, et tout l’extérieur mal composé annonçaient le dérèglement de l’âme. Hommes sans foi, sans loi, sans pudeur, dont les contagieux exemples corrompirent la nation française, autrefois si décente, et la précipitèrent dans toutes sortes de débauches et de méchancetés ».

Constance d'Arles

Constance d’Arles

Constance se rit des murmures, et n’écouta pas davantage les représentations de son époux ; elle ne fut pas longtemps avec lui sans éprouver sa patience ; elle prétendait s’immiscer à tous les secrets de l’État ; elle voulait que les grâces et les faveurs passassent toutes par ses mains ; son humeur inégale et le peu d’équité de ses jugements rendirent ses choix odieux. Si elle se croyait moins honorée qu’elle ne prétendait l’être, elle éclatait en plaintes, et le roi, toutes les fois qu’il accordait une grâce, avait coutume de dire : « Surtout, prenez garde que Constance ne le sache ! » Toutefois, il s’inquiétait peu de lui plaire ou non, et suivait franchement la ligne de conduite qu’il s’était tracée.

Au nombre des devoirs du bon roi, l’aumône tenait un des premiers rangs. Telle était sa facilité que les pauvres en abusaient parfois. Un jour qu’il était à table à côté de la reine, un des pauvres qu’il nourrissait coupa un gland d’or attaché au vêtement royal ; quand Robert se leva, Constance le regardant d’un air d’ironie : « Qui donc, ô mon bon Seigneur, lui dit-elle, a déshonoré votre robe, et a coupé le gland qui l’ornait ? - A celui qui l’a pris, répondit le roi, cet or sera plus profitable qu’à moi ». Une autre fois, des voleurs ayant enlevé la frange d’or d’une des tentures de son appartement, allaient passer à une autre ; le roi, qui les avait vus, se contenta de leur dire : « En voilà assez pour une fois, hâtez-vous de sortir : si la reine vous voyait, vous ne seriez pas quittes si facilement », rapporte Helgaud dans sa Vie de Robert.

Il fallait en effet que Robert protégeât de son autorité royale tous ceux qui avaient eu le malheur de déplaire à la reine : la mort de Hugues de Beauvais prouve à quel degré Constance savait pousser ses vengeances. Robert avait donné sa confiance à Hugues, son filleul, né du premier mariage de Berthe de Bourgogne. De ce fils de sa première épouse, il avait fait son ministre, et un ami dans le sein duquel il versait ses chagrina. Il l’avait fait comte de Beauvais et gouverneur de Paris ; l’église d’Orléans l’avait pris pour avoué (celui qui s’occupait des intérêts temporels d’une église) ; le roi l’entourait de soins.

Constance le détestait de plus en plus ; elle chercha plusieurs moyens de s’en défaire ; enfin elle écrivit à Foulques-Nerra (Foulques-le-Noir), comte d’Anjou, que ses crimes multipliés et sa pénitence ont rendu fameux. Foulques n’eut garde de manquer une occasion de signaler son audace ; il répondit à la reine et lui manda, dit la chronique, qu’elle fît « bonne chière », que « dans brief [dans peu] » elle serait vengée de Hugues, et que « jà ne saurait être monté en si haute autorité que l’on ne l’en fît bien descendre ».

On sut que la cour projetait une grande chasse ; les Angevins, chargés de leurs armures, la visière baissée, vont dans la forêt où ils sont assurés de remplir leur horrible mission ; lorsqu’ils jugent que Robert et son ami sont assez éloignés de leur suite, ils sortent au nombre de douze de l’embuscade où ils se tenaient cachés, passent devant le roi en lui faisant une profonde révérence, et sous ses yeux entraînent Hugues qui se sent saisir et arrêter sans pouvoir opposer de résistance. Robert s’écrie ; il se précipite entre les assassins et la victime ; il ordonne, il supplie ; il invoque la pitié, la religion ; tout est inutile ; les meurtriers frappent leur victime et disparaissent dans l’épaisseur de la forêt en laissant le roi au comble de l’horreur et de la stupéfaction.

Constance d'Arles et Robert II

Constance d’Arles et Robert II

Robert retourne accablé rejoindre les siens, leur dit le sinistre événement, et veut faire chercher et poursuivre les coupables. Il n’en connaissait aucun ; mais il soupçonnait trop que la reine ne devait pas être étrangère à cet attentat accompagné de circonstances qui le rendaient si outrageant pour la majesté royale. Après les derniers devoirs rendus à son ami, Robert fit faire une enquête sévère, et bientôt il ne put douter que Foulques-Nerra ne fût le coupable ; il le fit sommer de comparaître dans le délai de trois semaines pour faire amende honorable, présenter ses complices, ou les désavouer.

Tels étaient les chagrins que la reine suscitait à son époux. Robert cependant lui laissait à la cour toutes ses prérogatives : Constance paraissait avec pompe dans les solennités ; son nom se joignait à celui du roi dans les ordonnances. Pour le pieux Robert, sa consolation unique était l’étude et la prière : il avait réglé sa vie de manière à trouver du temps pour tout ; comme le grand Alfred, il partageait ses heures en brûlant des cierges d’inégale longueur ; ses chagrins n’altéraient pas son angélique douceur. Sa bonté éclatait parles traits les plus touchants. Qui ne sait ce pardon accordé à douze conspirateurs qu’il ordonna d’absoudre, qu’il fit communier et manger avec lui, et dont il prononça la grâce en disant : « Peut-on mener à la mort des hommes qui se sont réconciliés avec leur Dieu et qui ont mangé avec leur roi ? » Qui ne sourit à la pieuse industrie qui enlevait les reliques des reliquaires pour éviter qu’on ne fît de faux serments ?

Quant à sa foi, elle était telle qu’on a dit de lui : « Il semblait voir les saints mystères plutôt que les croire ». Robert aimait la musique, elle était même pour lui une véritable consolation dans ses ennuis domestiques. Aux heures de loisir, il composait de belles hymnes qu’il envoyait au pape dans son palais de Latran. On le voyait, les jours de fête, venir à l’église de Saint-Denis, revêtu de la chape de soie et la couronne sur la tête, chanter vêpres et matines au milieu des chantres et des moines dont il dirigeait les chœurs, battant la mesure avec son sceptre. Un jour Constance se plaignit qu’il n’eût jamais fait de vers pour elle. Robert ne prit pas garde à ce nouveau caprice, mais la demande se renouvela avec la fermeté absolue que la reine savait mettre dans ses plus simples souhaits. Fatigué de ces obsessions, le bon roi feignit de céder, et l’on prétend qu’il lui montra le premier verset d’une hymne qu’il venait d’achever, et qui commence par ces mots : O constantia martyrum (O patience des martyrs !). Troublée par ce calembour latin, la reine se trouva satisfaite, croyant y voir son nom.

A côté de ces puérilités de la vanité, la reine mettait son orgueil à paraître orthodoxe ; elle croyait se rendre agréable à Dieu par sa cruauté, et les missions les plus sévères ne la révoltaient pas. Une hérésie nouvelle qui s’était introduite en France avait séduit des femmes, de simples fidèles, des prêtres même, des hommes éminents dans le clergé d’Orléans. Les fauteurs de l’hérésie furent jugés à Orléans, et on en condamna treize au feu. L’assemblée était réunie dans l’église ; la reine se tenait en dehors pour arrêter le désordre et (ce trait est une indication curieuse de la manière dont les rois exerçaient le pouvoir), revêtue des ornements royaux, elle contenait le peuple par sa présence. Ayant reconnu un prêtre d’Orléans, Etienne Lisoie, qui avait été son confesseur, elle lui creva un œil avec la baguette d’ivoire qu’elle portait à la main et qui, selon la mode du temps, était surmontée d’une tête d’oiseau.

Cette femme cruelle n’avait pas même des vertus de son sexe, la tendresse maternelle. Son avarice était si grande qu’elle laissait ses fils manquer de tout. Hugues, l’aîné, avait été couronné roi en 1017, Robert II suivant en cela l’exemple de son père, en assurant ainsi le trône de son fils et évitant tout partage après sa mort en désignant d’avance son successeur ; les lettres de Fulbert, évêque de Chartres, nous apprennent que ce jeune prince, ne pouvant supporter les vexations continuelles de sa mère, et étant sorti de la cour, voyageait comme un aventurier, et qu’il fut retenu prisonnier par un comte de Bellême sur les terres duquel il avait passé. « J’ose dire, écrivait Fulbert au roi, qu’il est de votre devoir de veiller à ce que le prince ne reste pas dans ce dénuement, autrement vous passeriez pour un mauvais père » écrit Fleury dans son Histoire ecclésiastique.

Robert rappela son fils, et exigea de sa femme qu’elle épargnât au moins ses propres enfants. Hugues étant mort en 1026, Constance intrigua pour contrarier les vues de son mari, qui voulait faire couronner Henri, son second fils. Elle multiplia les lettres aux évêques, elle prodigua les flatteries, les menaces, prétendit qu’on devait donner la couronne au mérite et non au hasard de la naissance, que Henri était indigne du trône, tandis que Robert (troisième fils du roi) serait un prince accompli, nous apprend Raoul Glaber dans sa Chronique. La fermeté du roi triompha ; il fit sacrer Henri, mais Constance mit dans ses intérêts Baudouin, comte de Flandre, Eudes, comte de Champagne (elle cédait à celui-ci la moitié de la ville de Sens), Guillaume VI, duc de Guyenne ; ceux qu’elle ne gagna pas, elle les intimidait. L’évêque Fulbert écrivait, en parlant du sacre de Henri : « J’y aurais volé, mais ma santé m’en a empêché. J’aurais pourtant surmonté cet obstacle si je n’avais pas craint les emportements de la reine, qui n’est que trop croyable quand elle promet du mal, comme le prouvent toutes ses actions » relate Fleury.

Constance se vengea en désolant la vie de son fils et du roi ; elle s’emporta contre Robert, ce troisième fils qu’elle paraissait chérir, et lui reprocha qu’il ne haïssait pas assez son frère. Henri ne pouvait ni vivre à la cour où sa mère le maltraitait, ni s’éloigner faute d’argent ; il finit par attaquer Dreux, et s’en emparer, en se révoltant contre son père. Alors Constance mit les armes à la main du jeune Robert qui prit Avallon et Beaune. Il fallut que le roi marchât contre ses fils. Heureusement les princes ne purent soutenir la pensée de prolonger la guerre contre leur propre père et demandèrent à rentrer en grâce. On lit avec attendrissement les paroles de Robert à cette occasion : « J’ai affligé mon père en voulant plus d’autorité qu’il ne m’en donnait, dit-il ; aujourd’hui je souffre par mes enfants ; que Dieu prenne mon repentir en pitié et qu’il nous pardonne à tous ! ».

Robert II et Constance d'Arles

Robert II et Constance d’Arles

Le bon roi survécut peu à des chagrins si cuisants ; il mourut l’année suivante (1031). Les sanglots éclataient autour de son cercueil ; les veuves, les orphelins, les pauvres, les religieux qu’il avait assistés, les amis dont il s’était plu à s’entourer, formaient son cortège ; sa pompe funèbre était celle d’un père adoré enlevé trop tôt à sa famille ; on entendait de toutes parts ces mots répétés longtemps encore après sa mort : « Nous avons perdu notre père ; il nous conservait en paix ; sous lui, nous étions en sûreté, nous et nos biens, et nous ne craignions personne ! »

Vainement le roi, à son lit de mort, avait désigné Henri pour son successeur : Constance suscita partout des ennemis à ce fils couronné malgré elle. Elle arma ses vassaux, elle s’empara des villes de Soissons et de Sens, des forts de Hammartin, de Colley et de Melun... Melun où son époux venait de rendre le dernier soupir !... Son inimitié la rend infatigable : elle guerroie, elle négocie, elle menace, elle implore : Henri est forcé de fuir et, lui douzième, d’aller réclamer le secours du due de Normandie, à l’aide duquel il parvient à reprendre les places que sa mère avait enlevées. Mais Foulques-Nerra, s’étant porté comme médiateur, força la reine à un traité ; les deux frères promirent de vivre en paix, Henri comme roi, et Robert comme duc de Bourgogne.

Constance mourut à Melun en 1032 ; on l’inhuma à côté de l’époux dont elle avait constamment troublé le repos. Les écrivains du temps donnent des éloges au zèle de la reine à propos d’une relique trouvée dans une muraille par un abbé de Saint-Jean-d’Angély ; le bruit s’était répandu que c’était le chef de saint Jean-Baptiste, et la relique fut honorée de tout le royaume. Constance y vint avec son mari ; elle édifia à Poissy un monastère de chanoines réguliers. Mais ces œuvres et ces pratiques de dévotion ne rendent pas plus respectable la mémoire d’une femme qui a cru satisfaire à la religion en s’y appliquant extérieurement, tandis que sa maison, sa famille, son peuple souffraient de sa cruauté, de son avarice et de sa jalousie.

Elle eut sept enfants avec Robert II : Advise (née en 990 et morte en 1063) ; Hugues (né en 1007 et mort en 1026) ; Henri, né en 1008, qui devint roi de France sous le nom de Henri Ier ; Adélaïde de France (née en 1009 et morte en 1079) ; Constance de France (née en 1010) ; Robert (né en 1011 et mort en 1076), qui devint duc de Bourgogne sous le nom de Robert Ier lorsque son frère Henri hérita du trône en 1031 ; Eudes (né en 1013 et mort en 1055).

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