LA FRANCE PITTORESQUE
Histoire du département du Tarn
(Région Midi-Pyrénées)
Publié le samedi 30 janvier 2010, par LA RÉDACTION
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Le pays d’Albi était habité avant l’invasion romaine par un des peuples gaulois les plus belliqueux, celui des Volces Tectosages. Les Tectosages, dit-on, composaient en grande partie l’armée de Brennus. Au passage d’Annibal, ils tentèrent de lui fermer la route. On les voit ensuite s’enrôler dans les armées étrangères pour aller chercher des aventures dans les pays lointains, et étonner la Grèce et la Thrace de leur valeur indomptable.

Les Tectosages, selon quelques auteurs, faisaient partie de la confédération des Cadurques et ce serait eux que César désignerait sous le nom de Cadurci Eleutheri. Selon d’Anville, ils dépendaient des Rutheni provinciales . Le nom d’ Albigeois , qui est resté à cette province, n’apparaît, pour la première fois, que dans la Notice de l’empire, qui est du commencement du Ve siècle ; on y rencontre la Civitas Albientium, et, dans la liste des dignités de l’empire, on trouve des cataphractarii Albigenses, que quelques-uns ont traduit par des cuirassiers albigeois.

Cette traduction n’est-elle pas téméraire, et ces cuirassiers, que la Notice nous montre cantonnés en Thrace, venaient-ils des rives du Tarn ? Voilà ce qu’on peut difficilement décider. On donne à ce nom d’Albigenses ou Albienses deux étymologies différentes : l’une, latine (albus, blanc), rappellerait les terres blanches des coteaux qui environnent Albi ; l’autre, celtique (alp ou alb, hauteur, sommet), l’éminence sur laquelle s’élevait l’ancien château de cette ville, Castelviel.

Toutefois, ce n’est que fort tard que le nom d’Albigeois fut appliqué au pays même dont a été formé le département du Tarn. Compris, après la conquête de César, dans la province Romaine, et sous Auguste dans l’Aquitaine, ce pays n’eut point de dénomination propre jusqu’au temps où Charlemagne forma un comté ayant pour chef-lieu Albi ; en devenant une circonscription administrative particulière, il reçut le nom particulier d’Albigeois.

Ni l’époque celtique ni l’époque romaine n’ont laissé beaucoup de monuments dans le département du Tarn. On n’y trouve que quelques dolmens, des pierres levées, des médailles et certains ornements. A peu de distance de la route qui conduit de Cordes à Saint-Antonin, dans la commune de Saint-Michel-de-Vax, on voit un dolmen composé d’une large pierre de 3m 60 de longueur sur 2m 56 de largeur, posée horizontalement sur deux blocs de rocher.

A Tonnac, on en voit un plus considérable encore, et sous lequel on a trouvé des ossements humains fluant aux monuments romains, ce sont, avec des tombeaux, bien conservés et des fragments de voies et d’aqueducs, des pavés en mosaïques, des médailles, des urnes, des fragments de poterie, que des fouilles ont mis au jour.

Dévasté par les Vandales, le pays fut occupé en 478 par les Wisigoths, et conquis par les Francs a la suite de la bataille de Vouillé (507). Ces nouveaux dominateurs n’y régnèrent point tranquilles. En 512, Théodoric les en chassa momentanément, et bientôt, sous les descendants de Clovis, l’Albigeois devient, comme tout le Midi, le théâtre, l’objet et la victime des querelles sanglantes de ces princes rivaux. Caribert en est maître en 564 ; en 574, Théodebert s’y précipite avec ses bandes austrasiennes, ne respectant rien, pillant, brûlant et ravageant églises et monastères.

En 575, le duc de Toulouse, Didier, chasse les soldats de Sigebert et s’empare du pays pour le compte de Chilpéric. En 576, c’est Mummol, le général du roi de Bourgogne, Gontran, qui vient à son tour désoler cette malheureuse contrée, d’où il emmène une foule de prisonniers. Quatre ans après (580), Chilpéric en redevient possesseur. Nous ne suivrons point ces vicissitudes presque annuelles, toujours accompagnées des plus barbares violences. En 615, apparaît le premier comte d’Albi, Syagrius, issu d’une très riche famille d’origine gauloise et frère des deux évêques de Cahors Rustique et Didier (saint Géry).

Dans leur décadence, les Mérovingiens perdirent la domination des pays méridionaux soumis à leur autorité. Eudes, duc d’Aquitaine, s’empara de l’Albigeois en 688. Ses successeurs ne jouirent pas paisiblement de cette conquête ; un demi-siècle n’était pas écoulé que l’Albigeois était en proie aux incursions dévastatrices des Sarrasins (720-732).

Cette invasion eut pour résultat indirect de ramener les rois francs, rudes libérateurs des chrétiens de la Gaule méridionale. En 766, Pépin le Bref s’empara de l’Albigeois en même temps que de tout le Languedoc, et c’est douze ans après que Charlemagne, définitivement maître de ces contrées, établit Aimon comte de l’Albigeois.

Le gouvernement de ce grand monarque profita au Languedoc, et surtout à l’Albigeois, par l’abolition de l’impôt militaire appelé foderum, que ce pays payait en proportion de la richesse de ses récoltes (795). Ermengaud, qui vivait au temps de Charles le Chauve, fut le dernier comte de l’Albigeois qui relevât des rois de France. Il se distingua par la prudence avec laquelle il mit la contrée en état de défense contre les Normands qui y portaient le ravage en 864. Garsinde, sa fille et son héritière, en épousant Eudes, comte de Toulouse, lui porta en dot cette province, qui fut depuis lors gouvernée par des vicomtes sous la suzeraineté des comtes de Toulouse.

Au commencement du Xe siècle, la contrée désignée sous le nom d’Albigeois comprenait, outre la vicomté d’Albi et d’Ambialet, celle de Lautrec et Paulin. Elle ne remonta au rang de comté qu’en 987. Guillaume Taillefer, comte de Toulouse, l’ayant cédée à son frère Pons, celui-ci prit le titre de comte d’Albi. C’était l’année même où Hugues Capet commençait humblement la nouvelle dynastie française. On a remarqué avec quelle liberté, depuis plus d’un siècle, les pays du Midi disposaient d’eux-mêmes, se rapprochaient, s’unissaient, se séparaient à leur gré, non seulement ne voyant plus les rois, mais ne sentant plus même leur autorité. Aussi le nouveau monarque ne fut-il point reconnu dans l’Albigeois pendant d’assez longues années.

Le voyage que le roi Robert fit en 1031 dans l’Albigeois fut de peu d’effet pour l’autorité royale. Les seigneurs du Midi ne furent pas moins indépendants de fait que par le passé pendant le XIe siècle.

Ce siècle vit s’accroître considérablement la puissance des vicomtes d’Albi. Aton II, qui mourut en 1032, était vicomte d’Albi et de Nîmes. Bernard III, son successeur, s’intitule, dans l’acte de fondation du pont d’Albi, proconsul de Nîmes et prince d’Albi. Raymond-Bernard, qui vint après lui, y ajouta par un mariage le comté de Carcassonne et les vicomtés de Béziers et d’Agde (1061). C’est lui qui porta le premier le surnom de Trencavel, qui servit depuis à désigner cette puissante famille.

Bernard-Aton IV, homme tout à fait remarquable, porta enfin à son plus haut période cette agglomération de fiefs, qui était au moyen âge le secret des grandes puissances, en joignant la vicomté de Rasez à toutes les autres. A sa mort, malheureusement, cette couvre de la patiente ambition des Trencavel se brisa par un partage entre ses trois fils.

Mais les débris en furent encore imposants : les vicomtés d’Albi et d’Ambialet échurent d’abord à l’aîné, Roger, puis à sa mort a Raymond Trencavel, le second, lequel posséda en même temps Béziers, Carcassonne et Rasez (1150). Vicomte de Béziers avant de l’être d’Albi, Raymond Trencavel donna la priorité de rang a la première de ces deux villes. L’Albigeois, dont les seigneurs étaient naguère les dominateurs du Midi, déchut du rang où il avait été élevé et ne fut plus qu’une dépendance de la vicomté de Béziers. Mais ce qui devait faire à jamais sa célébrité, ce qui devait graver le nom d’Albigeois dans l’histoire en lettres ineffaçables, c’est l’hérésie et la croisade fameuses dont nous allons rappeler les principaux traits.

Depuis plus d’un siècle, des doctrines malsonnantes inquiétaient l’Église catholique. En 1022, sous le roi Robert, on brûlait à Orléans des manichéens ; c’est du moins sous ce nom que le concile désigna les malheureux qui périrent alors sur le bûcher. Soissons fut témoin d’un supplice semblable en 1115.

Les hérétiques se multipliaient partout, mais principalement dans le Midi. Ils avaient reçu, disait-on, les doctrines manichéennes des Bulgares, qui les tenaient eux-mêmes des Arméniens, et l’on ajoutait que leur pape résidait en Bulgarie. Aussi les appelait-on quelquefois bulgares ou boulgres par abréviation. Ces hérésiarques s’élevaient ; et leur voix était écoutée des peuples. Il y en eut à cette époque deux célèbres, Pierre de Bruys et Henri, qui prêchèrent avec un grand succès dans le Dauphiné, la Provence et la province de Narbonne.

Les auteurs catholiques les accusaient de piller les églises ; de brûler les croix et de s’abandonner à la débauche. Pierre de Bruys fut livré au bûcher dans la petite ville de Saint-Gilles « en punition des croix qu’il avait brûlées. » Henri, son disciple, ancien religieux qui avait quitté la vie monastique, ne fut point ébranlé par ce terrible avertissement, et, continuant de prêcher, se rendit à Toulouse, sans doute en traversant l’Albigeois. Ses sectateurs furent appelés henriciens.

Déjà, au milieu du XIIe siècle, les progrès de l’hérésie étaient assez considérables pour inspirer des alarmes au pape Eugène III, venu en France pour y prêcher la seconde croisade (1147). Ce pontife envoya à Toulouse le cardinal Albérie, évêque de Chartres et saint Bernard, accablé des infirmités de la vieillesse, mais toujours plein d’ardeur. Saint Bernard, qui était le véritable chef de cette mission par son génie, fut frappé de l’aspect religieux du pays. « Les églises, écrivait-il, sont sans peuple, les peuples sans prêtres, les prêtres sans ministère. »

Ce n’était point merveille : les hommes du Midi n’avaient sous les yeux qu’un clergé livré au luxe et aux mauvaises mœurs. Ils accueillirent avec dérision et outrage la pompe du légat, mais avec respect et enthousiasme l’austère simplicité du moine éloquent qui dominait son siècle, et dont l’ambition était toute religieuse. Verfeil, près de Toulouse, fut le seul lieu où saint Bernard n’obtint pas le silence du respect ; obligé de se taire devant les clameurs de la foule, il secoua contre ce lieu la poussière de ses sandales et se retira. La mission passa alors dans l’Albigeois.

Les doctrines hétérodoxes prospéraient dans cette province. Elles y étaient particulièrement favorisées par Raymond Trencavel, qui, sans cesse en guerre avec son suzerain, Raymond V, comte de Toulouse, protégeait par système les hérétiques pour s’en faire un appui, Presque tous les habitants d’Albi étaient henriciens. Ils rirent au légat une réception burlesque : montés sur des ânes et battant du tambour, ils allèrent au-devant de lui.

Quand il prêcha à Sainte-Cécile, il eut environ trente auditeurs. On ne traita pas de même saint Bernard : sa parole tomba sur mie foule pressée, avide de l’entendre, émue, que la cathédrale ne pouvait contenir. Elle écouta, non sans se troubler, la réfutation qu’il fit de point en point des doctrines henriciennes, et quand il s’écria : « Choisissez entre les deux doctrines ! » tous répondirent qu’ils détestaient leur erreur, qu’ils revenaient à la foi catholique. « Faites donc pénitence, ajouta-t-il, vous qui avez péché ! » Et il leur fait à tous lever le bras en signe qu’ils jurent d’être fidèles à l’Église. Mais leur retour aux saines doctrines ne devait pas être de longue durée : saint Bernard parti, ils oublièrent leur serment.

Il sembla à Guillaume, évêque d’Albi, qu’un concile spécialement convoqué pouvait seul porter remède à l’état de choses et venir à bout de l’hydre qu’il s’agissait d’étouffer. Ce concile fut indiqué pour la fin du mois de mai 1165, et dut se réunir dans une ville de l’Albigeois, alors forte et considérable, aujourd’hui très obscure, la ville de Lombers, à 30 kilomètres au sud d’Albi.

On y interrogea sur leur doctrine et leur profession de foi les hérétiques, qui s’appelaient les bons hommes, les parfaits ; ce dernier titre toutefois n’appartenait qu’à un petit nombre d’entre eux, puritains de la secte, qui se distinguaient par l’austérité de leur vie ; la foule ne portait que le nom de croyants. Affranchis par la révolte des obligations morales de la loi catholique, les croyants se passaient de toute morale et vivaient dans la licence, persuadés que les vertus des parfaits rachèteraient leurs vices.

Quant à cette dénomination d’Albigeois, qui est demeurée aux hérétiques de cette secte, répandue également dans tout le Languedoc, on peut admettre qu’elle prit naissance à cette époque, peut-être même à l’occasion de ce concile tenu dans l’Albigeois pour examiner et condamner la doctrine nouvelle.

Pour résumer l’exposé des croyances albigeoises, nous dirons que, aux yeux de ces hérétiques, Satan, principe du mal, était l’auteur du monde physique ; de là cette condamnation de la chair, de la vie d’ici-bas et du mariage, qui conduisit quelques femmes égarées à faire périr leurs enfants. Le Jéhovah de l’Ancien Testament n’est autre que Satan lui-même, et de plus tous les Pères de l’Ancien Testament sont damnés jusqu’à saint Jean-Baptiste, l’un des majeurs démons et pires diables. Le bon esprit, c’est Jésus-Christ ; mais il ne s’est point incarné, c’eût été s’asservir à la chair, au mauvais principe ; il n’a pris que les apparences de la chair, de la vie et de la mort, et est venu, pur esprit, régénérer les esprits des hommes.

Non seulement les Albigeois attaquaient ainsi le dogme, mais ils attaquaient aussi le clergé. L’habit noir des parfaits était un reproche aux somptueux vêtements des évêques. Ils avaient des cimetières particuliers où ils enterraient publiquement leurs adeptes. Enfin, ils recevaient, dit Pierre de Vaux-de-Cernai, des legs plus abondants que les gens d’église, tant les populations de ces contrées étaient séduites par eux !

« Moi, Gaucelin, évêque de Lodève, par ordre de l’évêques d’Albi et de ses assesseurs, je juge que ces prétendus bons hommes sont hérétiques, et je condamne la secte d’Olivier et de ses compagnons, qui est celle des hérétiques de Lombers, quelque part qu’ils soient. » Tel fut l’arrêt rendu par le concile de Lombers. Quatorze ans après, le concile de Latran (1179) énonçait, à propos des Albigeois, cette maxime : « Bien que l’Église rejette les exécutions sanglantes, elle ne laisse pas d’être aidée par les lois des princes chrétiens ; et la crainte du supplice fait quelquefois recourir au remède spirituel. » Nouveaux anathèmes au concile de Montpellier (1195).

Tant d’excommunications n’écrasaient pas les Albigeois. Ils n’en acquéraient que plus de célébrité, d’importance et d’audace. Au concile catholique de Lombers, ils opposèrent, deux ans après, un concile hérétique présidé par Niquinta, leur pape, à Saint-Félix-de-Caraman, où se réunirent des représentants des églises dissidentes de l’Albigeois, du pays de Toulouse, de Carcassonne et de la vallée d’Aran.

L’hérésie ne se contenait plus même dans le midi de la France, elle débordait sur le nord et sur les pays étrangers, l’Angleterre, la Catalogne, l’Aragon. Ce n’est pas qu’il y eût bien des divergences d’opinion dans cette diffusion de l’hérésie, et le nom d’Albigeois couvrait sans doute plus d’une secte. Néanmoins, c’était un formidable ensemble de rébellions contre l’unité catholique.

Le glaive temporel allait donc être tiré du fourreau. Quelle serait la main qui le ferait mouvoir ? Ce droit et ce devoir n’appartenaient-ils pas tout d’abord aux souverains temporels des pays qui étaient le siège de l’hérésie ? Mais, soit connivence, soit impuissance véritable, ces souverains cherchaient à s’affranchir de cette tâche. « Je ne puis trouver le moyen de mettre fin à de si grands maux, écrivait Raymond V au chapitre général de Citeaux, en 1177, et je reconnais que je ne suis pas assez fort pour réussir. »

Raymond V était sincèrement catholique. Son fils Raymond VI penchait vers l’hérésie : « Je sais, disait-il, que je perdrai ma ferre pour ces bons hommes, eh bien ! la perte de ma terre, et encore celle de ma tête, je suis prêt a tout endurer. »

II y eut, dès 1178, une petite guerre religieuse dirigée contre l’Albigeois proprement dit. Le fils de Raymond Trencavel, Roger II, suivait les errements paternels. Non seulement il était toujours en querelle avec son suzerain, le comte de Toulouse, dont il épousa pourtant la fille Adélaïde, mais il favorisait ouvertement les hérétiques ; il leur permettait de s’établir en maîtres à Lavaur et même à Lombers, qui naguère avait retenti des anathèmes lancés contre eux ; il leur laissait le champ libre pour provoquer les évêques à la discussion.

En démêlé lui-même avec l’évêque d’Albi, il finissait le débat un beau jour en le faisant mettre en prison, et en l’y faisant garder par des hérétiques Cette cruelle plaisanterie fut mal prise par la cour de home. Le légat, qui s’était rendu à Toulouse, envoya dans l’Albigeois Henri, abbé de Clairvaux, accompagné du vicomte de Turenne et de Raymond de Castelnau, qui devaient lui prêter main-forte. Roger se retira prudemment dans des lieux inaccessibles et se laissa sans autre souci excommunier dans la ville de Castres, dont son épouse Adélaïde avait ouvert les portes. Il fut déclaré traître, hérétique et parjure. Henri, qui avait prononcé l’anathème, devint lui-même légat du saint-siège peu de temps après, et résolut d’employer l’autorité étendue que lui donnait cette dignité à frapper l’hérésie avec quelque vigueur.

Il retourna dans l’Albigeois, entraînant sur ses pas les catholiques en armes, assiégea vivement Lavaur, qui ouvrit ses portes, et obligea Roger d’abjurer l’hérésie et de livrer les hérétiques pris dans cette place (1180). Mais à peine eut-il le dos tourné, que le vicomte et ses sujets revinrent aux doctrines qu’ils avaient feint de quitter, se riant des tentatives inutiles de l’Église. En 1194, Roger mourant laissait la tutelle de son fils à un seigneur hérétique.

Le saint-siège, qui ne pouvait être vaincu dans cette lutte, redoubla l’énergie de ses moyens. Dès 1198, les frères Gui et Raynier, de l’ordre de Cîteaux, parcouraient le Midi comme commissaires du pape, chargés de représenter sa puissance tout entière. Leurs successeurs, Pierre de Castelnau et Raoul, moines du même ordre, réunirent dans leurs mains tout le faisceau des foudres pontificales, en vertu d’une bulle qui les autorisait à « détruire, arracher et planter tout ce qui était nécessaire dans les pays infectés d’hérésie. »

Ces dictateurs commencèrent par suspendre tous les évêques modérés, dont la tiédeur eût pu ralentir leur marche impitoyable. L’opiniâtreté de l’hérésie résista encore a leurs efforts. Obligés de cacher leurs croyances et leurs réunions, les Albigeois en confiaient le mystère aux ténèbres de la nuit. Pierre de Castelnau se décourageait lui-même, lorsqu’il rencontra l’évêque d’Osma qui voyageait en France avec un de ses chanoines nommé Dominique. « Renoncez, lui dit l’évêque, à ces somptueux appareils, à ces chevaux caparaçonnés, à ces riches vêtements ; fermez la bouche aux méchants en faisant et enseignant comme le divin Maître, allant pieds nus et déchaux, sans or ni argent ; imitez la manière des apôtres. »

Mais le luxe était devenu tellement inséparable de la cour de Rome, que les légats n’osèrent point reprendre les simples habits de moine : ce serait, dirent-ils, une trop grande nouveauté ; ils ne pouvaient prendre cela sur eux. Ils se bornèrent à suivre l’évêque d’Osma et Dominique, qui se mirent à parcourir pieds nus les campagnes, soutenant des discussions solennelles contre les Albigeois. L’évêque mourut, Dominique resta seul.

C’est saint Dominique, le patron de l’Inquisition. Il avait la tendresse d’âme et les vertus d’un saint Vincent de Paul. Dans une famine, il vendit ses livres pour en donner l’argent aux pauvres ; une autre fois, il voulut se vendre lui-même pour racheter un captif. Mais il avait aussi la cruauté d’une logique inflexible qui lui faisait désirer, par amour des hommes, l’extermination des suppôts de l’enfer qui perdaient tant de milliers d’âmes.

Ce qu’il souhaitait avec la dernière ardeur, c’était le martyre, et le plus cruel de tous, afin de mériter une plus riche couronne. Qu’importaient à cet homme les outrages, la boue, les crachats, les bouchons de paille attachés par derrière à ses vêtements ? Il en remerciait le ciel. Ce n’était pourtant pas une preuve du succès de sa prédication ; aussi Castelnau retombait dans l’abattement, et répétait que l’affaire de Jésus-Christ ne réussirait pas dans ce pays jusqu’à ce que quelqu’un d’entre eux fût mort pour la défense, de la foi, et Dieu veuille, ajoutait-il, que je sois la première victime !

En 1207, il se rendit à la cour de Raymond VI, alors en guerre avec ses voisins, et le somma de faire la paix ; sur son refus, il lança une excommunication que le pape Innocent III confirma en termes accablants. Raymond céda sur un point, mais feignit de ne point entendre les injonctions du légat qui lui ordonnait de persécuter les hérétiques. La colère de Castelnau n’eut plus de bornes : il excommunia de nouveau Raymond, et l’accabla en face des injures les plus violentes. Le comte, à son tour, s’emporta, et répondit qu’il saurait bien le retrouver. Un de ses chevaliers recueillit cette parole, et Castelnau fut égorgé au moment où il s’embarquait sur le Rhône (1208).

L’épée du chevalier de Raymond VI déchira l’effroyable nuée des colères pontificales amoncelée depuis un demi-siècle sur le Languedoc. A la voix du pape Innocent III, à celle d’Arnaud, abbé de Liteaux, et des moines des nombreux couvents de cet ordre, tout le nord de la France se croisa ; ducs, comtes, évêques, chevaliers, brodèrent la croix sur leur poitrine (jusque-là elle se portait sur l’épaule ). Français, Normands, Champenois, Bourguignons, s’armaient avec joie pour aller combattre ces hommes du Midi, objet de leur aversion, cette gent empestée de Provence ; des Méridionaux catholiques les joignirent en grand nombre. Lyon était le rendez-vous de cette armée de 300 000 hommes. Arnaud-Amaury, abbé de Citeaux, homme de fer, et Milon, légat a latere, dirigeaient la croisade.

Le plan tracé par le pape était de ménager le comte, s’il ne paraissait pas empressé à secourir les hérétiques. Milon n’avait été nommé légat que pour donner le change a Raymond, qui s’était plaint de la raideur de l’abbé de Cîteaux.

La conduite indécise du comte de Toulouse favorisa les vues d’Innocent. Dans une assemblée réunie par lui à Aubenas (Vivarais), son neveu, Raymond-Roger Trencavel, vicomte de Béziers, Albi, Rasez, Carcassonne, lui conseillait valeureusement de convoquer tous ses amis, de mettre en défense toutes ses places fortes et de tenir tête à l’orage.

Effrayé d’un si grand danger, le comte répondit qu’il ne voulait pas se brouiller avec l’Église. II se rendit a Valence, où l’appelait le légat, et lui remit les clefs de sept de ses plus forts châteaux ; il se laissa ensuite conduire a Saint-Gilles. Là, en présence de vingt archevêques ou évêques, il fit amende honorable ; on lui mit au cou une étole, et le légat, le tirant par cette étole, l’introduisit dans l’église en le flagellant ; enfin la croix parut sur sa poitrine en signe qu’il allait prendre les armes contre ses propres sujets.

L’armée s’ébranla, passa par Montpellier, fondit sur Béziers, dont nous raconterons ailleurs la catastrophe. L’esprit de cette guerre se résume dans ce mot, qui, malheureusement, appartient bien à l’histoire d’Arnaud-Amaury : « Tuez-les tous, Dieu saura bien distinguer les siens. » - « Brûlez-les tous deux, disait de même Simon de Montfort ; si celui-ci parle de bonne foi, le feu lui servira pour l’expiation de ses péchés ; s’il ment, il portera la peine de son imposture. »

Après Béziers, ce fut le tour de Carcassonne, où fut pris traîtreusement le vicomte Raymond-Roger, qui mourut en prison peu de temps après, de dysenterie, dit-on. Il laissait un fils en bas âge, Raymond Trencavel II, né en 1207.

Le bel héritage des quatre vicomtés que cet enfant semblait destiné a recueillir lui fut enlevé, et le légat l’offrit successivement au duc de Bourgogne, aux comtes de Nevers et de Saint-Pol, qui tous le refusèrent. « Le légat, fort malcontent et embarrassé, offrit en dernier lieu la seigneurie à Simon, comte de Montfort, lequel la désirait et la prit. » Pour intéresser l’Église à lui conserver ces nouveaux domaines, Simon ordonna qu’un cens de trois deniers, par feu ou par maison, serait levé au profit de la cour de Rome, sans compter une redevance annuelle dont il fixa la somme.

Le chef des croisés n’occupait encore que Castres dans l’Albigeois ; il s’y rendit en personne, s’empara de Lombers, où cinquante chevaliers avaient formé un complot pour s’emparer de sa personne ; il entra dans Albi, dont l’évêque lui ouvrit les portes. Une révolte, excitée par le roi d’Aragon, ne tarda pas à le chasser de presque toutes ces places ; mais il y rentra bientôt l’épée à la main ; une bulle du pape le confirma dans la possession d’Albi (1210).

L’Albigeois était le chemin de Toulouse. Le comte voyait avec terreur approcher les croisés. Il courut à Paris et de Paris à Rome. Philippe-Auguste, qui approuvait peu la croisade et qui en avait refusé le commandement sous prétexte « qu’il avait à ses côtés deux grands lions menaçants, le roi d’Angleterre et l’empereur d’Allemagne, » lui donna une lettre pour le pape. Innocent se montra bien disposé en sa faveur.

Mais les légats, plus zélés que le pape, l’évêque de Toulouse, Fouquet, troubadour transfuge, l’abbé de Cîteaux, Simon de Montfort, ne voulaient point se laisser arracher leur proie. Le concile d’Arles (1211) dicta au comte. des lois de fer. Raymond et le roi d’Aragon, Pierre II, qui intercédait en sa faveur, attendirent longtemps à la porte du concile, en plein air, « au froid et au vent. » Enfin on leur remit la charte qui contenait des conditions inacceptables.

Cette charte fut utile à Raymond ; il la montra partout, et ses sujets, chevaliers ou bourgeois, jurèrent de périr plutôt que d’accepter un tel esclavage. L’évêque Fouquet fut chassé de Toulouse ; défense faite aux habitants de donner des vivres aux croisés. Montfort, qui venait de prendre Lavaur, échoua devant la capitale du Languedoc.

La campagne fut tenue habilement et avec succès pendant l’hiver par les capitaines albigeois, particulièrement le comte de Foix. Montfort n’avait que peu de troupes dans cette saison ; la plupart des croisés ne donnant que le service de quarante jours, « le flot de la croisade tarissait vers L’automne pour ne revenir qu’au printemps. » (H. Martin.) II s’occupait de régler la conquête, de distribuer des fiefs aux hommes de la langue d’oil. Les moines se pourvoyaient de leur côté ; l’abbé de Cîteaux était élu évêque de Narbonne, et accolait à ce titre celui de duc ; l’abbé de Vaux-de-Cernai devenait évêque de Carcassonne.

Pierre II d’Aragon, libre du côté de l’Espagne par la bataille de Las Navas de Tolosa, intervint plus énergiquement. Raymond, qui était son beau-frère, remit entre ses mains « ses terres, son fils et sa femme. » Les représentations de Pierre émurent un instant le pape, qui suspendit la prédication de la croisade Hais, à l’instigation des chefs croisés, Innocent III revint sur ses dispositions indulgentes et exhorta Pierre à abandonner « le toulousain. »

Pierre n’en fit rien, et, le 10 septembre 1213, il assiégeait Muret. La grande bataille qu’il livra devant cette place, et qui lui coûta la vie, fut le coup fatal des Albigeois. Toulouse prise fut démantelée. Simon de Montfort fut institué « prince et monarque du pays » par les canons du concile de Montpellier, confirmés par le pape. Le quatrième concile de Latran, solennelle assemblée de 71 archevêques, 412 évêques et plus de 800 abbés et prieurs (1215), renouvela sa réfutation des doctrines hétérodoxes, le symbole de Nicée, et prescrivit des mesures qui, dans le Languedoc, devaient prévenir le retour de l’hérésie.

Le concile ratifia la fondation de deux ordres religieux nouveaux, spécialement établis en vue de l’hérésie albigeoise. « L’Église avait été ébranlée par la prédication hétérodoxe ; Dominique entreprit de la soutenir par la création d’un ordre exclusivement destiné à prêcher la foi catholique, et, sous les auspices de l’évêque Fouquet, il jeta les fondements de l’ordre des Prêcheurs dans Toulouse même, la métropole de l’hérésie. L’Église avait été attaquée au nom de l’inspiration mystique et du renoncement évangélique, François d’Assise transporta le mysticisme et la réalisation littérale de la pauvreté et de l’humilité chrétienne dans le sein de l’Église ; il fonda un ordre de moines qui renonçaient absolument, non plus seulement à la propriété individuelle, ainsi que les autres moines, mais a la propriété collective, et faisaient vœu de ne vivre que d’aumônes. »

C’est en vain que, du sein même de l’assemblée catholique, quelques voix courageuses protestèrent contre les effets désastreux de la croisade, qu’un chevalier ajourna le pape au jour du jugement s’il ne rendait pas au fils du vicomte de Béziers et d’Albi son héritage, que l’archidiacre de Lyon lui-même s’écria, montrant Fouquet : « Cet évêque fait vivre dans le deuil plus de cinq cent mille hommes, dont l’âme pleure et dont le corps saigne ! »

Innocent III, disposé à s’attendrir, ne put réserver au fils de Raymond VI que le marquisat de Provence, « s’il s’en rendait digne. » Tout le reste fut donné à Simon de Montfort, qui alla demander au roi Philippe-Auguste l’investiture du comté de Toulouse et du duché de Narbonne (1216), et qui se vit accueilli partout dans les campagnes de la langue d’oil à ce cri : « Béni soit celui qui. vient au nom du Seigneur ! ».

Les peuples de la langue d’oc pleuraient leur brillante et gracieuse civilisation broyée sous le fer des masses d’armes et jetée au feu des bûchers. « Ah ! s’écrie un troubadour, Toulouse et Provence, terre d’Agen, Béziers et Carcassonne, quelles je vous vis, et quelles je vous vois ! »

La mort d’Innocent IIII (1216) et celle de Simon de Montfort (1218) mirent fin à la première période de la guerre des Albigeois. Amaury, fils de Simon, confirmé dans la possession des conquêtes paternelles par le pape Honorius III, entra dans Albi. De son côté, Raymond VI entra dans l’Albigeois, qui devint le théâtre de la lutte. Raymond VII, lui ayant succédé (1222), enleva Albi à son rival, qui était dans le même temps attaqué d’un autre côté par Raymond Trencavel II, héritier des quatre vicomtés (1224). Amaury s’enfuit en France. L’hérésie releva la tête.

En 1222, Amaury avait offert à Philippe-Auguste ta cession de tous ses droits sur le comté de Toulouse. Ce monarque les avait refusés, et avait seulement autorisé son fils Louis à prendre part à la croisade. Devenu roi, Louis VIII reprit la croix et accepta l’offre d’Amaury ; puis avec 100 000 hommes il assiégea Avignon.

Le Languedoc, pendant ce temps, se soumettait à lui ; il parut à Albi et y séjourna quelque temps ; il reçut le serment de fidélité des habitants par l’intermédiaire de l’évêque, et c’est dans cette ville qu’il régla le sort des pays acquis par lui à la couronne ; il en confia le gouvernement a Humbert de Beaujeu, qui, bientôt abandonné à lui-même, déploya beaucoup d’énergie et d’habileté à poursuivre la guerre contre les hérétiques et contre Raymond VII.

Enfin le comte de Toulouse céda. En 1229, il reçut l’absolution de la main du cardinal légat dans l’église de Notre-Dame de Paris. Il s’engageait a démanteler trente une places fortes de ses États, entre autres, dans l’Albigeois, Lavaur, Gaillac, Rabastens, Montaigu, Puicelci ; les châteaux de Cordes et de Penne étaient remis à Louis IX pendant dix ans. La partie de l’Albigeois située sur la rive gauche du Tarn était réunie, avec Albi, au domaine royal ; la rive droite demeurait au comte. Castres fut inféodé a Philippe, neveu de Simon de Montfort.

Les deux parties de l’Albigeois eurent chacune un sénéchal, l’une pour le roi, l’autre pour le comte. Celle-ci était divisée en sept bailliages. La vaine tentative faite plus tard par Raymond VII, avec le secours de Henri III, roi d’Angleterre, et du comte de la Marche ayant échoué, Raymond Trencavel II, l’héritier dépouillé des quatre vicomtés, vendit tous ses droits a Louis IX, moyennant une pension de 600 livres sur la sénéchaussée de Beaucaire (1247).

Le siècle ne s’écoula pas sans que l’Albigeois de la rive droite du Tarn fût réuni à la couronne. Jeanne, fille de Raymond VII, et son mari, Alphonse, comte de Poitiers et de Toulouse, en héritèrent à la mort de Raymond, et quand ils moururent à leur tour, ce pays fut réuni par les commissaires de Philippe le Hardi au domaine royal (1271).

La soumission du comte de Toulouse consomma la défaite de l’hérésie. Lui-même était obligé de se tourner contre elle, et s’engageait, par le traité de 1229, à payer pendant deux ans deux marcs d’argent, et, dans la suite, un marc à quiconque livrerait un hérétique, à confisquer les biens des sectaires, à les exclure des charges publiques, comme les juifs. II ordonna même de raser les maisons des protecteurs et fauteurs des hérétiques.

Saint Louis envoya a ses baillis une ordonnance dans le même sens, et le concile de Toulouse organisa l’inquisition permanente en établissant que les évêques « députeraient dans chaque paroisse un prêtre et deux ou trois laïques de bonne réputation, » qui visiteraient « toutes les maisons depuis le grenier jusqu’à la cave. » L’obligation de dénoncer commençait à quatorze ans pour les hommes, à douze ans pour les femmes ; on devait alors prêter un serment.

Les hérétiques convertis devaient porter sur la poitrine deux croix de couleurs tranchantes. Le concile de Narbonne (1244) obligea les hérétiques en voie de conversion a se présenter tous les dimanches a l’église, le corps en partie nu, avec une poignée de verges pour recevoir la discipline. Le comte de Béziers (1246) établit la peine du feu pour tous les partisans qui refuseraient d’abjurer. Le concile d’Albi (1254) ordonna la construction de prisons dans chaque diocèse pour recevoir les hérétiques.

Le pape Grégoire IX, en 1233, prétendit donner plus de rigueur encore à l’Inquisition en attribuant aux frères prêcheurs des pouvoirs absolus, supérieurs même à ceux des évêques. Les protestations de Raymond VII, de Louis IX, du haut clergé de France ne l’arrêtèrent pas. Raymond fut de nouveau excommunié ; mais toutes les populations étaient pour lui, et en plusieurs lieux maltraitèrent les inquisiteurs dominicains.

Ceux-ci n’en continuèrent pas moins leur sanglante mission jusqu’au règne de Philippe le Bel, qui d’abord envoya des commissaires (1302), puis vint lui-même (1304) dans le Languedoc pour faire cesser la tyrannie des dominicains. Un édit rendu par lui à Toulouse ordonna que les commissaires royaux visiteraient avec les inquisiteurs les prisons de l’Inquisition et veilleraient à ce qu’elles servissent « pour la garde et non pour la peine des prisonniers ; » que les évêques ou leurs vicaires instruiraient le procès des accusés sur le sort desquels il n’aurait pas été statué. Un peu plus tard, un décret du concile de Vienne, confirmé par Clément V, défendait aux inquisiteurs de procéder contre les hérétiques « sans le concert des évêques diocésains. »

Alors seulement, après un siècle de souffrances terribles, le Languedoc respira et le châtiment de l’hérésie albigeoise fut arrêté. Chose singulière, ruinée en Languedoc, elle s’était réfugiée et se relevait dans les pays étrangers, principalement en Lombardie . c’est de là qu’on vit dès lors partir souvent deux à deux, suivant la règle, des ministres parfaits, qui allaient à leur tour, à travers mille dangers, vêtus de bure, vivant d’aumônes, exhorter les habitants du Languedoc à leur rester fidèles.

L’histoire de l’Albigeois sera courte à achever après que nous avons terminé celle de l’hérésie albigeoise. Ce pays souffrit des guerres des Anglais et plus encore des ravages des routiers, quoiqu’il n’ait jamais été un des principaux théâtres de ces grandes luttes nationales.

Il fut agité au temps des guerres de religion comme toutes les contrées de la France. Les hérétiques y furent durement traités, et pourtant, en 1569, ils y possédaient trente-huit villes, bourgs ou villages, dont Gaillac, Lombers et Réalmont. L’année suivante, le fléau de la guerre cessant, celui de la famine commença avec accompagnement de fièvres pestilentielles, qui sévirent cruellement dans les pays d’Albi et de Castres.

Après la mort de Henri III, la Ligue établit son influence dans l’Albigeois. L’évêque d’Albi, d’Elbène, dont elle se méfiait, fut dépouillé de ses biens, et, en 1592, Antoine-Scipion de Joyeuse, maréchal de France de la création de Mayenne, battit les royalistes près de Montets ; ceux-ci eurent leur revanche à Vilennet, où ils enlevèrent le camp de Joyeuse, et ce malheureux maréchal alla en fuyant se noyer dans le Tarn. Son frère, Henri de Joyeuse, prit sa place dans le commandement et convoqua des états à Albi pour obtenir des subsides. Albi et Gaillac étaient les seules villes qui restaient à la Ligue. La paix de Folembray (1596) replaça tout le pays sous l’autorité royale.

Sous Louis XIII, la révolte du duc de Rohan et des protestants donna lieu à des événements militaires dans l’Albigeois. Lombers, Réalmont furent assiégées. Mais les protestants furent battus par le duc d’Angoulême, qu’accompagnait Alphonse d’Elbène, évêque d’Albi. Ce même évêque changea de rôle plus tard, et, moins fidèle à la cause royale, fut un des instigateurs de la révolte du duc d’Orléans, et jeta Albi et son diocèse dans le parti des rebelles. Les capucins et les jésuites d’Albi tournèrent contre lui les populations, et, quand la révolte fut apaisée, une commission ecclésiastique, nommée en vertu d’un bref d’Urbain VIII, le déposa (1634).

Depuis ce temps, on peut dire que les événements politiques n’ont que peu troublé le repos de l’Albigeois. La Révolution n’y commit que peu de violences. L’affaire de Fualdès, après la chute du premier Empire, fut la seule qui y réveilla les émotions endormies.

En 1790, l’Assemblée constituante avait réuni en un département les diocèses de Lavaur et de Castres ; cette dernière ville avait été choisie pour chef-lieu ; elle fut privée de ce titre par le Directoire, qui, pour la punir de quelques mouvements séditieux, le transféra à Albi. Le Concordat (1802) supprima le siège archiépiscopal d’Albi, érigé sous Louis XIV (1676) aux dépens de l’archevêché de Bourges, et comprit tout l’Albigeois dans le diocèse de Montpellier ; mais, sous la Restauration, ce siège fut rétabli, avec les évêchés de Cahors, Rodez, Perpignan et Mende pour suffragants.

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