LA FRANCE PITTORESQUE
Histoire du département de la Sarthe
(Région Pays de la Loire)
Publié le samedi 30 janvier 2010, par LA RÉDACTION
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Les Aulerces Cénomans (Aulerci Cenomani) occupaient, avant la domination romaine, le territoire du département de la Sarthe. Ils sont comptés par Tite-Live au nombre des peuplades gauloises qui, sous la conduite de Bellovèse, envahirent l’Italie et s’établirent dans le nord de la péninsule. Ils furent soumis par Crassus, l’un des lieutenants de César, à l’époque de la conquête des Gaules. Plus tard, ils prirent une part énergique à l’insurrection gauloise, dont Vercingétorix fut le chef et le martyr.

Le pays, soumis à la domination romaine sous les Césars, s’en affranchit, et vécut d’une existence indépendante avec tout le reste des nations occidentales de la Gaule, jusqu’au milieu du Ve siècle, où il subit la domination d’un chef franc, Régnomer. Le christianisme, prêché dans le pays par saint Julien, y avait depuis longtemps fait de nombreux prosélytes, et, pendant les premiers siècles de notre histoire, la plus grande autorité du pays fut celle des évêques du Mans, dont plusieurs se signalèrent par leur charité, leurs lumières et leurs fondations pieuses.

Leur influence bienfaisante répara un peu les malheurs que l’anarchie sanglante de cette époque fit peser sur le Maine, comme sur le reste de notre pays. Après avoir joui d’un moment de calme sous Charlemagne, qui traversa la contrée en se rendant en Espagne, le Maine, dont la capitale était devenue une ville importante, excita la convoitise des divers successeurs de Charlemagne, et fut enfin envahi par le duc de Normandie, Guillaume le Conquérant. « Quelques années avant sa descente en Angleterre, dit Augustin Thierry, Guillaume fut reconnu pour suzerain du Maine par Herbert, comte de ce pays, grand ennemi de la puissance angevine, et à qui ses excursions nocturnes dans les bourgs de l’Anjou avaient fait donner le nom bizarre et énergique d’Éveille-Chien.

« Comme vassaux du duc de Normandie, les Manceaux lui fournirent de bonne grâce leur contingent de chevaliers et d’archers ; mais, quand ils le virent occupé des soins et des embarras de la conquête, ils songèrent à s’affranchir de la domination normande. Nobles, gens de guerre, bourgeois, toutes les classes de la population concoururent à cette œuvre patriotique : les châteaux gardés par les soldats normands furent attaqués et pris l’un après l’autre ; Turgis de Tracy et Guillaume de La Ferté, qui commandaient la citadelle du Mans, rendirent cette place, et sortirent du pays avec tous ceux de leurs compatriotes qui avaient échappé aux représailles et aux vengeances populaires. Le mouvement imprimé aux esprits par cette insurrection ne s’arrêta pas lorsque le Maine eut été rendu à ses seigneurs nationaux, et l’on vit éclater dans la principale ville une révolution d’un autre genre. »

Cette révolution, dont nous parlerons plus en détail en nous occupant de la ville même qui en fut le théâtre, eut pour premier résultat la fondation d’une commune au Mans ; mais la querelle se prolongeant, Guillaume en profita pour envahir le pays. Ses soldats dévastèrent toute la contrée, et telle fut la terreur répandue partout par leurs excès, que les places fortes se hâtèrent de se soumettre, et les principaux citoyens du Mans apportèrent les clefs de leur ville au duc, qui campait sur les bords de la Sarthe. Ils lui prêtèrent serment, et Guillaume leur assura la conservation de leurs anciennes franchises ; mais il ne paraît pas qu’il ait maintenu l’établissement de la commune.

Les Manceaux, dont l’humeur libre et fière est constatée par les plus vieux historiens, se révoltèrent plusieurs fois sous les successeurs de Guillaume. Le comté du Maine fut réuni aux domaines du comte d’Anjou, appartint aux Plantagenets, qui, en arrivant au trône d’Angleterre, firent passer leurs comtés sous la domination anglaise.

Le Maine fut, sous Philippe-Auguste, réuni à la couronne de France, après l’assassinat commis par Jean sans Terre sur son neveu Arthur et la confiscation prononcée contre le meurtrier. A partir de ce moment, le Maine est plusieurs fois donné comme apanage à des princes du sang royal, et d’abord possédé par Charles d’Anjou, frère de saint Louis et roi de Naples. Il ne fait définitivement retour à la couronne que sous Louis XI, en 1481.

Pendant la guerre de Cent ans, le pays fut le théâtre d’une guerre acharnée. Le duc de Lancastre s’y était établi sous Charles V : celui-ci rappelle d’Espagne Bertrand Du Guesclin, qui taille en pièces les Anglais a quelques lieues du Mans, à Pontvallain, en 1370. Aidé d’Olivier de Clisson, il les défait encore en plusieurs rencontres.

En 1424, après la funeste bataille de Verneuil, le comte de Salisbury vient mettre le siège devant Le Mans, foudroie la ville avec son artillerie, usage nouveau alors de ces canons qui avaient un siècle auparavant contribué à notre défaite à Crécy : la ville se rend après vingt jours de résistance. La guerre continue cependant à ravager le pays ; Le Mans est repris par les Français, puis par Talbot, qui met à mort ceux des habitants qui se sont soulevés contre l’étranger.

Enfin, en 1443, les Anglais sortent du Maine pour n’y plus rentrer. Pendant cette longue lutte, un gentilhomme manceau, Ambroise de Loré, à qui il ne manqua qu’une scène plus éclatante pour obtenir plus de gloire, se rendit fameux dans le pays par sa bravoure et sa lutte opiniâtre contre les conquérants.

Le faible Henri VI, en épousant Marguerite d’Anjou, fille du roi René, avait restitué les comtés d’Anjou et du Maine à son beau-père, « dont les titres pompeux ne répondaient guère à la maigreur de la bourse, » dit Shakespeare. Il faut voir dans le Henri VI du grand poète, avec quelle amertume les seigneurs anglais reprochèrent cette concession à leur roi. « Par la mort de celui qui est mort pour tous, dit Salisbury, ces comtés étaient la clef de la Normandie. Pourquoi pleures-tu, Warwick, mon valeureux fils ? - Warwick. Je pleure de douleur en voyant ces pays perdus pour nous sans retour ; car, s’il restait quelque espoir de les recouvrer, mon épée verserait du sang, mes yeux ne verseraient point de larmes. L’Anjou, le Maine ! C’est moi qui ai conquis ces deux provinces, c’est ce bras qui les a domptées. Eh quoi ! ces villes dont la prise m’a coûté des blessures, faut-il que je les voie rendre avec des paroles de paix, mordieu ! - York. Périsse le duc de Suffolk, qui ternit l’honneur de cette île belliqueuse ! La France m’aurait arraché le cœur avant de me faire souscrire à un pareil traité." Henri VI tenta de ne pas exécuter ce traité fatal à sa puissance et a son honneur ; mais le roi de France ne tarda pas à lui reprendre ces deux provinces.

Le Maine fit retour à la couronne de France après la mort de son dernier comte, Charles, neveu de René d’Anjou, qui avait institué pour son héritier le roi Louis XI. Cette province, si éprouvée par la guerre étrangère, fut encore dévastée par la guerre civile que les passions religieuses y allumèrent au XVIe siècle.

Les premiers prédicateurs du calvinisme, dans le Maine, furent Henri Salvert, qui y vint de Tours en 1559, et Merlin, de La Rochelle, un des disciples de Théodore de Bèze. Les progrès de la nouvelle doctrine furent rapides : un an après, un consistoire était établi au Mans, et seize ministres étaient institués. Mamers devint bientôt l’un des plus ardents foyers du protestantisme dans cette contrée ; mais, la guerre ayant éclaté, les calvinistes s’emparèrent du Mans, qu’ils occupèrent pendant trois mois : les catholiques reprirent bientôt la ville, et y exercèrent d’atroces vengeances.

Ces cruautés rendirent plus tard inutile au Mans le massacre de la Saint-Barthélemy. L’édit de Nantes rétablit le calme dans ce pays, et un peu de tolérance à l’égard des réformés. Ils établirent au Mans un temple qui subsista jusqu’à la révocation de l’édit de Nantes : le lieu où il était bâti porte encore le nom de Chemin du Prêche.

Le pays resta tranquille jusqu’a la Révolution ; à cette époque, la population s’y prononça en général pour la cause des réformes. Elle envoya à la Convention les députés Sieyès, Levasseur, Letourneur, Phelippeaux.

Mais la contrée fut cruellement éprouvée par la guerre civile dont l’Ouest fut le théâtre. Les Vendéens entrèrent dans le Maine en décembre 1793 ; ils étaient commandés par La Rochejacquelein. Le Mans, dégarni de troupes, tenta de leur résister ; les gardes nationales défendirent bravement les approches de la ville ; mais il fallut céder au nombre, et les Vendéens s’emparèrent de la ville. Deux jours après, ils en étaient chassés après un combat sanglant par les généraux républicains Marceau et Westermann.

La pacification du département fut due aux efforts intelligents du général Hoche, et le pays commençait à respirer, quand la chouannerie y éclata. Les chouans, sous la conduite de M. de Bourmont, surprirent Le Mans pendant la nuit du 13 octobre 1799, et le gardèrent pendant trois jours. Du reste, cette guerre peu sérieuse fut bientôt terminée, grâce à l’activité du général Brune.

Le département qui avait envoyé au conseil des Cinq-Cents Carnot, Daunou, Chénier, Legendre, envoya, sous la Restauration, siéger à la chambre des députés le général La Fayette et Benjamin Constant.

Durant la guerre franco-allemande de 1870-1871, le département de la Sarthe fut occupé par les armées ennemies poursuivant la 2e armée de la Loire en retraite vers l’Ouest. Dans la notice historique que nous avons consacrée au département de Loir-et-Cher, nous avons raconté les débuts de cette retraite, après les combats de Marchenoir et de Fréteval, et la bataille de Vendôme. Nous reprendrons ici notre rapide récit.

Le 1er janvier 1871, le prince Frédéric-Charles reprenait l’offensive contre la 2e armée de la Loire ; le 6 janvier, quatre corps marchaient concentriquement vers l’Huisne ; le 7, les corps se concentraient : le grand-duc de Mecklembourg enlevait Nogent-le-Rotrou (Eure-et-Loir) et le centre garnissait la rive gauche de la Braye, de Sargé à Savigny (Loir-et-Cher). Le 8, le centre allemand arrivait à Saint-Calais où s’établissait le prince Frédéric-Charles, et sa gauche gagnait le Loir à La Chartre, pendant que le grand-duc, faisant un nouveau pas en avant dans la vallée de l’Huisne, dépassait La Ferté-Bernard.

Le cercle se resserrait autour du Mans, où le général Chanzy s’était arrêté et où il se reconstituait en toute hâte. Le 9, Frédéric-Charles s’établit à Bouloire ; le Xe corps allemand, forcé de combattre à Chahaignes, ne peut dépasser le village de Brives, tandis que le corps français du général Jouffroy arrête l’ennemi a Vancé et que le général Jaurès ne cède que pied à pied au XIIIe corps, qui peut pourtant gagner Connerré-Thorigné.

Le 10, l’ennemi rencontre à Saint-Mars, à Champagné, à Changé-Parigné, une résistance vigoureuse et s’arrête à 4 kilomètres du Mans. « Le plateau d’Aujour, dit un historien, fut même repris par un héroïque retour offensif des zouaves pontificaux du 17e corps conduit par le général Goujard, et la XVIIIe division allemande fut repoussée à Montfort dans une tentative pour franchir l’Huisne a Pont-de-Gennes. »

Mais le 11, les mobilisés de Bretagne, mal armés, mal approvisionnés, abandonnèrent le poste, si important de La Tuilerie, ce qui décida la retraite. Le 12, le XIIIe corps allemand fut encore arrêté à La Croix par le général Jaurès ; toutefois le Xe corps occupa Le Mans. Le brouillard du matin avait favorisé la retraite de notre malheureuse armée ; mais elle laissait aux mains de l’ennemi, après sept jours de combats, 18 000 prisonniers et 20 canons. La poursuite continua jusqu’a Laval. Les Français s’établirent solidement derrière la Mayenne, et, quand l’armistice arriva, le général Chanzy avait réussi à réorganiser en partie cette 2e armée de la Loire qui restait debout après six semaines de combats incessants résolue à continuer la lutte.

Pour terminer, nous allons donner le nom des localités de la Sarthe successivement occupées par les troupes du prince Frédéric-Charles venant de Vendôme et par celles du grand-duc. Ce sont : Saint-Calais, Bouloire, Arthenay, Champagné, Le Mans, Neuville-sur-Sarthe, Conlie, Sillé-le-Guillaume, Saint-Georges, Le Grand-Lucé, Parigné l’Évêque, Changé, Pontlieue, Chassillé, Saint-Denisd’Orgnes, Château-du-Loir, La Chartre-sur-le-Loir, Écommoy, La Flèche, Sablé, et par les corps venant de Chartres La Ferté-Bernard, Sceaux, Connerré et Montfort.

Les pertes éprouvées par le département de la Sarthe durant cette lugubre invasion sont considérables ; elles se montent à 17 026 660 francs 72 centimes.

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