LA FRANCE PITTORESQUE
Histoire du département de la Charente
(Région Poitou-Charentes)
Publié le jeudi 28 janvier 2010, par LA RÉDACTION
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On croit que la contrée dont se compose le département de la Charente fut habitée originairement par les Agesinates, tribu de la grande confédération des Santones. Ils firent sans doute partie de l’antique expédition des Celtes en Italie et durent contribuer aussi à la fondation de Mediolanum, Milan. Toutefois, malgré plusieurs dolmens encore debout dans le pays, il n’y a rien de bien certain ni de bien authentique dans les faits antérieurs à la conquête romaine.

A dater de cette époque, les documents se présentent plus clairs et plus précis. Jules César et ses successeurs firent d’inutiles efforts pour conquérir l’affection des Santones vaincus ; c’est en vain que leur territoire fut préservé par les armes romaines d’une double invasion des Helvètes et des Teutons ; c’est en vain que les villes furent embellies, les arts encouragés, le commerce protégé, la circulation facilitée par la création de routes nouvelles ; rien ne put désarmer les rancunes obstinées de l’esprit national. Sans parler de plusieurs séditions locales, les Santones, qui avaient fourni un contingent de 12 000 hommes à Vercingétorix ne se laissèrent pas décourager par leurs constantes défaites ; on les vit encore sous Auguste livrer à Messala Corvinus une sanglante bataille non loin de l’Océan. Pour chercher à déraciner cette nationalité tenace, la politique des empereurs eut recours à son moyen habituel : elle changea les divisions territoriales ; de la Celtique Lyonnaise, le pays des Santones passa dans la seconde Aquitaine. La trêve fut de courte durée ; un siècle à peine s’écoula entre l’apaisement des révoltes du peuple conquis et les premières apparitions des barbares, ses nouveaux maîtres.

Dès les commencements du IVe siècle, les pirates saxons apparaissent sur les rivages de la mer et à l’embouchure des rivières ; les Francs, dont l’heure, n’est pas encore venue, menacent déjà le Nord ; les Wisigoths disputent aux Romains les régions occidentales et méridionales, dont ils finissent par rester maÎtres. C’est au milieu de ces symptômes de dissolution et de transformation que le christianisme pénètre et s’implante dans le pays. Il dut trouver les cœurs des Agésinates disposés à la foi nouvelle, puisque l’Angoumois, qui avait eu pour premier apôtre saint Martial, et pour premier évêque saint Ausone, qu’il ne faut pas confondre avec le poète, possédait, en 379, un siège épiscopal occupé alors, selon Grégoire de Tours, par Dynamius.

On sait quels ravages les doctrines d’Arius, encouragées par les princes wisigoths, exerçaient dans leurs possessions ; les évêques se liguèrent avec les chefs francs, qui étaient restés orthodoxes. Clovis exploita habilement l’alliance qui lui était offerte. Le succès de ses armes et l’éclatante victoire de Vouillé couronnèrent l’œuvre préparée par sa politique, et l’Aquitaine, dont notre province faisait partie, fut incorporée dans le nouvel empire franc. L’existence de l’Angoumois, comme province distincte, est constatée à cette époque par la création de comtes qui y représentaient le pouvoir dit roi et par l’acte de partage qui suivit la mort de Clotaire. L’Angoumois entrait dans l’héritage de Sigebert, roi de Metz, tandis que la Saintonge et l’Aunis étaient affectés à Caribert, roi de Paris.

L’Angoumois fut mêlé à toutes ces guerres ; mais le fanatisme, les traditions et l’intérêt, qui poussèrent si avant Toulouse et Bordeaux dans cette querelle, eurent moins d’action sur les habitants de la province qui nous occupe ; nous n’avons pas guerre aux Francs, disaient-ils, et, trop désireux peut-être de voir la paix rétablie, ou, du moins, trop peu scrupuleux sur les moyens d’y parvenir, ils mirent à mort le malheureux Waïfre, le dernier et intrépide descendant des ducs, qui, vaincu et fugitif, était venu chercher un asile auprès d’eux.

Malgré la garantie que semblait offrir cette attitude, il paraît que Charlemagne ne regardait pas comme sans danger le pouvoir provincial aux mains des hommes du pays ; il les remplaça tous par des seigneurs francs dans le voyage qu’il fit en Aquitaine pour y organiser sa dernière expédition d’Espagne, dans laquelle périt Roland. C’est à Angoulême qu’il rassembla son armée, et parmi ses plus illustres compagnons, l’histoire a conservé les noms des membres de trois familles de l’Angoumois, qui s’acquirent un grand renom de vaillance dans les guerres de cette époque ; c’étaient les Achard, les Tison et les Voisin.

Lors du partage de l’empire entre les fils de Louis le Débonnaire, Pépin, roi d’Aquitaine, institue, en 839, des comtes pour gouverner les provinces de son royaume ; il met à la tête de l’Angoumois un seigneur d’un rare mérite et d’une valeur éclatante, Turpion, qui devient la souche des comtes d’Angoulême, si puissants pendant une grande partie de la période féodale. Turpion, comme tous les fondateurs de dynastie à cette époque, établit sa réputation et son crédit par son zèle à défendre sa province contre les agressions étrangères et par ses exploits contre les Normands.

Pendant trois siècles, ses successeurs maintiennent et agrandissent, la puissance de leur maison ; guerroyant contre leurs voisins les comtes de Saintes et de La Marche, contre les seigneurs d’Archiac et de Bouteville ; étendant leurs domaines aux dépens des ducs d’Aquitaine, comme les seigneurs d’un rang plus élevé le faisaient. eux-mêmes aux dépens de la royauté ; expiant leurs méfaits trop criants, leurs usurpations trop flagrantes par quelques voyages en Palestine et couronnant enfin l’ambition traditionnelle de leur famille, par le mariage du comte Geoffroy, surnommé Taillefer, avec Pétronille d’Archiac et de Bouteville, la plus riche héritière de la Saintonge et de l’Angoumois, en 1148. La reconstitution sérieuse du duché d’Aquitaine par Guillaume Tête-d’Étoupe, comte de Poitiers, la réunion d’immenses domaines aux mains d’Éléonore, son héritière, l’union de cette princesse avec Louis VII le Jeune, son divorce, puis son second mariage avec Henri Plantagenêt, ouvrent une nouvelle phase de l’histoire de l’Angoumois.

Rien de plus confus, de plus variable que la politique des seigneurs de nos provinces occidentales pendant cette lutte longue et désastreuse de la France et de l’Angleterre, qui commence à Louis le Jeune et ne finit qu’à Charles VII ; les intérêts aquitains s’effacent, le sentiment de la nationalité française n’existe pas encore ; les princes anglais, par leurs alliances, par leur origine, par les traités, avaient des droits trop oublies par l’histoire, mais qui durent ne pas être sans valeur aux yeux des contemporains ; en outre, leur valeur dans les combats, le libéralisme de leur administration purent souvent faire illusion sur la légitimité de leurs prétentions. On comprend donc, sans pouvoir l’excuser absolument, que dans ce chaos, au milieu de toutes ces incertitudes, l’intérêt ait été le guide le plus habituel des barons aquitains. La difficulté de la situation rend d’autant plus méritoire la conduite des comtes d’Angoulême, qui, sauf quelques circonstances exceptionnelles, restèrent fidèles à la cause nationale.

En 1168 et 1175, Guillaume IV prit part à la lutte des grands vassaux ligués contre Henri II d’Angleterre. En 1194, Aymar Taillefer s’allie à Geoffroy de Rancon pour recommencer la guerre contre Richard Cœur de Lion, et, quelques années plus tard, il refuse à Jean sans Terre la main de sa fille et unique héritière, Isabelle, pour la marier à Hugues de Lusignan, comte de La Marche. Puis, lorsque le célèbre arrêt de confiscation est prononcé contre le monarque anglais, pour le punir d’avoir dépouillé son neveu, Arthur de Bretagne, Aymar, quoique déjà vieux, se met à la tète des seigneurs disposés à assister Philippe-Auguste dans l’exécution de la sentence.

Les descendants de cet ennemi acharné de l’Anglais furent moins belliqueux que leur ancêtre, mais ils semblent avoir hérité de ses sympathies pour la monarchie française. Le second mariage d’Isabelle avait réuni dans les mains des Lusignan les deux comtés de la Marche et de l’Angoumois. Hugues XIII, qui n’avait point d’enfants, engagea la Marche à Philippe le Bel, en 1 301, pour une somme d’argent considérable et assura au roi tant d’avantages par bon testament, qu’à sa mort le prince put écarter sans peine les prétentions des collatéraux et réunir à la couronne les deux provinces, en 1303.

Ce fut donc dans la personne de Hugues XIII et de Guy de Lusignan que s’éteignit la dynastie des comtes féodaux de l’Angoumois. Les princes qui, depuis, portèrent ce titre ne le possédèrent que comme apanage. C’est ainsi que Charles IV le Bel le conféra à sa nièce, Jeanne de Navarre, et que plus tard, de 1322 à 1496, nous en voyons successivement revêtus Charles d’Espagne, favori de Jean le Bon, le duc de Berry et le duc d’Orléans, frère et second fils de Charles V, puis Jean et Charles d’Orléans, héritiers du duc. Le retour de l’Angoumois au domaine royal ne l’avait pas mis à l’abri des chances de la guerre, qui continuait plus calamiteuse et plus acharnée ; l’épée de Du Guesclin avait bien maintenu pendant quelque temps la domination française dans nos provinces ; mais de cruels désastres avaient succédé à ces jours de gloire.

Pendant la captivité du roi Jean, l’Angoumois était tombé au pouvoir des Anglais ; le traité de Brétigny avait ratifié cette conquête ; Angoulême devint la capitale et le séjour habituel du Prince Noir Cette possession fut vivement disputée pendant le règne suivant. Mais c’est à Charles VII qu’appartient la gloire d’avoir enfin rendu l’Angoumois à la France.

Nous n’aurons plus à compter maintenant avec l’étranger ; ce sont des discordes civiles et les guerres de religion qui agiteront le pays. Elles, ne se firent malheureusement pas attendre ; à la révolte de Charles de Valois, que Louis XI, son frère, avait placé à la tête des gouvernements de la Guyenne, de l’Aunis et de la Saintonge, succède, sous Charles VIII, en 1487, la conjuration de Charles d’Orléans, comte d’Angoulême, contre lequel le roi fut obligé de marcher à la tête d’une armée, accompagné de sa soeur, Anne de Beaujeu. Le duc fit sa soumission : on lui pardonna. Il venait d’épouser Louise de Savoie, et de cette union naquit, au château de Cognac, en 1494, François, qui, avant de régner sous le nom de François Ier, porta comme son père le titre de comte d’Angoulême. C’est en considération de ce souvenir qu’en 1515 il érigea en duché-pairie le comté dont il avait été titulaire, et il en fit hommage à sa mère, qui fut la première duchesse d’Angoulême.

Les nombreux témoignages de bienveillance et d’affection que François Ier donna aux habitants de l’Angoumois, soit par l’amélioration de la navigation de la Charente, soit par l’établissement d’une université dans la capitale de la province, retardèrent ou rendirent inoffensifs les premiers progrès de la réforme religieuse ; il est même permis de supposer que la lutte eût été beaucoup moins acharnée et moins sanglante dans cette contrée, si les haines n’avaient eu leur principal aliment et la guerre son point de départ dans la malheureuse insurrection dite de la gabelle. Un impôt fort impopulaire, frappé dans les circonstances les plus défavorables, détermina un soulèvement presque général dans les campagnes.

La révolte trouva pour la diriger un gentilhomme d’une rare capacité, qui réunit sous ses ordres jusqu’à 50 000 hommes et fut pendant quelque temps maître de l’ancienne Aquitaine. C’était, sans doute, une immense calamité ; mais ce qui fut plus malheureux encore, ce fut de confier le soin de la répression à un homme aussi inflexible dans son caractère, aussi implacable dans sa sévérité que l’était le connétable de Montmorency. Il usa envers les insurgés vaincus de si terribles représailles ; il rendit si odieux le gouvernement au nom duquel il prétendait agir, que les populations se jetèrent avec une espèce de frénésie dans les voies d’opposition qui s’ouvrirent devant elles, et que le souvenir des atrocités dont le pays avait été le théâtre et la victime exerça une déplorable influence sur le caractère des habitants.

Le calvinisme, à dater de ce moment, prit des développements formidables ; la noblesse, jalouse de la fortune inouÏe de la maison de Lorraine, fournit des chefs à l’insurrection qui se préparait. La Renaudie, l’âme et le héros de la conjuration d’Amboise, était un gentilhomme de l’Angoumois ; les comtes de La Rochefoucauld, les barons de Duras furent des premiers à courir aux armes quand les religionnaires crurent venu le moment favorable de prendre l’offensive. C’est par la dévastation, le pillage, le meurtre et le sacrilège, que leurs premiers succès furent signalés ; on se vengeait du connétable ; les insurgés de la gabelle prenaient leur revanche.

Les catholiques s’abandonnaient aux mêmes excès quand ils étaient vainqueurs ; les trêves, les traités de paix ne servaient qu’à masquer de nouveau pièges et de nouvelles trahisons. L’état normal, c’était la guerre, et la guerre des grandes batailles, comme Jarnac et Moncontour, des sièges héroïques, comme ceux de Saint-Jean-d’Angely et de La Rochelle, des grands capitaines, comme Condé, Coligny, Rohan, d’Aubigné, d’Anjou, La Trémouille, Matignon et les Guises. Les massacres de la Saint-Barthélemy vinrent mettre le comble à l’exaspération, et lorsque l’épuisement des deux partis, la mort de leurs principaux chefs, la politique conciliatrice de Henri IV, l’administration paternelle et éclairée de Sully ont partout ailleurs ramené le calme dans les esprits, le poignard d’un Angoumoisin, de Ravaillac, vient attester l’invincible obstination des haines et du fanatisme de sa province.

C’est dans ces ferments de discorde toujours prêts à éclater, dans ces amas de rancunes toujours ardentes, que trouvèrent leur principal point d’appui et qu’établirent leur base d’opération les ambitions qui agitèrent les premières années du règne de Louis XIII. C’est l’Angoumois et la, Saintonge que soulèvent Rohan et Soubise, à la nouvelle de l’union projetée entre le roi et l’infante d’Autriche. C’est sur les bords de la Charente que se rencontrent le maréchal de Bois-Dauphin et le prince de Condé, commandants en chef des deux armées. Quatre ails plus tard, lors- que, dans un accès de dépit, Marie de Médicis quitte la cour, c’est à Angoulême qu’elle se réfugie, et c’est là que Richelieu vient négocier sa réconciliation avec son fils. La Fronde elle-même, enfin, si futile dans ses causes, inoffensive sur tant de points, d’une stérilité quasi ridicule presque partout, prend dans l’Angoumois les proportions d’une guerre sérieuse et aboutit à une sanglante bataille, perdue par le prince de Condé sous les murs de Cognac en 1651.

Des agitations si continuelles et si profondes avaient depuis longtemps paralysé l’essor du commerce dans l’Angoumois ; la révocation de l’édit de Nantes acheva de l’anéantir. Le règne pacifique de Louis XV, les commencements de celui de Louis XVI avaient été impuissants à réparer tant de maux. La révolution de 1789 fut accueillie dans l’Angoumois avec un enthousiasme universel et saluée comme l’aurore d’une ère réparatrice. Toutes les rivalités locales s’effacèrent, les dissentiments religieux eux-mêmes furent oubliés. Les orages mêmes qui survinrent bientôt ne découragèrent pas les espérances des habitants ; il existe plusieurs rapports des commissaires de la Convention, envoyés en mission dans le département de la Charente ils sont unanimes dans l’éloge qu’ils font de l’esprit patriotique des habitants.

Au temps des Romains, la confédération des Santones avait, comme nous l’avons dit, fourni 12 000 combattants à l’armé de Vercingétorix ; en 1793, le seul département de la Charente leva 10 000 hommes pour la défense de la République menacée. Depuis lors, le département n’a plus eu qu’un rôle passif dans les événements de l’histoire nationale.

L’amélioration de sa culture, le réveil de son commerce sont des bienfaits qu’elle doit à l’organisation moderne ; l’aspect général du pays s’est déjà notablement modifié. On sent qu’une vie nouvelle circule dans ce corps rajeuni ; l’application de la vapeur a transformé, agrandi les anciennes industries et en a créé de nouvelles. A côté des papeteries de l’Angoumois, renommées depuis si longtemps, s’élèvent de puissantes usines pour la distillerie et la fabrication du fer et de l’acier. Le nombre des filatures et des ateliers de tissage augmente de jour en jour ; le commerce, à son tour, par son activité, par l’abondance des capitaux, et grâce au perfectionnement des voies de communication et. des moyens de transport, étend d’année en année le rayon des débouchés de tous ces produits.

Ce progrès, tout sensible qu’il soit, n’est à nos yeux que le début d’une véritable renaissance. Les longues misères du passé avaient placé le département de la Charente dans une infériorité relative contre laquelle protestent et les ressources de son sol et le génie de ses habitants. Cette surexcitation que nous avons indiquée, cette marche accélérée vers les conquêtes de l’avenir, ne s’arrêtera que quand la Charente aura repris sa place parmi les plus avancés et les plus favorisés des départements de la France.

Le caractère des habitants se dépouille petit à petit de tout ce qui pourrait faire obstacle à la réalisation de nos espérances ; cette paresse contemplative, jointe à une grande instabilité dans les goûts et à un vif amour des plaisirs, ces tendances superstitieuses s’alliant à un scepticisme religieux, toutes ces inconséquences signalées par les vieux auteurs n’existent plus guère dans les villes, si elles se manifestent encore au fond de quelques campagnes ; partout on semble avoir conscience de l’avenir, et l’homme s’harmonise avec la nature qu’il embellit et qu’il féconde.

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