LA FRANCE PITTORESQUE
Pluie de sang, croix,
blé, sel, coton, cendres
(D’après « Recherches sur les phénomènes
météorologiques de la Lorraine » paru en 1885)
Publié le mercredi 27 janvier 2010, par LA RÉDACTION
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Les tourbillons et les trombes enlèvent des mousses, des feuilles, du foin, de la poussière, des particules fines du sol, voire même des gerbes qui, du côté de Lyon, ont été transportées jusqu’à trois kilomètres. Ces mouvements giratoires entraînent quelquefois les produits ainsi enlevés à une certaine distance, surtout quand ceux-ci sont ténus ; ils causent alors dans leur chute de singulières surprises aux populations.

Ainsi, à Gênes, en 1744, pendant une guerre civile, et en Transylvanie, en 1810, il tomba une pluie dont les gouttes étaient colorées en rouge et qu’on prit pour du sang. L’analyse révéla que la coloration n’était point un produit animal : à Gênes, c’était à des particules minérales microscopiques, c’est-à-dire à du sable rouge très fin ; en Transylvanie, à du pollen ou poussière végétale enlevée à des résineux. On a vu de même des neiges teintes en rouge par des causes analogues.

Pluie de sang à Lisbonne en 1551

Pluie de sang à Lisbonne en 1551

C’est à un ordre de choses sans doute tout différent qu’il faut rapporter le fait signalé par les Annales messines à la date de 1516 : « Quand ce vint à xawoultrer la vigne, beaucoup de gens, hommes et femmes, trouvoient leurs mains et leurs manches toutes dessaignées, non pas un peu si rouges que vray sang et ne savoient où dont ce venoit et en estoient plusieurs gens émerveillés dont il venoit ni précédoit et se cuidoient les aulcuns avoir coppés ».

Ces taches rouges prises pour du sang n’étaient-elles pas causées par le liquide rougeâtre que déposent certains papillons au moment où ils sortent de leur chrysalide ? En certaines années, le papillon dont la chenille affectionne l’ortie, éclôt, même en notre pays, en assez grande abondance pour que les plantes, les murs, les corniches même, se trouvent couverts de ce liquide rougeâtre. Celui-ci ne peut être tombé du ciel, puisque le revers des feuilles, les corniches s’en trouvent tachés. Pieresc observa en France une prétendue pluie de sang due à la présence, dans chacune des gouttes, d’une foule de petits insectes rouges qui volaient en ces temps-là en quantité dans l’atmosphère. Hildebrand, en 1711, remarqua aussi une pluie de couleur rouge due à la même cause.

On rapporte qu’à la suite d’un orage, on vit l’eau des citernes d’Allain, comme celle des flaques de la route, toute couverte d’une poudre jaune qu’on prit pour de la fleur de soufre. Ce phénomène, assez fréquent du reste, s’est produit au printemps de 1883, aux environs de Saumur, où les maraîchers virent, un matin, leurs légumes tout couverts d’une poussière jaune qui n’était autre chose que du pollen de fleurs de bouleaux, de pins ou de lycopodes, venant de loin. Nous avons signalé du sable fin colorant en rouge des gouttes d’eau, et ce sable lui-même tomber abondant ; il avait sans doute été enlevé des déserts. Mais sans sortir de la région, le Dr Simonin cite dans Résumé d’observations météorologiques une pluie de sable, en 1856, près de Varangéville, à la suite d’une trombe qui avait suivi quelque temps le cours de la Meurthe.

Pluie de croix en 1503

Pluie de croix en 1503

Le Dr Marchal, de Lorquin, a signalé, à la date du 4 août 1854, à Fraquelfing (arrondissement de Sarrebourg), une pluie de sel, à la suite d’un orage, pendant lequel on crut voir tomber des flocons de neige. Mais après la pluie, la substance blanche restée sur le sol ayant été examinée, fut trouvée cristallisée, croquant sous la dent et ayant la saveur bien connue du sel. Marchal crut pouvoir attribuer ce phénomène à une trombe qui aurait enlevé de l’eau de l’Océan, l’aurait ensuite vaporisée dans la partie supérieure de l’atmosphère et le sel marin libre se serait cristallisé, aurait été transporté au loin et serait venu tomber dans nos parages.

Un ouvrage imprimé dans la seconde moitié du XVIe siècle, le Promptuaire, entre les mains d’une famille de Germiny, signale en Thuringe, non loin d’Eskerberg, une pluie de blé ; il en tomba de l’épaisseur de deux doigts. Ce phénomène s’étant produit le 25 juin, on doit l’attribuer à une trombe qui aurait, comme celle de Froville, découvert une maison, une ferme, et enlevé le blé battu, comme dans ce dernier village il enleva le tas de foin. On a signalé en Espagne, dans la province de Léon, une pluie de pois, d’une variété inconnue ; on en recueillit, dit-on, neuf quintaux.

Ajoutons des pluies de coton, apparemment produites par le duvet de certains arbres chargés au printemps de gousses cotonneuses, telles que celles que l’on remarque sur quelques variétés de peupliers de nos routes. Les pluies de cendre ont une origine volcanique. Ces produits de certaines éruptions sont poussés avec force dans les régions supérieures de l’atmosphère et transportés au loin par les contre-alizés. On a vu ainsi des cendres entraînées à plus de deux cents lieues de distance et, en tombant, obscurcir l’air et couvrir le pont de certains navires d’une couche de plusieurs centimètres. Du reste, lors de l’éruption du Vésuve qui engloutit Herculanum et Pompéi, des cendres lancées par le volcan furent transportées par le courant boréal, ou de retour, jusqu’en Afrique.

Pour terminer cette énumération de pluies bizarres, citons un phénomène singulier relevé dans les Annales messines et que nous livrons à la sagacité des physiciens et des météorologistes. « En 1500 advinrent plusieurs aultres merveilles parmey le monde, entre lesquelles en aulcune partie des Allemaignes tomboient et cheoient du ciel aucunes licques en manière de croix, les unes perses, les aultres en coulleur rouge, et d’aultres estoient jaunes. Et furent frappés de cette mallaidie et pestilence nouvelle et estrainge plus à l’entour de la rivière du Rhin que aultre pairt ; car des incontinent que icelles tomboient dessus le corps d’antenne personne, fust homme ou femme, josne ou vieulx, tantost incontinent après ilz mouroient ; et si les dictes croix cheoient sur la robbe, elles l’avoient tantost percée jusques à la chair ».

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