LA FRANCE PITTORESQUE
Pierres (Culte des) en Bretagne
(D’après « Traditions et superstitions de la Haute-Bretagne »)
Publié le dimanche 24 janvier 2010, par LA RÉDACTION
Imprimer cet article

On a pu croire que le culte des pierres n’existait plus au XIXe siècle qu’en Basse-Bretagne ; mais cela tenait seulement à son caractère clandestin. Ainsi qu’on pourra le constater par ce qui suit, il en subsistait des vestiges notables, même en pays gallot.

A Roche-Marie, près de Saint-Aubin-du-Cormier, est une allée couverte où jadis les filles qui étaient amoureuses allaient se frotter ; elles avaient ensuite plus de chance pour se marier avec leurs amoureux. En Plouër, non loin du Pont-Hay, et près de la route de Plouër à Pleslin, se trouve la Roche de Lesmon ; elle est sur un tertre où se voient parmi les ronces d’autres rochers bruts en quartz blanc.

Menhir de Quiberon. Dessin de Desperet.

Menhir de Quiberon. Dessin de Desperet.

Les filles ont été de tout temps « s’érusser (se laisser glisser à cu nu » sur la plus haute pierre, qui est un énorme bloc de quartz blanc en forme de pyramide arrondie, d’où l’on a une vue superbe sur toute la vallée de la Rance. De là on aperçoit même le mont Saint-Michel. Cette roche est bien polie, surtout du côté où l’on s’érusse. On prétend que ce sont les filles de Plouër qui, en se laissant glisser, ont opéré le polissage. Maintenant encore, lorsqu’une fille veut savoir si elle se mariera dans l’année, elle se laisse « érusser à cu nu » et si elle arrive au bas sans s’écorcher, elle est assurée de trouver bientôt un mari.

La partie plane et inclinée d’une pierre dite le Faix du Diable, en Mellé, est usée par toutes les jeunes filles qui, de temps immémorial, sont venues s’y écrier (glisser dessus). Cela, dit-on, porte chance pour aider à se marier. La Roche Écriante (glissante), en la commune de Montault, est une masse unie et polie, inclinée de 45 à 50 degrés vers le sud-ouest, et qui, sur un parcours de 5 mètres environ, offre en trois endroits différents la trace évidente des sillons qu’y a creusés depuis bien des siècles l’innombrable quantité de personnes qui sont allées écrier. Une jeune fille songe-t-elle à se marier ? Elle va furtivement s’asseoir sur le sommet de la Pierre Écriante, puis, accroupie et se laissant emporter, elle s’abandonne à la pente, glissant rapidement jusqu’au bas. Elle dépose ensuite sur la pierre un petit morceau d’étoffe ou de ruban, puis se retire le coeur content, mais craignant bien d’être aperçue, car la pierre seule doit savoir le secret de son coeur, et l’année ne s’écoulera point avant que les cierges de la paroisse ne s’allument pour son mariage.

A Saint-Georges-de-Reintembault, dans le bois Mignot, on voit une pierre énorme formant un plan incliné de 6 mètres de long, et connue sous le nom de Roche Écriante. Les jeunes filles vont se laisser glisser sur cette pierre de granit, qui en est usée par ce long frottement. On a dès lors une chance heureuse pour se marier vite. A la Tiemblaye, en Saint-Samson, près de Dinan, est un des plus beaux menhirs du pays ; on prétend dans le voisinage que si on peut grimper en haut, on se marie dans l’année.

Un dolmen

Un dolmen

M. de Montbret, membre de l’Institut, ayant visité en 1820 un dolmen près de Guérande, trouva dans les fentes de cette pierre des flocons de laine de couleur rose liés avec du clinquant. On lui dit dans le pays que ces objets avaient été confiés à la pierre par des jeunes filles, dans l’espoir d’obtenir la faveur d’être mariées dans l’année, et que ces dépôts se faisaient toujours en cachette des curés. De là aussi vient par survivance l’usage qui existe en quelques pays de se frotter aux statues des saints qui ont hérité de certaines attributions des monuments préhistoriques. Ainsi, des femmes allaient se frotter à certains saints en pierre ou en bois, placés dans la campagne ; mais on ne l’a jamais ouï dire pour les monuments mégalithiques.

En pays gallot existe la coutume de faire marcher les enfants sur la tombe de personnages bienheureux. A Saint-Caradec, les mères viennent exercer leurs enfants à marcher sur la tombe de Guillaume Coquil, recteur, mort en odeur de sainteté en 1749. La même coutume existe en pays bretonnant à Lanloup, où l’on fait marcher les jeunes enfants sur le tombeau de Mélar ou Méloir ; à Tressigneaux, près de Lanvollon, et en nombre d’autres lieux. A Pluzunet, les mères de familles qui ont des enfants faibles vont les rouler dans le lit de saint Idunet (c’est une pierre, vraisemblablement naturelle, dont le dessus est légèrement creusé) et les y fouetter avec un balai de genêt dont elles se servent ensuite pour balayer la pierre. Elles sont convaincues que les enfants ainsi traités prennent de la force pour marcher seuls.


Une visite au reliquaire. Dessin de
Jules-Achille Noël, paru en 1844

On voit sur les hauteurs, près du village de la Retaudière, commune de Combourtillé, un bloc de grès assez considérable auquel se rattache une croyance bizarre qui doit être fort ancienne. Les maris malheureux y vont, dit-on, la nuit, payer un certain tribut. Cette singulière légende a sans doute été inventée afin de tourner en dérision ceux qui pratiquaient jadis un culte nocturne à cette espèce de pierre. Une modeste croix est placée auprès.

De toutes les superstitions qui se rattachent aux mégalithes, celles des pierres à tonnerre, ou roches de tonnerre, est la mieux conservée, bien qu’elle ait une tendance à s’effacer. Sous le nom de pierres à tonnerre on comprend en pays gallot les haches ou les couteaux polis de main d’homme, et aussi certains cailloux ronds ou oblongs qu’on trouve dans les champs, et que les paysans croient être tombés du ciel au moment des orages.

La Roche-aux-Fées, en Ille-et-Vilaine. Dessin de H. Catenacci.

La Roche-aux-Fées, en Ille-et-Vilaine.
Dessin de H. Catenacci.

Avec les toutes petites pierres à tonnerre, on fait des colliers qu’on suspend au cou des enfants ; cela les préserve des maladies de l’enfance, et en particulier de la râche et du mal d’yeux. Ce collier porte le nom de chapelet de saint François. Mais la propriété la plus reconnue de ces pierres est, ainsi que leur nom l’indique, de préserver de la foudre. Cette superstition se retrouve à peu près dans le monde entier. En mettant dans son chapeau ou dans sa poche des pierres de tonnerre, on n’a rien à craindre pendant les orages. Les pierres à tonnerre ne peuvent s’entre-souffrir, et celle qui se trouverait dans le nuage tomberait à côté.

Jadis, il y avait beaucoup de gens qui mettaient des pierres à tonnerre dans leurs poches quand le temps était à l’orage ; et s’il tonnait, ils récitaient une oraison en l’honneur de la pierre. En voici une qui parfois se dit encore :

Pierre, pierre,
Garde-moi du tonnerre.

Ailleurs, voici ce qu’on dit :

Sainte Barbe, sainte Fleur,
A la croix de mon Sauveur,
Quand le tonnerre grondera,
Sainte Barbe me gardera ;
Par la vertu de cette pierre,
Que je sois gardé du tonnerre.

Cette prière, qui tombe en désuétude, présente deux faits assez curieux : sainte Fleur, c’est vraisemblablement l’épine blanche, qui passe pour préserver du tonnerre, et qui peu à peu sera devenue une sainte. La fin, qui se récite en ayant sur soi une pierre à tonnerre, montre une superstition préhistorique soudée à une prière catholique.

Dinan. Vieille rue avec arcades, en 1832.

Dinan. Vieille rue
avec arcades, en 1832.

On met des pierres à tonnerre sur les fenêtres des maisons ou dans un trou du mur, pour préserver les habitants du tonnerre. Jadis on plaçait des pierres à tonnerre dans les fondations des maisons et même des églises ; c’était pour préserver ces édifices du tonnerre. En démolissant l’église de Trévron, près de Dinan, on trouva une hache en diorite. Dans les murs de l’ancienne école mutuelle, qui datait du XVIIIe siècle, on trouva une pointe en quartzite non polie ; en 1880, en démolissant une maison, également à Dinan, on a trouvé dans les fondations une pointe en quartzite du même type.

D’autres usages, qui dérivent vraisemblablement des croyances relatives aux pierres protectrices, subsistent encore. Dans le fond des charniers à lard, on met un clou pour empêcher le lard de tourner. On place aussi un clou dans le fond du nid des oiseaux, pour que l’orage ne puisse leur nuire.

Copyright © LA FRANCE PITTORESQUE
Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

Imprimer cet article

LA FRANCE PITTORESQUE