LA FRANCE PITTORESQUE
Usages (Curieux) et droits féodaux bretons
en rapport avec des fêtes religieuses
(D’après « Revue de Bretagne et de Vendée » paru en 1901)
Publié le vendredi 22 janvier 2010, par LA RÉDACTION
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Redevances offrant un caractère religieux
En certains jours de fêtes religieuses s’exerçaient parfois des droits féodaux en rapport avec la fête ; ils avaient ordinairement pour origine quelque générosité d’un seigneur envers une église. Ainsi les paroissiens de Toussaints à Rennes, ayant agrandi leur église sur un terrain concédé par le vicomte de Rennes, il fut stipulé que dès lors s’exercerait le droit féodal qui suit : le jour de la Purification, « doibvent lesdits paroissiens et marguilliers de Toussaints aller en nombre suffisant présenter au seigneur vicomte un cierge de cire blanche du poids de deux livres, orné de l’écusson de ses armes, accompagner ledit seigneur (ou son représentant) depuis sa maison et le conduire avec toutes sortes d’honneurs à ladite église de Toussaints, sur un banc qu’ils doibvent placer dans le sanctuaire et couvrir de tapis, pour y entendre la grande messe et assister, si bon lui semble, à la procession qui se fait auparavant la dite messe au dehors et autour de l’église, sans qu’aucun ecclésiastique, gentilhomme ou autre personne puisse à la dite procession précéder ledit vicomte ny marcher à costé de luy », nous révèle l’aveu de la vicomté de Rennes en 1682.

Bouquet de roses Peinture de Francis Miel

Bouquet de roses
Peinture de Francis Miel

Un seigneur de Betton, ayant donné une dîme pour l’entretien du luminaire de son église paroissiale, voulut, en revanche, qu’au jour de la Chandeleur la fabrique de Betton lui offrît des cierges convenables non seulement à lui-même mais encore à sa femme et à ses enfants. Plusieurs autres églises devaient ainsi des cierges à leurs seigneurs à la fête de la Purification. A Quintin (arrondissement de Saint-Brieuc), le droit de cierge avait pour but d’éclairer et d’honorer le seigneur du lieu à son retour de l’église où il avait assisté à l’office des vêpres. Voici comment il s’exerçait, d’après un aveu de 1588 : « Le sergent féodé de Quintin doit, la veille de la Mi-Août, à l’issue des vêpres, se présenter à la porte du chœur de l’église de Notre-Dame de Quintin, un grand cierge allumé à la main, et de là conduire le comte de Quintin au château ou ailleurs dans la ville selon son plaisir ; arrivé au château ou autre logis, soit en salle ou en chambre, doit avoir une grande poignée de chandelles de cire, les allumer et les attacher tout à l’entour desdites salle ou chambre où se trouve le comte, lequel voulant boire, ledit sergent doit avoir et tenir en son autre main un cierge de cire allumé et tenir lesdits deux cierges allumés en ses mains pendant que le comte boit, lequel ayant bu, ledit sergent peut en faire autant si bon lui semble ».

Quand arrivait la Fête-Dieu, c’était des bouquets ou des couronnes de fleurs que recevaient les seigneurs. Celui de Betton avait droit à « un bouquet de roses blanches et vermeilles auparavant porter le Corpus Domini », c’est-à-dire avant la procession du sacre (aveu de la seigneurie de Betton en 1680). Il était dû au seigneur de la Ballue en Bazouges « un bouquet de fleurs bien et duement ordonné à la Feste-Dieu » plus à Noël un « chapeau de roses ou 5 deniers », somme plus facile à trouver que les roses en hiver. Les recteurs de Chauvigné et de Baillés (communes de l’arrondissement de Fougères) devaient chacun, « ledit jour du Sacre de chaque année un chapeau » (c’est-à-dire une couronne de roses) à cause de leurs presbytères bâtis dans les fiefs de leurs seigneurs, et ces derniers portaient ces couronnes à la procession ou en décoraient les autels. Les tenanciers de Cailledieu étaient tenus, à la Fête-Dieu, d’offrir au baron de Pontchâteau (arrondissement de Saint-Nazaire) à son banc en l’église paroissiale et au départ de la procession « un chapeau ou bouquet faict et composé de roses, d’œillets et autres belles fleurs selon la saison », nous apprend l’aveur de la baronnie de Pontchâteau en 1681.

Il était également dû en cette fête du Saint-Sacrement à l’évêque de Dol « une couronne de fleurs de roses » et au baron de Vitré « un bouquet d’œillets et de roses ». Parfois ces couronnes de fleurs étaient destinées à orner les statues de certains saints en vénération particulière. A Crossac (commune du canton de Pontchâteau), par exemple, le seigneur du Boisjoubert devait au vicomte de Donges, rendu en la chapelle de son château de Lorieuc « un chapeau de roses sur la teste de l’imaige Monsieur sainct Georges, le jour de la feste de Pentecoste ». A Plédéliac (arrondissement de Dinan), les vassaux du Chemin-Chaussée devaient au baron de la Hunaudaye, le 24 juin de chaque année, « un chapeau de boutons de roses placé sur le chef de Monsieur saint Jean en sa chapelle du chasteau de la Hunaudaye ».

Droits se rattachant à la police des foires et marchés
Aux seigneurs incombait le devoir de faire faire la police dans leurs fiefs ; l’exercice de ce devoir donnait naissance à plusieurs droits féodaux ; nous signalerons seulement ici les chevauchées et les droits relatifs à la police des halles et marchés. La chevauchée avait été instituée pour maintenir l’ordre les jours de foire ; toute seigneurie un peu importante ayant droit de tenir foire, la chevauchée était par suite assez commune. Non seulement les seigneurs laïques, comme le vicomte de Rennes et le baron de Fougères, mais encore les seigneurs ecclésiastiques, tels que l’évêque de Dol et l’abbé de Saint-Melaine de Rennes faisaient courir des chevauchées.

Voici comment la chose se passait à Rennes, à la foire de la Madeleine se terrant à l’entrée de cette ville dans les prairies de Villeneuve. Ce jour-là tous les étagers, c’est-à-dire les sujets possédant maison habitée dans les fiefs de la vicomté de Rennes, au nombre d’environ quatre cents, étaient astreints de comparaître à cheval, « ou gens de leur part », équipés et armés sur la place du Champ Jacquet à dix heures du matin. De là, sous la conduite du sénéchal de la juridiction, ils se rendaient en belle ordonnance, tous réunis, jusqu’au champ de foire où se faisait l’évocation et chaque défaillant à l’appel était passible d’une amende de 60 sous monnaie. Le but de cette chevauchée était d’établir un peu d’ordre dans le placement des marchands et de leurs marchandises. A cette foire le vicomte de Rennes levait un droit de bouteillage de quatre pots par pipe de vin ou de cidre et prenait de chaque porc vendu en détail une oreille et deux pieds (aveu de la vicomté de Rennes en 1682).

Le baron de Combour avait pris un autre moyen pour maintenir l’ordre dans les deux plus grandes foires de sa seigneurie : celle de l’Angevine à Combour (arrondissement de Saint-Malo) et celle de Saint-Léger au bourg de ce nom. C’était aux habitants mêmes qu’était remis le soin de la police et nul n’y avait, en effet, plus d’intérêt qu’eux. La veille de la foire de l’Angevine et durant tout le jour de cette foire, les hommes « estagers habitants de la ville de Combour et faubourgs », étaient tenus de faire le guet en armes et les possesseurs d’une maison de Combour appelée la Lanterne devaient allumer « des flambeaux dans la lanterne attachée au devant de ladite maison, pour servir et faire ledit guet et l’assise du corps de garde d’iceluy ». Ceci montre qu’on faisait le guet non seulement le jour de la foire, mais encore la nuit qui précédait et celle qui suivait.

A la foire de Saint-Léger devait être également fait le guet, comme à Combour, le jour de la foire, la veille et les deux nuits, par les tenanciers de Saint-Léger « habitant ladite bourgade". Mais le seigneur de Saint-Léger était obligé de veiller à la tête du poste chargé de faire ce guet pendant la nuit ; il levait, en récompense, le tiers des droits que le baron de Combour percevait en cette foire (aveu de la baronnie de Combour en 1580).

La haute police des halles appartenait aussi aux seigneurs. A Rennes, les bouchers et leur halle dépendaient du seigneur de la Prévalaye à cause de son fief de Matignon. En reconnaissance de son autorité ils devaient, entre autres redevances, lui fournir tous les samedis « un os moullier de bœuf », et chaque fois que ledit seigneur venait résider en ville « lui bailler de la paille blanche pour ses chevaux et son train et aussi pour ses espagneuls et chiens pendant huit jours ». Le Mardi-Gras de chaque année, à la tenue des plaids généraux de la seigneurie en la Haute cohue de Rennes, devait, « le maistre boucher comparoir à ladite audience, revestu de la robe ordinaire qu’il porte le Mardi-Gras, suivant l’ancienne coutume », accompagné des « provosts de la frairie des bouchers et assisté de joueurs d’instruments ». Le maître boucher présentait alors au seigneur de la Prévalaye ou à son procureur « une pièce honneste de bœuf » avec les clefs de la halle de la boucherie, que le seigneur pouvait faire vider et fermer aussitôt. Les mêmes rapports féodaux avaient lieu entre le seigneur de Beaumont et les bouchers de Redon, entre le baron de Lohéac et les bouchers de la petite ville du même nom, etc. Les seigneurs faisaient aussi surveiller la vente du poisson, et les poissonniers usant de leurs halles ou pêchant dans leurs fiefs étaient tenus à certains devoirs envers eux. Ainsi les pêcheurs en Loire devaient au baron d’Ancenis leur premier saumon, leur première alose et leur première lamproie, et au vicomte de Donges leurs « premiers esturgeons, molues et saumons ».

Mais dans un grand nombre d’importantes seigneuries, telles que Châteaubriant, Châteauneuf, Combour, Guingamp, Bécherel, etc, les poissonniers étaient soumis à un devoir plus singulier qui demande explication. Au Moyen Age l’abstinence durant le carême était pratiquée dans toute sa rigueur. Quand arrivaient les fêtes de Pâques la rancune du peuple s’exerçait volontiers contre les poissonniers qui lui avaient vendu fort cher de mauvais poisson durant la sainte quarantaine : la vengeance consistait en une cérémonie burlesque réglée par la seigneurie. Voici comment elle se pratiquait à Bécherel.

Marchands de poissons à leur étal. Peinture de Frans Snyders

Marchands de poissons à leur étal. Peinture de Frans Snyders

Le lundi de Pâques, tous ceux qui avaient « vendu du poisson le carême précédent, dans ladite ville et forsbourgs de Bécherel » étaient tenus de se rassembler devant les juges et autres officiers de la baronnie, puis de « venir tous ensemble sauter ledit jour dans l’estang nommé l’estang de Bécherel, en endroit raisonnable ». Et après s’être « dépouillés pour sauter, doibvent chacun d’eux demander congé [c’est-à-dire permission] au seigneur ou à ses officiers pour sauter dans ledit estang, et avant d’en sortir doibvent également demander congé ». Le saut des poissonniers avait toujours lieu à Bécherel, au grand divertissement de la populace, « soubs peine d’amende » que pouvaient payer toutefois ceux qui craignaient d’attraper quelque rhume à la suite de ce bain forcé, souvent intempestif.

Les barons de Châteaubriant avaient également admis à la porte de leur ville le plaisant saut des poissonniers, mais les patients y étaient plus humainement traités qu’à Bécherel, comme nous allons voir : « Ceux qui pendant le caresme trempent et vendent poisson sec, morue, hareng et aultres poissons en la ville de Chasteaubriant doibvent se présenter devant le seigneur dudit lieu ou ses officiers, sur la chaussée de l’estang de la Torche et là recognoistre leur debvoir de saulter en ledit estang, et à cet effet doibvent saulter une fois pendant les féries de Pasques ; et doibt ledit seigneur fournir un bateau pour les recevoir après lesdits saults et leur doibt du feu (pour se sécher), une pièce de bœuf et du vin (pour se réconforter) ; et les défaillants à obéir et saulter en l’eau doibvent chacun deux chapons de Cornouaille et 60 d’amende », mentionne l’aveu de la baronnie de Châteaubriant en 1628.

A Pontivy le saut des poissonniers se pratiquait d’une façon plus sommaire, mais moins humaine : ils étaient « hissés sur une charrette que les bouchers poussaient dans le Blavet, laissant les poissonniers se tirer d’affaire comme ils pouvaient ». Relatons enfin ce qui se passait à Rochefort-en-Terre (arrondissement de Vannes). « S’il y a personne en la ville de Rochefort qui ait vendu poisson vert (poisson sec) en karesme ou autre temps, il doit se trouver avant vespres, le lendemain de Pasques, à l’orme de la Tahurte (près l’étang du Colombier), où seront aussi le duc d’Amour, les officiers du sire de Rochefort et les bourgeois de la ville et forsbourg dudit Rochefort. Et en ce lieu se dépouillera nud le poissonnier et viendra se baigner à l’estang du Colombier ; et avant se jacter en l’eau se mettra le poissonnier sur un pied et à genou devant le duc d’Amour, qui lui baillera la bénédiction avec le pied gauche. Et sont tenus Jehan Dréan et Marie Hochart, sa femme, par cause de la maison où ils demeurent (en la ville de Rochefort) de fournir et porter, ce jour, une chaudière de terre neuve pleine de feu, à l’heure de soleil levant, audit estang, pour chauffer l’eau audit poissonnier. Et tout ce à peine d’amende ». Cette chaudière de feu au bord de l’étang, cette bénédiction avec le pied étaient de cruelles ironies.

Nous ne pouvons sortir des halles seigneuriales sans mentionner de curieuses cérémonies accompagnant souvent l’usage des poids publics. Citons deux cas d’afféagement de poids publics. A Quimper, le duc de Bretagne afféagea ce poids au seigneur de Kerguéguen moyennant le « debvoir de garder les chiens du Duc quand il vient à Quimper, de leur fournir de la paille blanche et de l’eau, et de plus un pot de vin et un pain audit Duc [c’est-à-dire à son serviteur] ». A Dinan, le seigneur du lieu avait également afféagé le poids public de ses halles, et l’afféagiste était tenu de surveiller le fonctionnement régulier du pesage. Pour le récompenser de sa peine, les marchands fréquentant la halle lui faisaient chaque année des aubades, lui offraient un feu de joie et lui donnaient un dîner que nous allons décrire. « A la vigile de Monsieur saint Jean-baptiste, lorsqu’on fait les raviers ou feux publics appelés les Feux Saint-Jean, on doibt trois aubades par des sonneurs de hautbois amenés au devant de la maison et demeurance dudit sieur du Poids en ladite ville de Dinan. On doibt ensuite chanter trois chansons et prier ledit sieur du Poids d’allumer un buscher construit devant sa demeure à Dinan ». La fête se terminait ce premier jour par « un pot de vin blanc » offert à l’afféagiste.

Le lendemain ce dernier se rendait à l’église Saint-Sauveur de Dinan, y assistait à une messe solennelle et recevait « par prérogative » le premier pain bénit. « A l’issue de ladite messe, entre les dix et onze heures du matin », on apportait solennellement à son hôtel « le disner du sieur du Poids ». Voici en quoi consistait ce repas : « trois plats garnis de chair ou de poisson de trois sortes différentes, selon le jour qu’eschet icelle feste Saint-Jean, avec deux plats de salade selon la saison ; laitue, pourpier, capres et cassepierre ; trois couples de pains blancs et trois pots de vin blanc et de vin clairet » ; tous ces plats et pots « recouverts de linge blanc et honneste » et portés processionnellement par les bouchers de Dinan « conduits par le procureur de la confrairie de Saint-Jean, assisté de deux provosts d’icelle confrairie et des aultres anciens de la mesme confrairie, portant tous verges peintes, festons et bouquets selon la saison » ; tous enfin « menés par les sonneurs des tambourins, haultbois et bombardes , comme c’est accoustumé de temps immémorial ». Jugez quelle joie devait exciter dans les vieilles rues de Dinan cette procession pantagruélique du « Disner du sieur du Poids ».

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