LA FRANCE PITTORESQUE
13 janvier 1151 : mort de Suger,
abbé de Saint-Denis
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Publié le jeudi 19 novembre 2009, par LA RÉDACTION
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Né en 1081 d’un père appelé Clinand, il fut admis à l’âge de dix ans à l’abbaye de Saint-Denis, et y fit des études avec une ardeur et une facilité qui furent admirées de ses maîtres. La considération que ses succès lui valurent s’accrut avec l’âge ; il fut choisi pour remplir des fonctions élevées dans diverses abbayes de l’ordre, et en 1106, nommé pour assister au concile de Poitiers : sa célébrité s’étendit jusqu’à la cour. Le roi Louis VI le Gros, après l’avoir employé dans diverses négociations, l’envoya, en 1118, à la cour de Rome en qualité de son ambassadeur. Il se rendit dans la suite auprès de cette cour chargé de plusieurs autres ambassades : il était pour le gouvernement d’alors l’homme indispensable.

Suger

Suger

Suger, revenant de Rome en 1122, apprit que l’abbé de Saint- Denis, Adam, venait de mourir, et qu’il était nommé à sa place ; mais apprenant aussi que cette nomination n’avait pas été confirmée par le roi, il en fut très affligé. Alors on envoya auprès de ce prince les moines les plus recommandables, les chevaliers les plus nobles pour solliciter son consentement. Le roi reçut mal ces envoyés, les accabla d’injures et les fit conduire prisonniers au château d’Orléans. Ils furent bientôt libres ; les moines de Saint- Denis connaissaient le moyen d’apaiser la colère de Louis le Gros ; il s’apaisa, consentit à la nomination de Suger et assista même à la cérémonie où, le 12 mars 1122, l’archevêque de Bourges lui conféra l’ordre de la prêtrise (car il n’était encore que diacre) et le sacra abbé.

L’abbaye de Saint-Denis, alors la plus riche, la plus puissante abbaye de France, possédait un très-grand nombre de seigneuries et de châteaux, avait des chevaliers, des juges, des troupes à ses ordres : c’était une espèce de souveraineté. Outre l’influence spirituelle, l’abbé jouissait d’un immense ascendant sur le civil ; les rois le consultaient et l’employaient dans les plus importantes affaires. Mais bientôt le luxe de la cour, son tumulte, ses désordres s’introduisirent dans l’abbaye de Saint-Denis ; et l’abbé Suger, enorgueilli de son élévation, parut se complaire dans cette pompe corruptrice, si contraire aux principes de la vie monacale.

Vers 1128, l’abbé de Clairvaux, nommé saint Bernard, scandalisé de- la conduite trop mondaine de Suger, lui en adressa des reproches ; et Mabillon pense que saint Bernard voulait parler de l’abbé de Saint-Denis, lorsque, dans ses Apologies, il a dit : « J’ai vu, et je ne mens point, un abbé qui marchait avec un cortège de plus de soixante cavaliers. A les voir, vous les eussiez pris, non pour des pères d’un monastère, mais pour des seigneurs de châteaux, non pour des directeurs des âmes, mais pour des souverains de provinces. Ce saint abbé adressa aussi à Suger une longue lettre pour le féliciter de sa conversion, lui tracer un plan de conduite, et lui rappeler impitoyablement ses fautes passées. N’est-ce pas, disait encore saint Bernard, une monstruosité de voir le même homme remplir des fonctions ecclésiastiques et militaires, de le voir desservir les autels et ensuite aller servir le roi à sa table ? » Ces abus, et plusieurs autres que j’omets, pullulaient à l’abbaye de Saint-Denis, et Suger les tolérait. S’il en eût été autrement, les reproches que lui adresse saint Bernard ne seraient qu’une déclamation calomnieuse et déplacée.

Suger se corrigea, renonça au faste des cours, établit la réforme dans son abbaye, chassa du couvent d’Argenteuil les religieuses livrées à la dissolution, et ne mérita plus les reproches du fameux abbé de Clairvaux. Mais, dans la suite, il s’éleva entre les deux abbés une vive discussion : saint Bernard voulait que le roi Louis VII partît pour la Palestine et allât combattre les ennemis des chrétiens ; Suger, qui prévoyait tous les inconvénients de cette expédition s’y opposait. Le saint osa prophétiser le succès des armes de Louis : le fanatisme triompha du bon gens. En 1147, le roi partit pour la Palestine, après avoir confié à Suger l’administration de son royaume pendant son absence.

Placé au milieu des discordes et des combats de l’ambition, Suger eut bien de la peine à maintenir la paix dans un royaume si vicieusement constitué. Il faut voir, dans le Recueil de ses lettres, ses efforts et sa constante fermeté envers ses dénonciateurs, envers des voleurs de qualité, des intrigants et des conspirateurs parmi ces derniers se trouvait même Robert, frère du roi.

Louis VII, pendant sa croisade, apprit ce que valaient les prophéties de saint Bernard. Il n’éprouva que des revers : son armée fut plusieurs fois mise en déroute, un grand nombre de ses sujets perdirent la vie ; il fut fait prisonnier sur mer en revenant en France, où il arriva vers la fin de l’an 1149. Suger le vit avec peine revenir sans gloire et sans armée ; il lui rendit compte de son administration, confondit ses calomniateurs, et reçut du peuple, suivant l’auteur de sa Vie, le titre glorieux de Père de la patrie.

L’abbé Suger fit en grande partie reconstruire le palais du roi à Paris, ainsi que l’église de l’abbaye de Saint-Denis ; il employa des sommes considérables à l’embellissement de cet édifice ; un luxe barbare avait passé des cours dans les églises ; on pensait alors que les dorures et les pierres précieuses ajoutaient un grand mérite aux choses et aux personnes qui en étaient ornées.

Suger, après d’importants travaux, termina sa carrière le 13 janvier 1151, à l’âge de soixante-dix ans. Il fut regretté comme on regrette un homme puissant, et, ce qui vaut mieux, comme on regrette un homme utile, d’un caractère et d’une capacité extraordinaires pour son temps. Sa grande âme était renfermée dans un très-petit corps. Il écrivit la vie de Louis le Gros et celle de son successeur Louis VII, ouvrages curieux pour ceux qui s’occupent de l’histoire du XIIe siècle.

S’il ne fut point, comme son contemporain Bernard, mis au rang des saints, en voici la cause : Bernard avait plus de zèle, et Suger plus de raison. Un moderne a fait le parallèle de ces deux hommes. « Ils avaient, dit-il, tous deux déjà célébrité et du mérite. Le premier (Bernard) avait l’esprit plus brillant, et le second l’avait plus solide. L’un était opiniâtre et inflexible ; la fermeté de l’autre avait des bornes... Saint Bernard avait l’air, l’autorité d’un homme inspiré ; Suger, les sentiments et la conduite d’un homme de bon sens. Un sage n’a jamais raison, auprès de la multitude, contre l’enthousiasme. »

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