LA FRANCE PITTORESQUE
Talisman comprenant un carré magique
offert à Louis XIV
(D’après « Comptes-rendus des séances de l’Académie
des Inscriptions et Belles-Lettres », paru en 1969)
Publié le mercredi 8 décembre 2021, par Redaction
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Que Louis XIV ait reçu pareille médaille figurant le monarque placé sous la double influence du Soleil touchant sa couronne et du Bélier assimilé à Mars, n’est pas surprenant quand on sait l’importance donnée à la position des astres au moment de sa naissance — désiré depuis longtemps, le futur Roi-Soleil fut d’abord appelé Dieudonné, don de Dieu —, et comment médecins, mathématiciens et philosophes proposèrent des solutions différentes desquelles ils concluaient à l’horoscope du roi
 

À la séance du mardi 13 décembre 1701, l’Académie royale des Inscriptions et Médailles décrivait en ces termes le talisman offert à Louis XIV par Louis-Victor-Marie, duc d’Aumont, et qui pourrait avoir été fait entre 1665 et 1685 : « La médaille donnée au roi, est un talisman, ou une image consacrée sous un certain horoscope, afin qu’elle ait l’effet que s’est proposé celui qui en est l’auteur. Cette science naturelle, qui est une dépendance de l’astrologie judiciaire, a été fort estimée autrefois des Chaldéens et des Égyptiens, et c’est d’eux que les Juifs cabalistes, et Arabes, l’ont tirée.

« Il est certain que ce talisman a été fait pour le roi notre maître, car l’image représente le roi de France puisqu’il a une couronne fleurdelisée, et un sceptre, aussi avec une fleur de lys. Outre que cette médaille qui est moderne, a été frappée de son temps ce que ses prédécesseurs n’ont pas pris comme lui le Soleil pour leur symbole, ou pour corps de leur devise.

Talisman offert au roi Louis XIV. Avers de la médaille
Talisman offert au roi Louis XIV. Avers de la médaille

« Le roi a le Soleil sur la tête touchant immédiatement sa couronne ; la médaille a pour toute légende le mot SOL, qui fait voir que l’auteur du talisman a voulu soumettre ce prince à l’ascendance du Soleil. Il y paraît jeune, et dans l’âge qu’il était quand la médaille fut frappée.

« D’un côté on voit les caractères astronomiques du Bélier et du Lion, qui sont les deux principaux signes et domiciles du Soleil auxquels on met le roi. Le Bélier est le signe où le Soleil montant au-dessus de notre hémisphère, commence à faire sentir sa forme ; c’est pourquoi les astronomes ont donné la plupart le premier rang au signe du Bélier, parce qu’ils le regardaient comme ce qui exprimait le mieux les vertus du Soleil ; c’est pour cela que les peuples de la Libye adoraient sous la figure du Bélier Jupiter Hammon, qui n’était autre chose que le Soleil, comme l’assure Macrobe qui avait fort étudié la théologie païenne. Le même auteur nous apprend aussi que les anciens mathématiciens assignaient particulièrement le Bélier à Mars, ce qui convient à un jeune roi qui devait remporter de grandes victoires et soutenir des guerres si longues contre ses ennemis : à quoi on peut ajouter qu’Alexandre Le Grand avait pris le Bélier pour symbole, et voulait être un nouveau Jupiter Hammon.

« L’auteur du talisman a joint au Bélier le Lion, que les Égyptiens appelaient le domicile du Soleil, prétendant que la nature du Lion était pareille à celle du Soleil, et que cet animal l’emportait sur tous les autres en force et en courage. Le Soleil avait aussi l’avantage et l’empire sur tous les autres astres. Ils ajoutaient que le Lion, dont la force est dans la tête, dans le cou, et ensuite en diminuant, jusqu’à l’autre extrémité, marque le Soleil dans sa force au solstice d’été, et diminuant jusqu’à l’autre solstice — ce qui concerne la vigueur du corps, et non celle de l’esprit — car Macrobe ajoute : Et la même chose est toujours discernée avec des yeux ouverts et ardents, comme le soleil avec un œil ouvert et ardent voit la terre avec des yeux perpétuels et infatigables : cela n’empêche pas qu’il ne regarde la terre fixement, qu’il ne l’éclaire, et qu’en cela il soit infatigable. C’est pourquoi l’auteur du talisman a mis devant l’image du roi un lion qui se repose en regardant fixement.

Talisman offert au roi Louis XIV. Revers de la médaille
Talisman offert au roi Louis XIV. Revers de la médaille

« Cette partie du talisman est pour les dernières années du roi ; mais afin que le Soleil ne fût pas séparé de la Lune, on a mis de l’autre côté de l’image, quatre croissants qui paraissent attachés et liés, afin que le prince reçût toutes les bonnes influences de cette planète, qui recevant celles du Soleil, les tempère pour les renvoyer aux hommes suivant la doctrine des Égyptiens.

« Pour le revers de la médaille, c’est un carré, ou tablette numérale, qui contient six cellules, dont le nombre radical est six ; la racine carrée six fois six, qui font trente-six ; le nombre de chacun des six rangs est 111. Par conséquent le produit net est 666 ; ces quatre nombres : 6, 36, 111 et 666 sont ceux en faveur du Soleil. »

Si sur le sceau solaire, les nombres du carré magique « sont ceux en faveur du soleil », ces mêmes nombres pris isolément, ont une signification redoutable. Le nombre six dans la loi hébraïque est le nombre de l’épreuve, du travail et la de servitude ; quant au nombre 666, c’est celui de la bête de l’Apocalypse.

« Ce qu’on peut conclure de la médaille, est-il encore écrit dans le compte-rendu de l’Académie, c’est que l’auteur inconnu du talisman était un homme qui aimait fort son roi, à qui il souhaitait tout le bonheur imaginable durant son règne, et la santé fort longue, qui peut aller jusqu’à cent onze ans qui est le nombre de chacun des six rangs que contient ce talisman, qu’il a fait frapper étant fort prévenu de l’astrologie judiciaire de ce prince ».

L’importance de cette description réside dans le fait que la médaille talismanique dont il est question, qui avait été publiée à maintes reprises comme carré magique de six, prend une valeur nouvelle en raison des signes planétaires et graphiques gravés à l’avers, qui confirment son attribution spécifique de talisman fait pour le roi Louis XIV.

Dessin gravé par Sébastien Le Clerc et publié en 1693 dans Histoire du roy Louis le Grand par les medailles, emblêmes, devises, jettons, inscriptions, armoiries, et autres monumens publics (par le père Claude-François Ménestrier) du revers de la médaille composée par la Petite Académie
Dessin gravé par Sébastien Le Clerc et publié en 1693 dans Histoire du roy Louis le Grand par les
medailles, emblêmes, devises, jettons, inscriptions, armoiries, et autres monumens publics
(par
le père Claude-François Ménestrier) du revers de la médaille composée par la Petite Académie

L’astronome, astrologue et mathématicien Jean-Baptiste Morin s’était efforcé de prouver que le roi, en comptant les heures du jour « de midy à midy, à la manière des anciens astronomes », était né le 4 septembre 1638 à vingt-trois heures et quinze minutes avant midi, c’est-à-dire quarante-cinq minutes avant que commençât le cinquième jour astronomique de septembre. Il traça, d’après ses calculs, une figure droite du milieu du ciel à cent cinquante et un degrés, quarante-quatre minutes, et l’ascension oblique de l’horoscope à deux cent quarante et un degrés quarante- quatre minutes.

Sa thèse fut réfutée par le Père Thomaso Campanella qui prétendit qu’au moment où le roi naquit le soleil s’était approché de la terre de cinquante-cinq mille lieues. De tels arguments furent à leur tour considérés comme une vision du philosophe, et ce fut la Petite Académie qui, très postérieurement à la naissance du roi, devait composer la devise d’une médaille sur laquelle elle dessina au pourtour les douze signes du zodiaque et les sept planètes « en la mesme position, précisa-t-elle, où elles estoient au moment de l’heureuse naissance du Roy » ; et elle ajouta : « en cela, on a imité plusieurs médailles d’Auguste où le signe du Capricorne marque la constellation, sous laquelle est né cet Empereur ». Dans le champ « suivant la devise du Roy, dont le Soleil est le corps, on a représenté au milieu la naissance de ce Prince, par la figure du Soleil qui se lève ». Et à l’exergue l’Académie inscrivit que le roi naquit le 5 septembre 1638, à onze heures et vingt-deux minutes avant midi.

On ne peut pas douter que l’auteur du talisman offert au roi, ait été « fort prévenu de l’astrologie judiciaire » de son souverain, et qu’il ait composé l’avers de sa médaille d’après les horoscopes qui avaient été tirés de la position des astres au moment de la naissance du roi. Il mit le roi sous la double influence du Soleil et du Bélier, assimilé à Mars, empruntant au De sigillis planetarum de Paracelse, le thème iconographique du sceau solaire, complété du signe du Lion ; empruntant au sceau de Mars seulement la forme, en ajoutant le signe du Bélier. Ainsi le talisman a-t-il à l’avers le roi assis de face, en majesté, couronné, revêtu du manteau d’apparat, tenant de la main droite le sceptre ; au-dessus de sa tête « touchant immédiatement sa couronne » un soleil radié, devant lui, un lion couché, de profil à droite, la tête tournée de face ; pour seule légende le mot SOL.

Ce sceau étant aussi sous le signe de Mars ne fut pas « fabriqué avec de l’or d’Arabie ou de Hongrie », comme doit l’être le sceau du soleil, mais il fut fait dans un « très excellent et très dur métal, et de forme circulaire », afin de satisfaire aux vertus magiques attribuées au dieu Mars. Deux signes particuliers sont inscrits dans le champ, l’un et l’autre en relation avec le carré magique du revers.

En faisant partir du nombre six au sein du carré magique une ligne passant par 30, 20, 19 et 36, on obtient un graphique identique à celui inscrit à la droite du roi sur le talisman
En faisant partir du nombre six au sein du carré magique une ligne passant par 30, 20, 19 et 36,
on obtient un graphique identique à celui inscrit à la droite du roi sur le talisman

En effet, si d’après ce carré magique on fait partir une ligne du nombre six, en la faisant passer par le nombre trente, redescendre au nombre vingt, remonter au nombre dix-neuf et rejoindre enfin le nombre trente-six, on obtient un graphique identique à celui qui est inscrit à la droite du roi. Et, si on additionne les nombres que relie cette ligne, on obtient le nombre cent onze, qui est le total de chacune des constantes du carré magique de ce talisman ; nombre qui symbolise le vœu adressé au roi par l’auteur de cette médaille, de voir vivre son souverain cent onze ans.

Un second signe, celui-là inscrit à la gauche du roi, au-dessus du signe du lion, a été décrit en ces termes par l’Académie : « des croissants de lune paraissant attachés et liés, afin que le prince reçût toutes les bonnes influences de cette planète ». Ce signe, qui est fait de deux diagonales centrales qui se terminent par une circonférence, au-dessous de laquelle se fixe chacune des diagonales qui relient des demi-circonférences, dites « croissants de lune », est semblable à la figure qu’on obtient si on dépouille de ses nombres le graphique du carré magique, tel que l’a publié Cazalas, en laissant en place les diagonales du carré naturel, et en suivant le tracé des lignes concaves que forment les nombres des quatre groupes qui viennent respectivement occuper la place de leur vis-à-vis2.

Ce signe — plutôt que des croissants de lune liés entre eux — ne serait-il pas l’expression figurée du symbolisme sous-jacent du roi lié à Dieu en même temps que « dieu lieur » ? Cette double signification religieuse et magique rappellerait que, si le roi à sa naissance fut l’objet de recherches passionnées pour tirer son horoscope de la position des astres, il fut d’abord appelé « Dieudonné », le don de Dieu, objet de vœux pieux, qui se concrétisèrent en fondations religieuses. Et que, au surplus, il était avant tout le Rex christianissimus, malgré l’emblème solaire qui lui servait, non seulement de devise, mais encore qui ornait tout ce qui relatait sa puissance.

En faisant, sur le carré magique, deux diagonales centrales qui se terminent par une circonférence, au-dessous de laquelle se fixe chacune des diagonales reliant des demi-conférences, on obtient un graphique identique à celui inscrit à la gauche du roi sur le talisman
En faisant, sur le carré magique, deux diagonales centrales
qui se terminent par une circonférence, au-dessous de laquelle
se fixe chacune des diagonales reliant des demi-conférences,
on obtient un graphique identique à celui inscrit
à la gauche du roi sur le talisman

Les diagonales centrales qui rappellent le signe x, évoquant l’idée de liens, ne symbolisent-elles pas cette dépendance du roi « au maître des liens », c’est-à-dire à Dieu ? Et les demi-circonférences liées et attachées à ces diagonales, ne sont-elles pas la figuration des quatre parties du monde sur lesquelles Louis XIV avait l’ambition de régner, nations soumises à celui qui avait pouvoir de lier et de délier, en vertu de la souveraineté qui lui avait été conférée ? C’est une hypothèse qui n’est pas à exclure, le symbolisme du lien étant magique comme la souveraineté elle-même, et étant aussi en rapport avec celui du nombre six, qui est précisément le nombre du carré magique gravé au revers de ce talisman.

L’intérêt qui s’attache encore à ce talisman, réside dans le décryptage des nombres de la tablette numérale du revers au moyen d’une table de concordance des lettres de l’alphabet avec des chiffres ; on obtient ainsi cette phrase qui prend valeur de dédicace : au roi soleil.

L’auteur inconnu du talisman ne serait-il pas le même que celui qui dédia en 1679 la clé magique au roi intitulée « Les oracles de la sibylle française par les nombres mystérieux des Pythagoriciens sur les heureux succès de Sa Majesté », en lui précisant qu’il avait cherché dans le système des nombres « les rencontres et les prodiges » faits par le roi, lui révélant « qu’il a trouvé dans le passé de quoi appuyer ses oracles qui nous assurent, précise-t-il, que nous verrons un jour Sa Majesté maître de l’Univers » ? Cette clé magique est une miniature allégorique signée N. Guillin : la « sibylle » montre à quatre femmes, représentant les quatre parties du monde, les chiffres secrets inscrits sur un temple antique, dominé par deux figures ailées, soutenant le médaillon du roi. Ces quatre parties du monde symbolisées par ces quatre femmes corroborent la relation qu’il est possible d’établir entre l’auteur du talisman, le signe gravé sur celui-ci, à la gauche du roi, et l’auteur de la clé magique dédiée au roi.

Ainsi la magie arithmétique était-elle encore en usage au XVIIe siècle, et bien qu’elle ne fût plus utilisée comme à ses origines uniquement pour fournir des talismans, elle resta encore empirique jusqu’au dernier tiers du siècle. À partir de cette époque, on commença à l’étudier scientifiquement. Aux recherches sur les carrés magiques s’attachent les noms de Fermat, Pascal, Arnauld, Ozanam, De La Loubère, pour ne citer que les plus illustres. Mais ce ne fut qu’en 1906 que Gaston Tarry découvrit la construction des carrés n — magiques, ou magiques aux n premiers degrés, auxquels se rattache le carré magique de six, gravé au revers du talisman de Louis XIV. Carrés magiques probablement introduits en Europe par le grammairien byzantin Moscopoulos au XIVe siècle.

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