LA FRANCE PITTORESQUE
Bande dessinée : ses origines
dans l’imagerie populaire (Épinal)
(Source : France Télévisions)
Publié le mardi 28 septembre 2021, par Redaction
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L’exposition Aux origines de la bande dessinée : l’imagerie populaire présentée au musée de l’Image d’Épinal (Vosges) jusqu’au 2 janvier 2022, montre comment le 9e art trouve ses sources dans l’imagerie populaire, née à la fin du XVIIIe et florissante au XIXe siècle
 

Essentiellement composée à partir du fond du musée, enrichie de prêts, notamment du musée de la Bande dessinée d’Angoulême, l’exposition présente des dizaines d’images, planches, ainsi que des pièces ayant servi à la fabrication des images.

« Bande dessinée », le terme est apparu dans les années 1930 pour décrire un récit continu mêlant textes et images, en association (ou pas) avec des bulles et des cases. « Avec cette exposition, nous avons voulu montrer que ce mode d’expression est bien plus ancien, qu’il trouve en fait ses sources dans l’imagerie populaire, le dessin de presse ou la caricature, dès le XVIIIe siècle et jusqu’à la première Guerre mondiale », explique Christelle Rochette, directrice du musée de l’Image d’Épinal et commissaire de l’exposition.

Affiche de l'exposition Aux origines de la bande dessinée : l'imagerie populaire présentée au musée de l'Image d'Épinal (Vosges) jusqu'au 2 janvier 2022
Affiche de l’exposition Aux origines de la bande dessinée : l’imagerie populaire présentée
au musée de l’Image d’Épinal (Vosges) jusqu’au 2 janvier 2022

« Avant le XIXe siècle, on trouvait déjà des histoires racontées en images dans les enluminures, les vitraux, les manuscrits ou les tapisseries », explique la directrice du musée, mais « cela restait une gageure de représenter dans une seule image une histoire ». À partir de la fin du XVIIIe siècle, les imageries se développent en France, et notamment celle d’Épinal. Elles produisent des centaines de milliers d’images, avec une technique de gravure sur bois. Ces images sont souvent accompagnées d’un texte, pour décrire une scène ou accompagner le récit en images.

Des images à un sou
Les imageries, et notamment Pellerin à Épinal, mettent en place une production de type industriel, avec un réseau de colporteurs, et de « vraies techniques de marketing », souligne Christelle Rochette. « Il faut imaginer qu’avant le début du XIXe siècle, les gens vivaient dans un monde sans images. Et puis tout à coup, avec le développement de l’imagerie populaire, les gens de la France entière, et surtout la France rurale, peuvent se payer des images qu’ils achètent un sou aux colporteurs qui se déplacent jusque dans les campagnes », explique la commissaire. Ces images ont pour mission « de décorer et de protéger le foyer quand elles représentent des saints ou des scène religieuses, ou d’édifier quand elles relatent des faits historiques ou des aventures patriotiques, comme les exploits militaires de Napoléon ».

À l’origine, ces images représentent une figure centrale, avec en arrière-plan, ou autour, des petites scènes racontant les épisodes marquants de la vie du personnage. Le texte décrit la scène, sans apporter plus d’informations. « On commence à approcher une forme de narration en images, même s’il ne s’agit pas encore de narrations en séquences », souligne Christelle Rochette.

Quant à la bulle, on en trouve une forme primitive dans les tapisseries, les enluminures ou les manuscrits du Moyen Âge, sous la forme du « phylactère » (un petit ruban sur lequel sont écrites les paroles prononcées par le personnage représenté). « Mais la bulle est restée peu usitée jusque très tard en France, sans qu’on sache vraiment pourquoi, explique Christelle Rochette, alors qu’on la retrouve beaucoup dans les dessins satiriques anglais ».

Le gaufrier au service de l’éducation des enfants
C’est vers 1830, avec les graveurs parisiens de la rue Saint-Jacques, et la technique de la gravure sur métal, en creux, plus souple que le bois (un seul passage sous presse), que naissent les histoires en plusieurs images. Baptisée « gaufrier » par Franquin dans les années 1960, cette matrice juxtapose sur une même page deux, quatre, voire six « vignettes », accompagnées d’un petit texte, se succédant dans le sens de lecture occidental (de gauche à droite, et du haut vers le bas).

Armed heroes. Eau-forte coloriée réalisée par James Gillray et publiée le 18 mai 1803
Armed heroes. Eau-forte coloriée réalisée par James Gillray et publiée le 18 mai 1803

Cette pratique du « gaufrier » se répand et des images de ce type commencent à sortir des imageries de province, notamment de l’imagerie Pellerin à Épinal. Les sujets sont variés, des contes ou récits populaires, aux récits religieux, en passant par la mythologie. Pour les récits le plus connus, on se passe souvent du texte, comme avec cette « Création du monde » proposée dans le catalogue Pellerin dès 1814, dont « le sujet est suffisamment connu pour se passer du texte », précise Christelle Rochette.

Au début du XIXe, les thèmes vont évoluer avec l’apparition d’un nouveau statut de l’enfant, considéré comme un petit être à éduquer pour en faire un bon citoyen. Les images sont alors mises au service de cette mission « républicaine » et les imageries commencent à imprimer des histoires « moralisatrices », qui mettent en scène des enfants dans des récits inventés.

Töpffer, le pionnier suisse
« On a longtemps dit que la bande dessinée avait été inventée aux États-Unis. C’est faux ! L’inventeur de la bande dessinée est en réalité un Suisse », précise Christelle Rochette. Rodolphe Töpffer (1799-1846) est aujourd’hui considéré par les historiens comme le pionnier de la bande dessinée. Ce professeur de sciences naturelles à l’université de Genève a commencé à dessiner pour ses élèves, et pour son entourage. Il se distingue de l’imagerie populaire en inventant ses propres scénarios qu’il déploie dans ce qu’il appelle ses « histoires en estampes ».

L’exposition présente ses « albums », fabriqués avec la technique de l’autographie, dérivée de la lithographie, qui permet facilement, contrairement à la gravure, d’intégrer le texte à l’image. Töpffer inaugure également le découpage en cases de différentes tailles, au service de la narration.

« Il est aussi le premier à mettre en scène un héros récurent, en l’occurrence plutôt des anti-héros d’ailleurs » remarque Christelle Rochette. Ses personnages extravagants, Docteur Festus, Monsieur Jabot, ou encore Vieux Bois rencontrent un succès immédiat et immense en Suisse, puis en Europe, où Töpffer est allégrement plagié et recopié.

Histoire du petit désobéissant. Planche gravée coloriée au pochoir de l'Imagerie Pellerin, vers 1850
Histoire du petit désobéissant. Planche gravée coloriée au pochoir de l’Imagerie Pellerin, vers 1850

Parmi les émules de Töpffer, Gustave Doré (1832-1883), alors âgé de 15 ans mais déjà brillant dessinateur et roi du calembour, propose ses premiers dessins au Journal Le Rire, qui comme de nombreux journaux satiriques se développent au XIXe siècle, et deviennent un formidable support pour les récits en images de dessinateurs comme Cham, Caran d’Ache, Willette ou Benjamin Rabier...

Quantin vs Pellerin : la conquête de la jeunesse
Nombre de ces dessinateurs satiriques sont récupérés pour dessiner des histoires pour la jeunesse, nouvelle cible au XIXe. Une salle complète de l’exposition est consacrée à deux éditeurs majeurs qui se sont emparés du secteur de la jeunesse, et qui ont développé et révolutionné les récits en images. « L’imprimeur et libraire Albert Quantin souhaite renouveler l’imagerie populaire qu’il trouve surannée et criarde », explique Jennifer Heim, chargée des collections et co-commissaire de l’exposition. « Quantin veut en faire non seulement un divertissement, mais aussi un outil d’éducation et de sensibilisation de l’enfant à l’art. Il faut donc rendre ces images belles », ajoute Jennifer Heim.

Pour cela, il fait appel aux artistes confirmés, et notamment ceux qui travaillent pour la presse satirique, mais aussi à des affichistes ou des illustrateurs. « Quantin abandonne la technique du pochoir par la colorisation et adopte la chromotypographie », explique la co-commissaire de l’exposition. « Cette technique permet la superposition des couleurs et d’obtenir ainsi des teintes beaucoup plus subtiles, et beaucoup plus variées ».

Pellerin, qui domine le marché de l’imagerie pour les enfants depuis un demi-siècle, ne tarde pas à réagir. Une compétition féroce s’engage entre ces deux grands éditeurs au bénéfice de la discipline. Si Pellerin n’adopte pas la chromotypographie, il embauche les mêmes dessinateurs que Quantin et fait « exploser le gaufrier », avec des mises en pages audacieuses, des cases de tailles et de formes différentes, et une grille métamorphosée, avec des personnages qui sortent des cases etc. Des compositions inspirées par la presse satirique de l’époque, dont la plupart des dessinateurs sont issus. Quantin lui emboîte le pas.

Un ours mal... logé. Lithographie coloriée au pochoir (dessinateur : Falco) de l'Imagerie Pellerin, 1901
Un ours mal... logé. Lithographie coloriée au pochoir (dessinateur : Falco) de l’Imagerie Pellerin, 1901

L’invention du mouvement
Autre révolution née de cette époque, le mouvement. Les dessinateurs suggèrent le mouvement en faisant sortir le personnage de la case, ou bien en décomposant l’action, ou encore en s’inspirant du cinéma, avec des « travellings », et souvent aussi en exagérant les gestes, à la manière de la pantomime. Le vocabulaire de la bande dessinée moderne germe avec cette génération de dessinateurs à la fin du XIXe siècle. « Tous ces codes graphiques sont encore encore utilisés aujourd’hui en BD », souligne Jennifer Heim.

L’exposition consacre une salle à cinq dessinateurs « particulièrement remarquables » : l’affichiste Théophile Alexandre Steinlein Firmin Bouisset, le dessinateur du petit écolier de Lu ; Christophe, le père de La famille Fenouillard ou du Savant Cosinus, Benjamin Rabier, immense dessinateur entre autres de La Vache qui rit, Gédéon, et enfin O’Galop qui a participé, avec Émile Cohl et de Lortac, à la naissance du dessin animé.

« Nous tenons dans chacune de nos expositions à faire un clin d’œil à un artiste contemporain », conclut Christelle Rochette. L’exposition s’achève ainsi sur un espace investi par l’artiste photographe Philippe Pétremant, où sont exposés ses clichés de bulles extraites de centaines d’albums, collées sur un fond noir. Ces textes « surgissent des ténèbres comme de nulle part », explique le photographe, dont les images nous replongent, d’une bulle, dans les lectures BD de notre enfance...

Renseignements pratiques
Exposition Aux origines de la bande dessinée : l’imagerie populaire
Musée de l’Image — 42 quai de Dogneville — 88000 Épinal
Jusqu’au 2 janvier 2022
Site Internet : https://museedelimage.fr/le-musee-2/les-salles-temporaires/149-aux-origines-de-la-bande-dessinee-l-imagerie-populaire
Page Facebook : https://www.facebook.com/museedelimage/

Laurence Houot
France Télévisions

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