LA FRANCE PITTORESQUE
Licornes : symbole d’Amiens et emblème
des armoiries de la ville
(Source : France 3 Hauts-de-France)
Publié le jeudi 15 juillet 2021, par Redaction
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Symbole de pureté ou figure du diable pour certains, la licorne est restée au fil du temps un emblème singulier pour la ville d’Amiens. Mais d’où vient cet animal légendaire figurant sur les armoiries de la ville ? Il faut remonter au XIIIe siècle pour tenter d’y voir un peu plus clair.
 

Assimilée aujourd’hui au club de football d’Amiens, a licorne est en réalité présente sur les armoiries de la ville. Et pour tenter d’en obtenir sa signification, il va falloir remonter très loin dans le temps.

Cherchons du côté des sceaux
Même si l’historien Hyacinthe Dusevel parle en 1832 de l’apparition des armoiries d’Amiens en 1185 sous Philippe Auguste, sans preuve, impossible d’affirmer si cette date est bien la bonne. « Il est bien gentil, mais il ne s’appuie sur aucun sceau, on n’a aucun document iconographique », sourit Dominique Delgrange.

Carte maximum portant le timbre émis le 23 juillet 1962 dans la série Armoiries des villes de France et l'oblitération premier jour
Carte maximum portant le timbre émis le 23 juillet 1962 dans la série Armoiries des villes
de France
et l’oblitération premier jour

Alors le secrétaire général de la Société française d’héraldique et de sigillographie (SFHS) est allé jeter un œil aux Archives nationales. « Le premier sceau de la ville d’Amiens qui apparaît, c’est au XIIIe siècle, en 1228, précise Dominique Delgrange. Il y a d’abord six têtes centrées autour d’une rose. Ces têtes sont là pour symboliser le conseil échevinal. Et puis, entre, il y a des fleurs de lys. Ici, il faut être prudent parce qu’elles reviennent tellement sur des sceaux de villes et en particulier sur celles qui ne dépendent pas directement du roi de France, comme certaines villes de Flandres, qu’il ne faut pas s’attacher forcément à y voir un symbole royal. Dans ce cas-là, on ne peut pas dire qu’il s’agisse vraiment d’une marque héraldique. »

Première trace des armoiries : les deux écus
Tentons alors d’en savoir plus avec le deuxième sceau de la ville d’Amiens présent aux Archives nationales. « Là, on peut parler d’héraldique, affirme-t-il. On est au XVe siècle et la fleur de lys est accostée de deux petits écus. Malheureusement l’empreinte est un petit peu fatiguée, mais on voit que les deux petits écus sont surmontés de trois fleurs de lys. Et en dessous, on ne peut pas bien se prononcer, mais on a l’impression qu’il n’y aurait pas encore de décors. Mais c’est à prendre avec précaution. Ce serait en tout cas la première apparition d’une vraie armoirie. »

On se réfère alors seulement à des suppositions. « Antérieurement au règne de Louis XI, les armes d’Amiens étaient probablement de gueules plein, au chef semé de fleurs de lys d’or », écrivent Jean Estienne (directeur des Archives départementales de la Somme de 1950 à 1983) et Mireille Louis (artiste héraldiste) dans l’Armorial du Département et des Communes de la Somme en 1972.

La même composition sera reprise pour le sceau suivant en 1586. Ici, le dessin est plus net et l’on distingue une sorte d’arabesque à l’intérieur de l’écu. « Par la suite, l’usage s’établit de charger le champ de l’écu de branches d’argent, qui furent interprétées d’abord comme de l’osier puis, comme du lierre. Ces deux plantes, l’osier qui sert à lier, le lierre, qui s’attache et symbolise la fidélité, sont l’expression graphique de la devise Liliis tenaci vimine jungor, je suis attaché au lis de la France par un lien solide », décryptent Jean Estienne et Mireille Louis.

Sceau de la ville d'Amiens représentant une fleur de lys et deux écus (XVe siècle)
Sceau de la ville d’Amiens représentant une fleur de lys et deux écus (XVe siècle).
© Crédit photo : Archives nationales

XVIIe siècle : la période de flou
Mais point de licorne en vue pour le moment... Nous faisons donc un bond dans le temps au début du XVIIe siècle. Pierre de La Planche, prêtre et bibliothécaire de l’Oratoire, a écrit deux armoriaux consacrés aux villes et aux provinces françaises, conservés par la bibliothèque du château de Chantilly, dont le premier de 1646 comprend 1100 blasons. L’intérêt c’est qu’ici, les dessins des armoiries sont en couleurs.

Sur la page dédiée à la ville d’Amiens, l’on reconnaît immédiatement l’écu au chef d’azur, c’est-à-dire bleu, semé de fleurs de lis d’or. La partie basse, la pointe de gueulles, c’est-à-dire rouge, a une vignette, une petite vigne, de sable entortillée, peut-on lire en description. « Bon, là on a un flou, s’arrête Dominique Delgrange, il nous décrit cela comme étant du sable sur gueule, donc du noir sur fond rouge. Cela ne répond pas à la loi d’alternance qui veut que seul un métal, argent ou or, soit placé sur un émail bleu, rouge et vert, de manière à ce que ce soit plus lisible. C’est une règle qui est en général très respectée. On a donc ici une fantaisie. »

Dominique Biendiné, membre de la Société française d’héraldique et de sigillographie, a une autre hypothèse : « Je pense plutôt qu’il ne savait pas exactement comment était représenté le dessin. À l’origine, la vignette était peut-être peinte en argent dans l’ouvrage qu’il a consulté et a noirci au fil du temps. C’est comme cela que la plupart des erreurs arrivent. D’où l’importance des textes avec les descriptions précises. »

Autre référence : le catalogue des armoiries édité en application de l’édit de 1696. Celles-ci devaient y être répertoriées moyennant le paiement d’une taxe. « Pour un particulier c’était 23 livres et demi soit presque un mois de salaire pour un ouvrier agricole, précise le secrétaire général de la SFHS. Tout le monde n’était pas prêt à dépenser un mois de salaire pour avoir le plaisir d’avoir ses armoiries enregistrées dans un grand livre. »

Vraisemblablement, la ville d’Amiens n’a pas dû se précipiter au bureau de l’armorial et s’est retrouvée avec des armoiries taxées d’office. « On leur a donc inventé de nouvelles armes, aux trois fleurs de lys, celles que l’on trouve sur les sceaux. Et en dessous, on n’a pas trop déformé l’écu avec une partie bleu et une partie rouge. Mais visiblement, elles n’ont pas dû avoir trop de succès puisque après l’on retrouve les armoiries décrites plus tôt. »

Sceau de la ville d'Amiens représentant une fleur de lys et deux écus en 1586
Sceau de la ville d’Amiens représentant une fleur de lys et deux écus en 1586.
© Crédit photo : Archives nationales

La licorne, dans le goût de l’époque
XVIIIe siècle, nous sommes sous Louis XV et enfin les licornes sont présentes sur les armoiries de la ville, à l’instar de ce jeton de la chambre de commerce datant de 1751. « Le chef de France est toujours là, l’arbuste est revenu et l’écu est tenu par deux licornes, ça c’est une nouveauté, détaille Dominique Delgrange. C’est un animal qui est rare dans le bestiaire héraldique au départ, puis elle commence à connaître un certain intérêt avec la fameuse tapisserie de la Dame à la Licorne (début XVIe siècle). Elle aura ensuite un franc succès au XVIIe et au XVIIIe siècle. On est donc dans le goût de l’époque. » Effectivement, selon une autre représentation datant de 1653, les licornes supportent déjà l’écu de forme ovale. On peut donc penser que leur apparition date du XVIIe siècle.

Selon les bestiaires et les ouvrages, la description de la licorne peut varier. Mais selon l’historien, Michel Pastoureau, « tous en font un animal hybride, qui emprunte différentes parties du corps à d’autres animaux. » En revanche, « elle seule possède au milieu du front une corne rectiligne, très brillante, très longue, trois pieds, quatre pieds, parfois plus », précise-t-il dans son ouvrage Bestiaires du Moyen Âge en 1995. Cette corne aurait ainsi pour vertu principale d’éloigner les démons et de purifier tout ce qu’elle touche.

D’autres auteurs XIIIe siècle, toujours selon Michel Pastoureau, considèrent au contraire l’animal comme une bête cruelle, une figure du diable qu’il est possible d’attraper seulement par l’odeur de la virginité, « c’est-à-dire la vertu du bien et des bonnes œuvres. »

A priori rien n’indique précisément pour quelle raison elle fut choisie par la ville d’Amiens. Elle existe également sur les armoiries de l’Écosse et d’autres villes de France comme Saint-Lô en Normandie et Saverne en Alsace. « Il peut y avoir des tas de raison pour lesquelles on a choisi la licorne, estime Dominique Biendiné. Les ornements extérieurs ne répondent pas à des règles précises et sont beaucoup plus fantaisistes. Autant il y a une réglementation par rapport au blason, autant les ornements extérieurs c’est de l’art décoratif. Cela peut être la traduction du sentiment de l’auteur ou une référence historique, religieuse... Mais après pour connaître exactement le contexte, on entre dans le domaine de l’histoire et plus dans le domaine héraldique. »

À Amiens, les licornes ne seront pas toujours présentes, parfois remplacées par des feuilles de chêne selon l’esthétique du moment. « Il y a une certaine homogénéisation en particulier avec la couronne au-dessus. On généralise cette couronne murale qui en héraldique moderne serait réservée aux villes », décrit Dominique Delgrange.

Armoiries d'Amiens avec les licornes comme support en 1653. Gravure extraite du Recueil des dernières et principales ordonnances qui concerne la garde de la ville d'Amiens
Armoiries d’Amiens avec les licornes comme support en 1653. Gravure extraite
du Recueil des dernières et principales ordonnances qui concerne la garde de la ville d’Amiens.
© Crédit photo : Archives départementales de la Somme

Le temps des abeilles
Vient ensuite la Révolution, l’abolition de la monarchie et donc la suppression des armoiries en 1792. Mais elles réapparaissent durant le Premier Empire avec un autre dessin. Pour signifier une rupture avec la royauté, un blason alternatif de la ville a existé durant quelques années. En 1809, durant le Premier Empire, les lys ont été remplacés par des abeilles impériales sur fond rouge et non plus bleu. Plus question en effet, sous Napoléon Ier, de faire référence à la monarchie. Symbole d’immortalité et de résurrection, il n’était donc pas anodin de retrouver des abeilles sur les blasons de l’époque.

Les fleurs de lys ont ensuite refait leur apparition sous la Restauration, revenant aux armoiries d’avant la Révolution. « Sous le Second Empire, on n’a pas voulu tout changer, on a gardé un fond bleu et on a simplement mis des abeilles dorées », précise Dominique Delgrange. Dans les rues d’Amiens, ce blason existe toujours sur d’anciennes potences d’éclairage public. « Il en subsiste une rue Porion et une rue Caudron. On trouve également des abeilles impériales sur l’ancienne entrée du Musée de Picardie en décoration des lettres E pour l’impératrice Eugénie et N pour Napoléon III », indique le service patrimoine de la métropole d’Amiens.

Eline Erzilbengoa
France 3 Hauts-de-France

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