LA FRANCE PITTORESQUE
XIVe siècle (Costumes
des hommes et des femmes au)
(D’après un article paru en 1846)
Publié le dimanche 17 janvier 2010, par LA RÉDACTION
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Le chaperon fut la coiffure nationale des anciens Français, de même que le cucullus d’où il tira son origine avait été la coiffure nationale des Gaulois. On peut s’en faire une idée très juste d’après nos capuchons de domino. Cette forme s’altéra de diverses manières sous le règne de Philippe-le-Bel, soit par la suppression de la pèlerine, soit par l’allongement de la cornette à laquelle on donna des dimensions suffisantes pour la faire retomber sur les épaules.

Chaperon mis en casquette. D'après une miniature d'environ 1310.

Chaperon mis en casquette.
D’après une miniature
d’environ 1310.

Dans la première de ces modifications, le chaperon, cessant de s’attacher autour du cou, eut besoin d’être retenu sur la tête par quelque chose de consistant. On le monta donc sur un bourrelet, ce qui le transforma en une véritable toque. En bâtissant l’étoffe de la coiffe sur le bourrelet, ou lui fit faire certains plis pour rappeler ceux qu’elle produisait d’elle-même lorsqu’elle n’était pas soutenue. Bientôt la fantaisie disposa ces plis de mille manières étranges : en bouillons, en fraises, en crête de coq. La façon en crête de coq ou coquarde, fut surtout bien portée. Elle fit entrer dans la langue l’épithète de coquard qui s’est longtemps appliquée à ce que nous appelons de nos jours un dandy.

Les chapeaux
Les chapeaux étaient de plusieurs formes : pointus, cylindriques, hémisphériques avec un appendice saillant au sommet. On les faisait de divers feutres, soit de bièvre (loutre), soit de poil de chèvre, soit même de bourre de laine et de coton. La fabrication de chaque espèce de chapeau constituait une industrie à part. A Paris, les chapeliers de bièvre étaient soumis à un ancien statut d’après lequel il leur était interdit d’augmenter par des apprêts la raideur de leurs feutres. En 1323, ils vinrent demander au prévôt la permission de réformer cet article, « pour ce que chacun demandoit nouvelleté et novias chapias de pluseurs diverses guises et len ne les povoit fere sans appareil souffisant », c’est-à-dire pour répondre au caprice d’une foule de chalands qui demandaient des formes de chapeau d’une confection impossible si le feutre n’eût été spécialement apprêté pour cela. On leur permit d’empeser les feutres blancs et les gris, mais non les noirs.

Les chapeaux de paon, confectionnés par les paonniers, étaient un objet du plus grand luxe. Des plumes de paon cousues l’une sur l’autre en revêtaient l’extérieur. Ils avaient toujours la forme pointue.

Quant à l’expression de chapeau de fleurs qui revient à chaque instant dans les anciens auteurs, elle désignait non pas une forme particulière de chapeau, mais une couronne de bluets ou de roses, ornement de tête que l’Antiquité avait transmis aux gens du Moyen Age, et qui se maintint jusqu’au règne de Philippe de Valois, comme partie indispensable du costume de bal ou de festin. On aurait peine à se figurer le nombre de bras qu’occupait, en 1300, la seule industrie des chapeaux de fleurs. Outre qu’elle était fructueuse, elle conférait à ceux qui l’exerçaient la jouissance de plusieurs exemptions et privilèges, privilèges à eux dûs, disent les anciens règlements, comme à gens occupés pour le plaisir des gentilshommes.

Les fronteaux firent tomber les chapeaux de fleurs. On appelait ainsi des diadèmes composés d’un galon de soie, d’argent ou d’or sur lequel l’art du joaillier disposait en rosaces des groupes de perles et de pierreries. Cet ornement avait sur les fleurs l’avantage de ne pas se flétrir. Il avait aussi le mérite de coûter beaucoup plus cher et d’établir d’une manière encore plus voyante la démarcation entre les grandes et les petites fortunes. Cette dernière considération fut probablement ce qui rendit son succès décisif.

Les manteaux

Seigneurs. D'après deux miniatures du règne de Philippe-le-Bel.

Seigneurs. D’après deux miniatures
du règne de Philippe-le-Bel.

Lorsque les poètes du Moyen Age veulent décrire un riche costume, c’est surtout sur le manteau qu’ils accumulent les traits de leur imagination. Déjà, dans le roman de Garin le Loherain, on voit cette preuve du luxe des manteaux :

Et le mantel à son col li pandi, Riche d’orfrois de paille alexandrin.

Et il lui mit au cou son manteau de soie brochée d’Alexandrie richement galonné d’or.

Nous citons cet exemple sur mille. De même, dans le Roman de la Violette, qui est postérieur au Garin d’au moins cent cinquante ans :

Et mantel ot d’ermine au col
Plus vert que n’est feuille de col,
A flouretes d’or eslevées,
Qui moult sont richement ouvrées.

Le manteau attaché à ses épaules était plus vert que feuille de chou et semé de rosaces brodées en or du travail le plus somptueux.

Les comptes de dépenses et autres documents financiers qui abondent dans nos archives, confirment pleinement le dire des poètes en rapportant les fournitures de velours, de soie, de martre et de petit-gris, qui se faisaient dans les maisons princières pour la confection des manteaux.

Il y avait deux sortes de manteau. L’un était ouvert par devant et tombait sur le dos ; une bride qui traversait la poitrine le tenait fixé sur les épaules. L’autre, enveloppant le corps comme une cloche, était fendu sur le côté droit et se retroussait sur le bras gauche ; de plus, il était accompagné d’un collet de fourrure taillé en guise de pèlerine. Par son ampleur et la magnificence de ses plis, ce dernier rappelait la toge romaine. On l’appelait manteau à la royale parce qu’il faisait partie du costume des rois, et l’usage s’en est perpétué jusque dans les temps modernes avec cette destination. Les premiers présidents de nos cours de justice le portent aussi sous la double dénomination de toge et d’épitoge. Cet insigne leur a été attribué en mémoire du costume des premiers présidents des parlements qui, eux seuls, l’avaient conservé, quoique dans l’origine, lorsque Philippe-le-Bel établit les parlements de Paris et de Toulouse, ainsi que la Chambre des comptes : il voulut que tous les officiers de ces cours souveraines portassent le manteau royal comme un emblème de l’autorité qu’il leur déléguait.

Chemise et chape
On a coutume de regarder la chemise comme un vêtement d’invention moderne, et rien n’est plus erroné, car, au contraire, nous tenons la chemise directement de l’Antiquité. Il n’y a de nouveau que l’usage universel qu’on en fait aujourd’hui. Saint Jérôme parle de la chemise (camisia) comme d’une pièce que, de son temps, tous les soldats portaient dans les armées romaines. On conçoit en effet que les militaires qui ne pouvaient pas donner à leur corps des soins continuels, aient eu besoin d’un vêtement intermédiaire entre la tunique et la peau. Leur pratique fut adoptée par les barbares et transmise par ceux-ci aux hommes du Moyen Age qui exerçaient la profession des armes.

Les plus anciennes Chansons de geste ne décrivent pas un adoubement de chevalier où la chemise ne figure comme pièce indispensable. Divers traits racontés par les chroniqueurs confirment sur ce point le témoignage des poètes. Guibert de Nogent, entre autres, raconte quelque part la présence d’esprit d’un croisé qui, dans un moment critique, rallia l’armée chrétienne en faisant un drapeau du pan de sa chemise qu’il arbora après sa lance. On peut inférer de cette anecdote que la coupe des chemises était dès le temps des croisades ce qu’elle est aujourd’hui. Il y a plus. Il est souvent question dans les auteurs du treizième siècle de chemises ridées, c’est-à-dire plissées ; et, vraisemblablement, on ne leur donnait cette façon que pour les montrer autour du cou. Ainsi donc, tout est ancien dans la chemise, même la parade qu’on en peut faire comme d’un objet de luxe.

Femme coiffée à la mode des premières années du XIVe siècle

Femme coiffée à la mode des premières
années du XIVe siècle

Pour compléter notre revue de l’habillement, il nous reste à parler d’une pièce qui ne cessa jamais d’être un objet de pure utilité, on pourrait dire un meuble. Nous voulons parler de la chape, seule garantie qu’aient eue contre le mauvais temps les générations qui ne connurent ni les voitures commodes ni les parapluies. La chape, aussi nommée chape de pluie à cause de son usage, était une grande pelisse à manches, et d’une étoffe dont l’imperméabilité faisait tout le mérite. Elle était portée derrière le maître par un domestique à qui cette fonction faisait donner le nom de porte-chape. On comptait cinq de ces valets à la cour de Philippe-le-Bel, pour le seul service du roi. Ils avaient la nourriture, l’entretien et, pour gages, quatre deniers par jour. Bien entendu, les gens du commun, qui n’avaient pas le moyen d’entretenir de ces domestiques, portaient eux-mêmes leur chape troussée en bandoulière ou pliée sous le bras. Il était d’usage que les pèlerins demeurassent toujours vêtus de la leur.

Toilette des femmes
A l’exception des braies, toutes les pièces composant le costume masculin se retrouvaient dans celui des femmes. Il n’y avait pas jusqu’aux dénominations qui ne fussent les mêmes. La différence du costume des deux sexes ne résidait que dans la façon. Ainsi, par exemple, la cotte et la cotte hardie des femmes étaient traînantes ; leur chapeau n’affectait pas la forme conique et n’était pas de feutre ; leur chaperon, toujours muni de ses appendices, pèlerine ou chausse, ne se retroussait jamais pour prendre la forme dégagée d’une toque.

La cotte hardie était donc traînante ; elle était de plus flottante et ne se ceignait pas, quoique, vers le milieu du corps, elle se rétrécissait de manière à en marquer tant soit peu le contour. Comme celle des hommes, elle se doublait de fourrure, et Dieu sait combien son ampleur augmentait le prix de cette opération. Les maris, cependant, eussent été trop heureux si cette ruineuse pièce de dessus les eût dispensés (comme cela aurait pu se faire à la rigueur) de toute dépense pour le costume de dessous. Mais la coquetterie ne tint compte du parti qu’on pouvait tirer du surcot au point de vue économique. Comme il cachait la cotte partout, excepté aux manches, on le retroussa pour faire voir qu’on portait des jupes en soie brochée. De même, comme de temps immémorial on avait accoutumé de juger du ton d’une femme d’après la richesse de sa ceinture, et que les dames ne voulaient pas renoncer à une pièce de cette importance, pour la faire briller à la place qu’elle occupait, entre la cotte et le surcot, on fendit ce dernier au-dessus des hanches, à droite et à gauche. Les prédicateurs du temps appellent ces ouvertures des fenêtres d’enfer, par où, selon eux, se montraient les démons de la prodigalité.

Bourgeoise avec l'aumusse, d'après un tombeau de 1330

Bourgeoise avec l’aumusse,
d’après un
tombeau de 1330

Le chapeau des femmes ne s’appelait pas chapeau, mais couvrechef. Comme celui de nos dames, il consistait en une carcasse recouverte d’étoffe. La carcasse était alors de parchemin. L’étoffe, de drap fin, de soie ou de velours, recevait d’ordinaire un genre de décoration en paillettes et en filigranes. Il faut noter encore que le couvrechef n’avait pas de passe et que sa forme était celle d’un mortier de juge. L’usage, au reste, ne s’en prolongea guère au-delà de 1310.

Alors vint l’habitude de se coiffer en cheveux avec des filets de soie ou crépines que l’on accompagnait soit d’un fronteau, soit d’un cercle d’orfèvrerie, soit d’une voilette en une gaze qu’on appelait mollequin. Voilette, crépine, couvrechef, tous ces objets de parure étaient interdits aux veuves, lesquelles, à l’imitation des religieuses, ne pouvaient paraître en public qu’avec une guimpe qui leur enveloppait la tête, les oreilles, le menton et le cou.

La parure, objet d’une règlementation
Nous avons énuméré sommairement, non pas décrit dans leur détail, les pièces qui composaient le costume au quatorzième siècle, et la variété seule de ces objets suffit pour qu’on juge à combien d’articles de luxe s’adressait déjà la consommation. En raison des demandes faites par le commerce, la production augmentait partout où elle avait son siège ; et même, dans les pays qui jusque-là avaient été dénués de toute industrie, des hommes intelligents commençaient à voir la possibilité de naturaliser les professions qui enrichissaient l’étranger. Tel était le résultat de la prospérité relative qui s’était fait sentir pendant le treizième siècle, surtout depuis le règne de saint Louis. L’argent commençait à circuler ; la parure était la chose à laquelle on l’employait le plus volontiers, et des dépenses faites pour la parure naissaient l’art et la richesse.

L’Église, sans voir les avantages éloignés de cet état de choses, s’alarma d’un goût qui ne tendait que chez un trop grand nombre à dégénérer en fureur. Elle adjura les hommes d’État de réprimer ce qu’elle prenait pour un symptôme de la dissolution des moeurs ; et, comme ses terreurs étaient assez instillées par les anathèmes des législateurs antiques contre le luxe des habits, on en revint au système des lois somptuaires. Philippe-le-Bel rendit, dès l’an 1294, une suite de dispositions qu’on regarde comme le fondement de la législation française sur la matière. Jusqu’alors, il n’y avait eu que des prohibitions de circonstance, prononcées par les conciles ou par les synodes provinciaux comme mesures de pure discipline, l’ordonnance de 1294 régla ou prétendit régler, par la sanction d’une amende, la tenue et l’entretien de chaque classe de la société.

Voici les principales dispositions de ce vieux règlement :

« Nul bourgeois ni bourgeoise ne portera vair, ni gris, ni hermine, et ils se déferont, de Pâques prochain en un an, de celles de ces fourrures qu’ils pourroient avoir présentement. Ils ne porteront non plus ni or, ni pierres précieuses, ni couronnes d’or ou d’argent. « Nul clerc, à moins d’être prélat ou de rang à tenir maison, ne pourra porter vair ni gris, si ce n’est pour la garniture de son chaperon tant seulement. « Les ducs, les comtes, les barons de six mille livres de terre (c’est-à-dire possédant en biens fonds une somme qui représente environ 500 000 fr. de notre monnaie) ou au-dessus, pourront se faire faire quatre habillements par an, pas davantage, et les femmes autant.
« Nul chevalier ne donnera à ses compagnons plus de deux paires de robes par an (paire de robes signifie la cotte accompagnée du surcot).
« Les simples prélats n’auront que deux paires de robes par an, et les simples chevaliers n’en auront que deux paires également, soit qu’on les leur donne, soit qu’ils les achètent.
« Les chevaliers possesseurs de trois mille livres de terre ou plus, ainsi que les bannerets, pourront avoir trois paires de robes par an et non davantage ; et l’une de ces trois paires devra être pour l’été.
« Nul prélat ne donnera à ses gens plus d’une paire de robes par an et deux chapes.
« Nul écuyer n’aura que deux paires de robes, par don ou par achat.
« Les domestiques n’auront qu’une paire par an.
« Nulle damoiselle, à moins d’être châtelaine ou propriétaire de deux mille livres de terre, n’aura qu’une paire de robes par an. »

Vient ensuite le règlement du prix des étoffes permises à chaque condition. Ce prix, pour les seigneurs du plus haut parage, ne doit pas excéder 25 sous tournois l’aune. Il est fixé à 18 sous pour les châtelains, les bannerets et les chevaliers de leur suite ; à 16 pour les clercs revêtus d’une dignité ; à 15 pour les écuyers fils de bannerets et de châtelains ; à 12 pour les clercs ordinaires et les bourgeois de 2 000 livres, avec faculté à ceux-ci de faire porter à leur femme des étoffes de 16 sous l’aune ; à 10 sous pour les écuyers vivant de leur propre et pour les petits bourgeois ; enfin, à 7 sous pour les petits nobles vivant du patronage des grands.

Ces minutieuses prescriptions et distinctions n’aboutirent à rien. Soit que l’ordonnance fût trop difficile à exécuter, soit qu’on aimât mieux l’enfreindre au prix de l’amende dont elle frappait les délinquants, en l’an 1300, les cris des moralistes contre la dissolution des habits étaient plus désespérés que jamais. Les riches, sans acception de caste, ne cherchaient qu’à s’éclipser entre eux, et, par suite de cette folle émulation, des fortunes magnifiques allaient s’engloutir dans les comptoirs des marchands étrangers, lesquels, malheureusement, empilaient plutôt qu’ils ne rendaient par la circulation au commerce leur bienfaiteur.

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