LA FRANCE PITTORESQUE
1927 : Dijon accueille un éphémère
Grand Prix de Bourgogne
(Source : Le Bien public)
Publié le jeudi 8 avril 2021, par Redaction
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En mai 1927, Dijon s’apprête à accueillir la première édition d’une épreuve automobile alliant vitesse et endurance : les Six heures de Bourgogne. Ce rendez-vous, qui a, à l’époque, attiré des dizaines de milliers de spectateurs, est aujourd’hui tombé dans l’oubli, et seuls quelques passionnés connaissent encore son existence.
 

Parmi ces passionnés, il y a Nicolas Pascual, étudiant bisontin originaire d’Arbouans (Doubs). Fana d’histoire des sports automobiles, il s’est mis en tête de (re)découvrir l’histoire de compétitions oubliées. Ses travaux mettent en lumière l’histoire de ce grand prix dont quasiment aucune trace n’est parvenue jusqu’à nous.

Au début du XXe siècle, la France est la capitale du sport automobile
La France est, en 1927, encore le centre mondial du sport automobile, même si ce statut commence à lui échapper au profit des États-Unis. Cela fait plus de 20 ans que le pays s’est pris de passion pour les courses, trophées et autres raids. Nombre de ces épreuves ont un but : repousser les limites des pilotes et des véhicules. C’est ainsi que des raids dantesques voient le jour, dès les années 1900. Le raid New York-Paris, qui s’est tenu en 1908, a ainsi demandé à ses participants de parcourir 34 500 kilomètres en sept mois.

Le départ du raid New York-Paris, en 1908, course d'une durée de sept mois, d'une distance de 34 500 kilomètres, et à laquelle six équipages participent, dont trois français
Le départ du raid New York-Paris, en 1908, course d’une durée de sept mois, d’une distance
de 34 500 kilomètres, et à laquelle six équipages participent, dont trois français

Les années 1920 sont, elles, marquées par la création de plusieurs épreuves d’endurance (dont certaines existent toujours aujourd’hui) et par la construction de circuits entrés dans l’histoire. C’est en 1923 qu’ont lieu les premières 24 Heures du Mans, et en 1929 qu’est imaginé le tracé du Grand Prix de Monaco. Ce mouvement dépasse les frontières de la France : le Nürburgring, en Allemagne, est inauguré, lui, en 1927.

C’est dans ce contexte que l’Automobile-Club de Bourgogne (ACB) a décidé, en 1926, de créer à Dijon un Grand Prix. Il faut dire que, si elle n’abrite alors pas de constructeur automobile, Dijon se targue d’être la « Birmingham française », et d’accueillir une importante population de motards — ou, comme on dit alors, de motocyclistes — et une industrie florissante en lien avec les deux roues. Il paraissait donc normal qu’une ville autant motorisée ait sa propre course.

Son tracé : un triangle partant de la ferme de Valmy, au nord de Dijon, puis passant à Norges-la-Ville et Savigny-le-Sec, avant un retour à Dijon, au lieu-dit le « rendez-vous des chasseurs », marqué par un virage en épingle très serré. Au total, cela représente un tour de 17,5 kilomètres, que les pilotes doivent parcourir pendant six heures, ce qui donne à l’épreuve son nom : les Six Heures de Bourgogne.

L’organisation de la course, stands, haut-parleur, tableau d’affichage et garages se trouvent à la ferme de Valmy, aujourd’hui disparue, qui se situait au nord du parc du château de Pouilly. Pour financer l’épreuve, outre les droits d’inscription (établis à 500 francs, une somme assez importante pour l’époque), les organisateurs ont lancé une grande souscription publique, permettant de participer à une tombola.

Il faut noter que cette compétition est mixte. S’il existe alors quelques compétitions réservées aux femmes pilotes (qui sont alors bien plus nombreuses qu’aujourd’hui), la plupart des épreuves officielles permettent à des femmes de se mesurer à des hommes.

La première édition du Grand Prix
Le 26 mai 1927, sur la ligne de départ, les véhicules sont classés en deux catégories : les voitures de course, en lice pour le Grand Prix de Bourgogne, et les voitures de sport, dont les résultats comptent pour la coupe Yacco (du nom du fabricant d’huile de moteur). Quinze concurrents sont sur la ligne de départ : onze dans la première catégorie, plus rapide et plus technique, et quatre dans la seconde. Il semble qu’aucune pilote ne fasse partie des concurrents.

Un abandon est enregistré, après que le véhicule numéro 14 a menacé de prendre feu. En fin de journée, le journaliste du Bien public qui couvre l’événement ne mâche pas ses mots : « une magnifique épreuve », « sans précédent dans la région » ayant attiré des « milliers de spectateurs ». Cela ne l’empêche pas d’exprimer quelques critiques. D’après lui, la disposition des tribunes est à revoir, puisque la vue depuis lesdites tribunes était obstruée par des affichages publicitaires. Plus prosaïquement, il regrette que la route empruntée par les bolides ne soit quasiment pas « macadamisée », quand elle n’est pas tout simplement défoncée, au niveau du « rendez-vous des chasseurs ». Il avoue aussi avoir assisté à l’épreuve avec une certaine appréhension, l’un des virages lui paraissant dangereux.

Janine Jennky au volant de sa Bugatti Type 35C, au numéro 74 lors de la Coupe de Bourogne 1928. En médaillon : après sa victoire à Dijon. Photographies publiées dans Le Sport universel illustré du 26 mai 1928
Janine Jennky au volant de sa Bugatti Type 35C, au numéro 74
lors de la Coupe de Bourogne 1928. En médaillon : après sa victoire à Dijon.
Photographies publiées dans Le Sport universel illustré du 26 mai 1928

1928 : une femme termine à la première place
En 1928, le format de l’épreuve — qui doit se tenir le 17 mai — change, et les Six Heures de Bourgogne deviennent la Coupe de Bourgogne, tandis que leur durée est réduite à quatre heures. En cause : la présence cette année d’une course réservée aux motos, qui a duré, elle deux heures, et qui a attiré une trentaine de deux-roues et side-cars.

En catégorie course — la plus prestigieuse et la plus exigeante —, la journée est marquée par la performance de Janine Jennky, sur sa Bugatti Type 35C. Initialement derrière le Monégasque Louis Chiron — l’un des plus grands pilotes de l’époque —, elle a effectué une spectaculaire remontée, explosant au passage les temps de l’édition 1927. En quatre heures, elle complète ainsi 28 tours, à une vitesse moyenne de 122,44 km/h. Son tour le plus rapide, bouclé en 7’41’’, l’a été à une vitesse moyenne de 137,17 km/h. À noter qu’une autre femme — l’Américano-irlandaise Lucy Schell — termine quatrième.

La victoire de Janine Jennky ferait d’elle la seule femme à avoir remporté un grand prix automobile mixte. Une belle réussite, puisque la jeune femme, précédemment chanteuse de cabaret et qui, selon les rumeurs de l’époque, aurait été la compagne du pilote Bugatti Albert Divo, ne s’était lancée dans le sport automobile que quelques années plus tôt (sa première apparition officielle remonte au rallye Paris-La Baule féminin de 1926).

Janine Jennky deviendra brièvement une star. Elle est la première femme à dépasser les 200 km/h (son record ne sera pas homologué car il n’existe alors pas record de vitesse féminin). Elle remporte de nombreuses courses féminines, rallyes, courses de côte ou d’endurance, battant même à plusieurs reprises la tchèque Eliška (ou Elizabeth) Junková, considérée alors comme la meilleure femme pilote.

Malheureusement, en 1929, il semble qu’elle ait été victime d’un accident ou d’une maladie l’ayant contrainte à mettre sa carrière de pilote entre parenthèses. Si elle reprend le volant par la suite, elle n’arrive plus à reproduire son exploit dijonnais. Janine Jennky, malgré un début de carrière brillant, va peu à peu disparaître des circuits et des journaux. Pour la petite histoire, la Bugatti Type 35C ayant apporté la victoire à Jennky a été vendue aux enchères, fin 2020, pour la somme de 3 935 000 £.

1929 : le chant du cygne pour le Grand Prix
Le Grand Prix de Bourgogne est de retour le 9 mai 1929 : pas moins de 27 concurrents attendent sur la ligne de départ : dix-sept participent à la coupe Rapusseau (catégorie course) et dix à la coupe du Matin (catégorie sport).

Le public est bien au rendez-vous, et le reporter du Bien public sur place estime le nombre de spectateurs à une quarantaine de milliers. Et le journaliste d’affirmer qu’aucun événement n’avait, à Dijon, attiré autant de monde jusque-là. Il espère que l’édition 1930 fasse encore mieux, et que l’épreuve confirme son statut de grande épreuve nationale, à laquelle participent les meilleurs pilotes de l’époque.

Une Bugatti Type 35C Grand Prix de 1925. Cette voiture domina la compétition automobile pendant plusieurs années et contribua à faire naître la légende Bugatti
Une Bugatti Type 35C Grand Prix de 1925. Cette voiture domina la compétition automobile pendant
plusieurs années et contribua à faire naître la légende Bugatti. © Crédit photo : The 7 Exclusive Journal

Pourtant, il n’en sera rien : pour des raisons difficiles à cerner, l’édition 1930 n’a pas lieu, et le Grand Prix de Bourgogne tombe dans l’oubli. En 1946, après la guerre, on tente brièvement de ressusciter le grand prix, avec une course qui, cette fois, se déroule à Dijon même, sur un circuit de deux kilomètres, à parcourir cent fois (pour les voitures de course) ou cinquante (pour les voiturettes). L’ancien résistant Jean-Pierre Wimille, peut-être le plus grand pilote de l’immédiat après-guerre, s’impose sur une Alfa Roméo. Mais l’expérience ne dure qu’un an. Il faudra attendre 1972 et l’ouverture du circuit Dijon-Prenois pour que le sport automobile retrouve réellement sa place à Dijon.

La disparition du Grand Prix de Bourgogne des mémoires n’est pas un fait unique. L’effervescence autour du sport automobile du début du XXe a donné lieu à une multiplication des courses. Et ce alors qu’il n’existait pas vraiment d’autorité centrale, au niveau national comme au niveau international, pour les encadrer et pour en suivre les résultats. Certaines de ces courses, pourtant très renommées à l’époque, ont disparu aussi rapidement qu’elles ont été créées, ne restant que dans les mémoires des spectateurs et des pilotes.

Mathieu Banq
Le Bien public

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