LA FRANCE PITTORESQUE
Château de Joux (Doubs) :
un site mémoriel d’exception
(Source : Le Dauphiné)
Publié le jeudi 1er avril 2021, par Redaction
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Juché sur son éperon rocheux, le château de Joux, dans le Doubs, n’est pas seulement un ouvrage remarquable. Son riche passé l’inscrit également dans la mémoire haïtienne et, plus largement, dans l’histoire de l’esclavage. Explications.
 

Au cœur d’enjeux de pouvoir en pleine période féodale, disputé par la suite par le Saint-empire germanique, le royaume de France ou la couronne d’Espagne, tiraillé entre ambition savoyarde et pouvoir français, prison de personnages illustres, site touristique patrimonial...

Le château de Joux possède une histoire dont les strates se superposent à l’infini. Ses 45 000 visiteurs annuels ne se rendent pas ici uniquement pour apprécier ce patrimoine exceptionnel, cette situation remarquable au faîte d’un éperon rocheux, mais également pour apprécier son histoire ou se recueillir. Laurène Mansuy, la directrice de ce château géré par la communauté de communes du grand Pontarlier, nous conte son histoire.

Château de Joux (Doubs)
Château de Joux (Doubs)

Un passé féodal
« Les premières mentions du château dans les archives remontent à 1034 », commence Laurène Mansuy. De fait, ici, l’emplacement est très intéressant. « La Cluse de Pontarlier, faille du massif du Jura, permet de traverser la montagne. C’est donc une voie commerciale extrêmement empruntée depuis le néolithique sans doute. Pendant toute la période médiévale, le château appartient aux sieurs de Joux », explique la directrice du château.

La physionomie du château, à cette époque, est assez mal connue. « Dans les hypothèses, on imagine qu’à partir du XIIe siècle, il aurait au minimum deux enceintes, dont l’une avec un donjon. L’éperon rocheux est vraiment intégré aux fortifications. La fortification est prise dans le rocher », se permet toutefois de dire la directrice.

Au cœur d’enjeux de pouvoirs
À la toute fin du Moyen Âge, alors que le château appartient désormais au duc de Bourgogne, il existe un conflit exacerbé entre ce dernier et le roi de France, à savoir entre, respectivement, Charles le téméraire et Louis XI. « Le château est vraiment un objet de convoitise. Il est plusieurs fois assiégé, notamment par les Suisses, alliés à la France. Le château passe alors d’une main à l’autre », explique Laurène.

Pendant cette période, le château est refortifié. On associe une grosse tour d’artillerie au porche d’entrée puisqu’à la fin du XVe siècle, l’artillerie est de plus en plus utilisée. Les boulets de fer font bien plus de dégâts que les boulets de pierre. « D’où l’épaisseur des murs de la tour d’artillerie, qui existe toujours et qu’on appelle aujourd’hui, la tour du Fer à Cheval. Elle permet une vision à 360 degrés du territoire environnant. »

Du délabrement à la reprise en main par Vauban
Au XVIe siècle, le château passe dans les possessions de la couronne d’Espagne, comme l’ensemble de la Franche-Comté. Il est alors délaissé. Au début du XVIIe, la foudre tombe même sur la tour de munition, qui explose. Ce qui n’arrange pas l’état du château.

Échauguette du château de Joux
Échauguette du château de Joux

À la fin du XVIIe siècle, le château entre finalement dans le royaume de France lorsque la Franche-Comté est conquise par Louis XIV. L’ingénieur militaire Vauban est envoyé faire le tour des places de la région. Il n’est pas très emballé par le château de Joux. Il est en mauvais état et il se situe, d’après lui, un peu trop loin de la ville de Pontarlier pour être stratégiquement intéressant.

Jusque dans les années 1680, il n’est pas prioritaire. Jusqu’à ce que les Savoyards se liguent contre Louis XIV. « Comme on craint une invasion par la Suisse, le château est rénové. Une cinquième enceinte est construite (plus tôt, Charles V en avait fait ériger une quatrième). On retrouve le tracé bastionné spécifique de Vauban. En outre, le château est toujours bien ancré sur son rocher. Un troisième pont-levis est installé. Les trois sont toujours visibles aujourd’hui même s’ils ne sont plus de l’époque de Vauban. Un projet de rénovation de ces pont-levis débutera d’ailleurs au printemps », précise la directrice.

Une prison d’État
Au XVIIIe siècle, le château est transformé en prison d’état. Il renferme des prisonniers prestigieux qui feront du site un haut lieu de commémoration. Outre l’histoire assez « romantique » de Mirabeau, celle de Toussaint Louverture ancre l’édifice dans le passé esclavagiste de la France.

« Il s’agissait d’un général de l’armée française en Haïti, qui était encore une colonie française et s’appelait alors Saint-Domingue. On y exploitait allègrement les esclaves. 30 000 colons blancs y vivaient contre 500 000 esclaves, qui se sont rebellés juste après la Révolution française. Ils obtiennent leur liberté en 1794, menés par Toussaint Louverture, devenu gouverneur. Napoléon envoie un contingent militaire sur place pour rétablir l’esclavage et s’emparer de Toussaint Louverture », raconte la directrice.

Un futur musée dédié à Toussaint Louverture
Toussaint Louverture sera enfermé, bien loin des mers, dans la prison de Joux. Il y mourra en 1803. « C’est donc un haut lieu de mémoire pour les Haïtiens, pour toute la communauté afro-descendante et pour toutes les personnes intéressées par l’histoire de l’esclavage. On a un tourisme mémoriel assez important ici. Les prochaines années vont connaître un grand programme de rénovation, dont l’ouverture d’un musée dédié à Toussaint Louverture et à la peinture haïtienne », se félicite Laurène.

De Séré de Rivières au tourisme
Dernier acte des travaux de fortification. Au XIXe siècle, au vu des progrès de l’artillerie, il faut protéger le château des tirs que l’on peut effectuer depuis la montagne du Larmont, juste en face, comme la prise du château par les Autrichiens au début du siècle l’a montré.

L'entrée du château de Joux : la Porte d'Honneur et la tour du Fer à Cheval
L’entrée du château de Joux : la Porte d’Honneur et la tour du Fer à Cheval

Dans les années 1840, un nouveau fort est donc construit : le fort du Larmont inférieur, ou fort Mahler, pour protéger le château. « À la fin du XIXe siècle, après la guerre de 1870, où l’empire de Napoléon III est aboli par l’invasion prussienne, le général Séré de Rivières, nouvellement en charge des fortifications, décide de refortifier la frontière de l’est. Le château est de nouveau transformé en 1879-1880. La cinquième enceinte est reconstruite et des bâtiments sont semi-enterrés pour amortir les tirs des canons », poursuit Laurène Mansuy.

Mais ces ultimes interventions ne serviront jamais. Après la Seconde Guerre mondiale, le château est démilitarisé. Il est ouvert à la visite depuis 1954 et vendu ensuite à une collectivité qui deviendra la communauté de communes du grand Pontarlier.

Adèle Duminy
Le Dauphiné

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