LA FRANCE PITTORESQUE
Site (Un) abbatial enfoui
dans les limons à Cruas (Ardèche)
(Source : Inrap (Institut National de Recherches Archéologiques Préventives))
Publié le jeudi 21 janvier 2021, par Redaction
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À Cruas, l’Inrap a mis au jour divers aménagements d’un complexe abbatial dont l’histoire se conjugue avec celle des inondations du ruisseau de Crûle
 

À Cruas, dans la vallée du Rhône, en limite orientale du département de l’Ardèche, l’aménagement d’un espace public ouvert en lieu et place d’un îlot d’habitation a donné lieu en novembre 2020 à une fouille mixte couplant étude de bâti et contextualisation sédimentaire. Elle fait suite à la découverte lors d’un diagnostic, à quelques encablures de l’abbatiale romane Sainte-Marie, d’énigmatiques maçonneries dans les caves des maisons vouées à la destruction.

L’abbaye, dont seule subsiste l’église, a été construite sur les ruines d’une domus gallo-romaine et d’un édifice paléochrétien fouillés dans les années 70. Les guerres de religion ont eu raison du cloître et d’une partie des bâtiments monastiques. Le site abbatial est dominé au sud-ouest par le bourg castral dans lequel les moines trouvèrent par la suite refuge jusqu’à la Révolution.

Église abbatiale de Cruas. En arrière-plan : le château féodal
Église abbatiale de Cruas. En arrière-plan : le château féodal

Les crues à répétition de Crûle
Mais ce sont les caprices torrentiels d’un ruisseau qui menèrent la vie dure à la congrégation dès la genèse de son implantation. L’histoire du complexe abbatial est tortueuse, et les reconstructions multiples, notamment du fait de la situation topographique. En effet, les crues répétées de Crûle (en langue d’oc, les ruisseaux et rivières n’ont pas d’article) ont lourdement marqué la vie de la localité jusqu’aux travaux de canalisation entrepris en 1875. Les apports des crues ont considérablement fait monter les niveaux d’occupation tant et si bien qu’avant sa désobstruction, on tenait l’office dans l’église sur plus de 3 mètres d’alluvions.

Des vestiges insoupçonnés
Les élévations de belle facture qui ont été mises en évidence lors d’un diagnostic dans des caves toutes proches, dont un arc sur le mur occidental, permettent de restituer un niveau de circulation à corréler avec le seuil médiéval du portail de l’abbatiale.

Ces maçonneries circonscrivent un bâtiment qu’il serait tentant de rapprocher d’une zone d’accès à l’abbaye type porterie, hôtellerie ou d’accès à un cellier dans cette extrémité nord de l’enclos abbatial parfaitement méconnu. Ces éléments étaient scellés dans les limons de débordement mais le creusement de caves à la fin de l’Époque moderne en a révélé quelques vestiges.

Un espace en constante mutation
La fouille de bâti a mis en évidence divers aménagements, seuil, baies, niches mais n’a pour l’instant pas permis d’établir avec certitude la vocation de ce bâtiment. Les recherches archéologiques et historiques permettront de confirmer ou pas, l’hypothèse émise au diagnostic, que ces vestiges sont à mettre en relation avec l’extrémité nord de l’abbaye.

Une puissante maçonnerie dont la nature tranche avec les élévations médiévales est apparue en fond de fouille, il s’agit probablement d’un vestige à mettre en relation avec l’occupation antique ou avec celle du premier Moyen Âge. L’étude des différents niveaux permet d’ores et déjà de proposer un abandon précoce du premier état et peut-être une destruction partielle, sans doute avant le XIIIe siècle, si l’on en juge par la présence, dans une fenêtre murée suite à une inondation, d’un pot à cuire à double anses en place daté du début du XIIIe siècle.

Comme dans l’abbatiale, le niveau de circulation s’élève ensuite de façon concomitante avec les inondations. Ce phénomène est observable dans la stratigraphie et dans la succession des bouchages des ouvertures. Il semble que les murs nord et ouest d’une bâtisse initialement couverte restent ensuite en élévation pour délimiter un espace ouvert de type jardin tout en limitant l’impact des crues. Il est par ailleurs réaménagé comme l’indique la présence d’un muret est-ouest construit sur un niveau d’inondation et dont la présence participe à la nouvelle spatialisation du lieu. Avant le creusement des caves modernes, un processus de sédimentation lente se met en place pendant le Petit Âge glaciaire jusqu’à la révolution industrielle.

La maçonnerie met en œuvre un appareil de plaquettes locales parfaitement assisées
La maçonnerie met en œuvre un appareil de plaquettes locales parfaitement assisées.
© Crédit photo : Guillaume Martin, Inrap

Des éléments du cloître refont surface
Au XIXe siècle, en plein essor urbain, de nombreux éléments lapidaires du monastère ruiné sont réemployés dans les fondations des maisons d’habitation. Le suivi de démolition de l’îlot a permis de dégager de beaux spécimens, notamment des chapiteaux et retombées de voûtes dont la filiation avec le cloître ne fait aucun doute.

Malgré une emprise modeste de 183 m2, ce sont près de 4 mètres de stratification qui ont pu être étudiés à l’occasion de cette fouille couvrant une fourchette chronologique de près de deux millénaires. L’étude du mobilier récolté couplée à des datations Carbone 14 et à une approche géomorphologique permettra d’affiner la chronologie des occupations et de faire écho aux recherches déjà menées sur le territoire.

Inrap
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