LA FRANCE PITTORESQUE
1er juillet 1903 : début du premier
Tour de France cycliste
(D’après « L’Auto » des 2 et 3 juillet 1903)
Publié le samedi 1er juillet 2023, par Redaction
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Créé par Henri Desgrange, directeur du journal L’Auto qui souhaitait augmenter les ventes de son quotidien, le premier Tour de France cycliste comporte 6 étapes s’étalant sur 19 jours, 21 coureurs finissant l’épreuve sur la soixantaine ayant pris le départ le 1er juillet 1903. La première étape n’était pas achevée que, dès le 2 juillet, L’Auto relatait le lancement de cet événement sans précédent et se félicitait du succès rencontré.
 

Dans le numéro du 2 juillet 1903 de L’Auto, Henri Desgrange signe un compte-rendu des premiers instants de cette épreuve inédite à laquelle 80 coureurs s’étaient inscrits, cependant que 59 prirent le départ :

« J’ai tâté leur courage à tous, quelques minutes avant le départ pour cet énorme Tour de France, avant la grande bataille qu’ils allaient livrer, et pas un ne m’a dit : J’ai peur que mes forces ne me trahissent, je crains que la tâche ne soit au-dessus de mes moyens.

« Tous étaient pleins de confiance et dans leurs yeux brillait l’espérance de la. victoire. Et mon cœur de sportsman s’est réjoui au spectacle de ces courageux que le soleil auréolait d’une poussière d’or et devant qui la route allait s’étendre à l’infini, pendant des heures, pendant des jours, pendant des semaines.

Henri Desgrange. Photographie extraite de La Vie au grand air : revue illustrée de tous les sports du 18 août 1901
Henri Desgrange. Photographie extraite de La Vie au grand air :
revue illustrée de tous les sports
du 18 août 1901

« Là, je me suis pris à regretter le temps où, moi aussi, je courais les grandes routes, où je voyais, libre sur ma frêle machine, d’extraordinaires couchers de soleil, où je me perdais dans des nuits étoilées, où je me retrouvais le lendemain matin, grâce à moi, à moi tout seul, dans de nouveaux pays où le parler n’était plus le même, où les paysans, au passage, avec leurs yeux paisibles, semblaient se demander d’où venait celui-là qui sortait des ténèbres.

« Mais à quoi bon rêver au passé, regretter ce qui n’est plus ? Tout a ses joies et il est bon de contempler en d’autres des énergies défuntes. L’heure présente est à l’action de ces hommes, et cela, somme toute, vaut largement la reconnaissance de l’U.S.A.P.F. par l’U.S.F.S.A.

« Les voici maintenant un pied sur la pédale, l’autre jambe à terre. Le départ se fait lancé ; il sont bien sages et bien raisonnables ; ils se sont rangés docilement sous les ordres du starter et lentement les 60 partants se mettent en marche. Ils font ainsi 3 ou 400 mètres et le tournant de la route nous les cache.

« Quelques minutes après je vois au loin un nuage de poussière qui se soulève à leur passage et ce nuage s’enfuit terriblement vite. La lutte est commencée, elle se terminera dans 19 jours. »

Dans le même numéro de L’Auto, Alphonse Steinès, l’un des collaborateurs d’Henri Desgrange dans l’organisation du Tour de France, narre le départ de la première étape :

« Le départ a été donné au Réveil-Matin. Ce nom sonne bien à l’oreille lorsqu’il s’agit d’une épreuve gigantesque, colossale comme le Tour de France. L’auberge du Réveil-Matin, encore ignorée de bien des cyclistes parisiens, est connue depuis hier au même titre que bien des endroits célèbres. Elle servit de scène à ce premier acte qu’est le départ du grand drame sportif dénommé Tour de France.

« En quittant Villeneuve-Saint-Georges pour aller sur Montgeron, l’auberge du Réveil-Matin est située à l’intersection de la route de Corbeil par Draveil. J’avoue assez volontiers que ce site manque d’ombre, ce de quoi se plaignaient les milliers de spectateurs venus pour voir l’envolée du peloton qui s’élança à la poursuite de la gloire et... de l’argent. Mais telle qu’elle est, l’auberge désormais historique nous servit pour abriter notre contrôle.

« Dès une heure de l’après-midi, heure à laquelle commencent les opérations consistant en remise des brassards, des numéros de cadres et signatures de contrôle, dès une heure, dis-je, il était impossible de trouver une chaise, tellement l’affluence était grande.

« Des chanteurs ambulants exerçaient à droite et à gauche leur industrie et déclamaient par une chaleur insupportable des refrains divers. Les coureurs écoutent d’une oreille distraite, leur pensée vagabonde sur la route et ils entendent sans doute déjà les acclamations des populations du parcours. Pour le moment, ils font la sieste et sont étendus dans l’herbe, le ventre au soleil.

« Le premier qui a l’honneur d’apposer sa signature sur la feuille de contrôle est Ellinamour de Paris, il retire le brassard numéro 64. Après lui vient Pernette, également de Paris, qui porte le n° 44. Les photographes de tous les journaux illustrés, armés des appareils les plus perfectionnés, sont présents et pigent les grands cracks. Parmi les chevaliers de la plaque sensible, nous reconnaissons les amis Simons, de La Vie au Grand Air, Beau, Schweitzer, de La Revue Sportive, etc. Chaque fois que vient signer un des rois de la route, tels qu’Aucouturier, Garin, Fischer, Muller, Pasquier, Wattelier, etc., la foule se précipite à leur suite et le contrôle est envahi.

« Une douzaine d’amis de L’Auto, dont le dévouement est inépuisable, avaient assumé les très délicates fonctions de commissaires au départ et assuraient le service d’ordre, secondés par l’appariteur de Montgeron et la gendarmerie de Villeneuve-Saint-Georges. »

L'itinéraire du Tour de France 1903. Illustration extraite de L'Auto du 1er juillet 1903
L’itinéraire du Tour de France 1903. Illustration extraite de L’Auto du 1er juillet 1903

Alphonse Steinès ajoute que « le succès est complet et la proportion de partants remarquable,si l’on songe que dans Bordeaux-Paris qui n’a que 600 kilomètres, 23 coureurs se rangèrent au poteau de départ.

« Le peloton se range en bon ordre. Je regrette que les photographies du départ que vous verrez dans les journaux illustrés ne reproduisent pas les couleurs des maillots, car ceux qui n’ont pas eu l’occasion d’assister au départ eussent au moins pu se faire une idée du coup d’œil curieux et bizarre que présentait ce départ. Deux couleurs tranchaient et attiraient les regards : le jaune des brassards que tous portaient au bras gauche et le rouge des numéros de cadre que le public appréciait comme une innovation attendue depuis longtemps.

« Après un contre-appel, notre directeur fait aux concurrents d’ultimes recommandations, il leur rappelle plus particulièrement que les entraîneurs sont rigoureusement interdits, que sous aucun prétexte un coureur ne doit quitter son brassard et que le numéro du cadre doit toujours être en évidence afin de permettre de constater l’identité du concurrent par les innombrables contrôleurs volants qui sillonneront le parcours.

« En raison des travaux de réfection de la route, le départ réel est reporté à environ cinq cents mètres du Réveil-Matin. Ces quelques centaines de mètres sont faites à une petite allure en très bon ordre. Au moment où le groupe passe devant lui, l’ami Abran lâche le coup de revolver traditionnel. Il est 3 heures 16 m. Ils sont partis et disparaissent dans un nuage de poussière. La foule applaudit vigoureusement. »

Dans le numéro du lendemain 3 juillet, Henri Desgrange dresse un bilan de la première étape :

« Voici courue la première étape du Tour de France. Le succès a dépassé toutes les prévisions et une fois de plus les coureurs ont dérouté les pronostics des plus compétents.

« Personne n’eût osé croire, il y a quarante-huit heures, que des hommes livrés à eux-mêmes sur la. route, sans aucun soin, sans personne pour s’occuper d’eux autre part que dans les contrôles, passant la nuit dans des pays inconnus et difficiles, personne n’eût osé croire que ces hommes étaient capables de couvrir près de 500 kilomètres en moins de 18 heures à une allure supérieure à 26 kilomètres à l’heure.

« Et pourtant rien n’est plus vrai. Ce fut un moment de stupéfaction sur tout le parcours ; les malins n’avaient-ils pas prédit qu’il faudrait au moins 24 heures aux coureurs pour se rendre-à Lyon ?

« Quel beau début pour le Tour de France et comme nous sommes heureux de voir réussir une épreuve que nous avions jugée dès le début suprêmement intéressante.

« Nous n’aurons pas assez de louanges pour le grand vainqueur Maurice Garin. L’énergie et les ressources musculaires de cet homme sont véritablement inépuisables. Les années semblent augmenter ses puissantes qualités et quand chacun doute, au moment du départ, s’il pourra refaire ce qu’il a déjà fait, Maurice Garin nous donne chaque fois la preuve qu’il est bien le meilleur et le plus redoutable de tous nos grands routiers.

Maurice Garin, vainqueur des première, cinquième et sixième étapes, et vainqueur du Tour de France 1903. Photographie extraite de La Vie au grand air : revue illustrée de tous les sports du 24 juillet 1903
Maurice Garin, vainqueur des première, cinquième et sixième étapes,
et vainqueur du Tour de France 1903. Photographie extraite de La Vie au grand air :
revue illustrée de tous les sports
du 24 juillet 1903

« D’une sobriété tout à fait remarquable en course, Garin peut rester plus de cent kilomètres sans rien prendre, son estomac est remarquable et c’est par là que son plus redoutable adversaire Aucouturier a péri. C’est cette belle santé qui fait de Maurice Garin une redoutable machine de résistance et une force irrésistible.

Garin est encore admirablement secondé par MM. Hammond et Mouter, les directeurs de la Société La Française, dont il monte la marque. En voilà à qui il ne fait pas bon dire que Garin peut trouver son maître. Ils ont tous deux pour lui des attentions touchantes et la victoire de leur champion leur cause, comme à tous leurs amis, une joie sans mélange.

« Et puis je m’en voudrais de ne pas féliciter aussi de la victoire de Garin l’ami Delattre, son manager au dévouement inaltérable. Jamais je n’ai vu quelqu’un prendre plus au sérieux les délicates fonctions qui consistent à préparer un grand champion à la victoire et à tout préparer pour que rien ne lui manque. »

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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