LA FRANCE PITTORESQUE
Employer le vert et le sec
(D’après « Parémiographe français-allemand ou Dictionnaire des métaphores
et de tous proverbes français adaptés et sanctionnés
par l’Académie française » (par Jacques Lendroy) paru en 1820
et « Philologie française ou Dictionnaire étymologique, critique, historique,
anecdotique, littéraire » (par Noël et Carpentier) Tome 2 paru en 1831)
Publié le vendredi 15 mai 2020, par Redaction
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Employer tous les moyens, user de toutes ses ressources pour mener à bien une affaire
 

Dans cette expression, le mot vert est pris substantivement, ainsi que sec ; l’un signifie l’herbe verte qu’on fait manger aux bestiaux, d’où mettre les chevaux au vert, leur faire prendre le vert ; l’autre signifie le fourrage sec qu’on leur donne, à défaut de vert, d’où ces expressions donner du sec aux chevaux, les mettre au sec.

L’expression proverbiale vient donc évidemment de l’économie rurale ou de la cavalerie. Employer le vert et le sec, c’est employer tous les moyens, user de toutes les ressources, qui ferait consommer à ses chevaux le vert et le sec pour les nourrir, ou comme ferait encore un agriculteur qui ferait manger le vert et le sec à ses bestiaux.

Garçon donnant l'avoine à un cheval dételé. Peinture de Théodore Géricault
Garçon donnant l’avoine à un cheval dételé. Peinture de Théodore Géricault

Henri IV fit une application assez heureuse de cette expression envers Madame de Guercheville (1560-1632), qu’il avait aimée sans succès et à la vertu de laquelle il avait fait hommage après son mariage avec Marie de Médicis, en lui disant que puisqu’elle était véritablement dame d’honneur, elle le serait de la reine son épouse.

Cette dame de Guercheville avait conçu pour Claude de Lorraine dit le chevalier d’Aumale, un amour si vif et si pur, qu’elle jura mille fois de ne donner son cœur ni sa main à aucun autre, eût-il même, disait elle, les droits les mieux fondés à la première couronne de l’univers. Mais malheureusement, l’intrépide d’Aumale périt le 3 janvier 1591 à l’âge de 26 ans dans une attaque qu’il fit sur Saint-Denis, en faveur de la Ligue, en 1591.

Cette mort fut pour son amante un coup de foudre si atterrant, que l’on craignit longtemps pour ses jours. Cependant comme en pareil cas, le temps est l’Esculape le plus habile, elle reprit vie, au bout de quelques mois ; mais elle resta si maigre et si desséchée que son corps ressemblait, à un vrai squelette.

Lorsque le vicomte de Rohan, Henri II de Rohan (1579-1638), fut fait duc et pair en 1603, Henri IV lui donna une superbe fête qui se termina par un bal des plus brillants, où se trouva toute la cour et la haute noblesse de Paris. Madame de Guercheville, quoique déjà âgée de 43 ans, s’y rendit en habit vert, et excita l’étonnement de toute la société parce qu’elle avait rompu le vœu qu’elle avait fait publiquement, de ne se trouver à aucune partie de plaisir.

Antoinette de Pons, marquise de Guercheville, en 1578. Dessin de François Quesnel (Henri IV n'était pas encore roi à l'époque où ce portrait fut réalisé)
Antoinette de Pons, marquise de Guercheville, en 1578. Dessin de François Quesnel
(Henri IV n’était pas encore roi à l’époque où ce portrait fut réalisé)

Henri IV toujours facétieux, et qui avait toujours prêt le petit mot pour rire, l’aborda avec bonté et lui dit, faisant allusion à sa tenue et sa maigreur : « Madame ! je vous suis bien obligé de ce que vous avez bien voulu employer le vert et le sec pour faire honneur à la compagnie. » Cette apostrophe faite à une dame d’un mérite si éminent fit rire l’un, choqua l’autre, et indigna Catherine, sœur du vicomte de Rohan, dame d’infiniment d’esprit et d’une beauté extraordinaire.

Désolée de voir que Madame de Guercheville fût la fable du bal, par le sarcasme que le roi avait lancé contre sa mise et sa maigreur, elle résolut de l’en punir, l’occasion qu’elle attendait ne tardant pas à se présenter. Henri IV papillonnant de belle en belle, parut enfin se fixer à la vicomtesse de Rohan, à laquelle il fit une déclaration d’amour, mais d’un air si peu discret, que le plus aveugle s’en fût aperçu. « Sire ! » lui répondit Catherine, d’un ton assez haut pour être entendue de ses voisines, « je suis très sensible à l’honneur que Votre Majesté me fait, mais je suis trop pauvre pour être votre femme, et de trop bonne maison pour être votre maîtresse. » Le roi, piqué au vif d’une réponse dont il sentait toute la justesse, quitta le salon ; la gaieté de la société se perdit, et la fête se termina ainsi.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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